Tu seras viril mon kid, je n'veux voir aucune once féminine
Ni des airs, ni des gestes qui veulent dire
Et Dieu sait, si ce sont tout de même les pires à venir
Te castrer pour quelques vocalises
1966 - 4 ans
— Portland, USADans sa petite chambre d’enfant, tout est bien parfaitement en ordre. Les livres sont rangés par ordre alphabétique dans sa bibliothèque, rien ne déborde de sa malle à jouets et ses vêtements demeurent soigneusement pliés dans son armoire. Le seul minuscule désordre qu’il s’autorise, c’est au centre de la pièce, sur son tapis de jeu. Et là encore, désordre est un bien grand mot… Alex sait que sa maman aime que tout soit bien rangé, alors il s’efforce de maintenir sa chambre impeccable. Aujourd’hui, il a aligné ses peluches devant lui et a déposé devant chacune d’entre elles des bouchons de bouteille de lait. Papa n’a pas voulu lui offrir de dînette pour son anniversaire alors il récupère des objets ici et là pour pouvoir quand même jouer au restaurant. Ici, il se sert des bouchons comme de petits bols ou d’assiettes pour ses jouets et récupère des brindilles dans le jardin pour leur fournir des couverts. Et oui, sinon comment ses peluches pourraient-elles manger les délicieux plats imaginaires qu’il confectionne ? Le petit garçon n’a pas le matériel nécessaire pour préparer ses potages, ses pizzas ou ses fondants au chocolat mais son imagination fait le reste. C’est sa marraine Tully qui le lui a appris.
La sœur de Papa, elle est gentille. Quand elle vient à la maison, elle quitte ses belles chaussures à talon pour entrer dans sa chambre et s’asseoir par-terre avec lui pour jouer pendant des heures. C’est elle qui a dit à Papa et Maman qu’elle pouvait la lui offrir, sa dînette, qu’il ferait un parfait petit chef étoilé. Mais Papa s’est énervé, il a dit que la dînette, c’était pour les filles, alors elle a renoncé. Cela ne l’empêche pas d’apporter de temps en temps des petits gobelets à Alex pour compléter sa vaisselle. Elle est dépareillée, certes, mais le petit brun s’en fiche. Sa marraine au moins, elle goûte à tous ses plats et elle se régale.
Maman n’aime pas trop Tully. Elle trouve qu’elle rigole trop, qu’elle n’est pas sérieuse et que ses pouvoirs sont inquiétants. Alex l’a entendue en écoutant aux portes mais il ne comprend pas. Sa marraine la bonne fée, elle apporte de la couleur à la maison, et pas seulement dans les sachets de bonbons qu’elle lui offre à chaque fois. Parfois, elle est invitée à manger avec son amoureux, tonton Tobias mais c’est pas pareil. Quand elle est assise à côté de lui, Alex trouve que Tully sourit moins. Il parle souvent à sa place et il la tire un peu fort par le bras des fois. Les adultes, c’est pas marrant. Le petit garçon préfère autant s’enfermer dans sa chambre ou rester seul avec sa marraine parce qu’une fois, elle lui a révélé son secret. C’est une enfant qui s’est déguisée en adulte, mais faut le répéter à personne.
Tu seras viril mon kid, loin de toi ces finesses tactiques
De ces femmes origines qui féminisent, groguisent
Sous prétexte d'être le messie fidèle de ce fier modèle archaïque
1968 - 6 ans
— Portland, USATully tient sa petite main dans la sienne alors qu’ils traversent la rue pour sonner à la grande porte blanche de la villa à laquelle sont accrochés guirlandes et ballons colorés. Ce weekend, les parents d’Alex sont partis assister à un séminaire religieux organisé par leur paroisse et sa marraine a proposé de le garder. Le petit garçon est ravi car depuis quelques semaines, Tully n’est plus avec tonton Tobias et qu’il va pouvoir dormir avec sa marraine. Et cerise sur le gâteau, ils sont invités à célébrer l’anniversaire de Roy, un ami de la jeune femme. Alex adore les anniversaires ! Il y aura des gâteaux et des sodas à volonté sans personne pour rien lui interdire. Et il aime bien jouer avec les sarbacanes pour projeter les petites boules colorées ! Il compte bien s’amuser, Tully lui a promis qu’il y aurait de la musique et même de quoi se déguiser !
Lorsque la jeune femme sonne à la porte, Roy vient leur ouvrir et serre Tully dans ses bras mais Alex a un mouvement de recul. Il ne s’attendait pas à voir un homme vêtu d’une robe de soirée et affublé d’une perruque et d’un maquillage sophistiqué. Sentant le malaise de son filleul, Tully s’accroupit pour se mettre à sa hauteur.
Qu’est-ce qu’il se passe mon chéri ? Réticent à parler dans un premier temps, Alex baisse le nez pour fixer ses chaussures.
J’veux pas me déguiser en fille, finit-il par marmonner.
Chaton, Roy est déguisé en fille parce que ça lui plait mais ça ne veut pas dire que tu es obligé de faire pareil. Il y a des chapeaux, des lunettes rigolotes, et des écharpes aussi. Ou rien du tout si tu n’as pas envie de te déguiser. Ce dernier point rassure le petit garçon et il finit par acquiescer avant de suivre Roy et Tully à l’intérieur.
Finalement, l’anniversaire de Roy s’avère amusant. Alex se détend en constatant que tous les invités n’ont pas forcément suivi le dress code de leur hôte. Sa marraine le présente à ses amis qui tombent tous en adoration devant le charmant minois du bambin. Peu à peu, le petit brun se laisse prendre au jeu car il découvre qu’en ces lieux, rien n’est interdit. Tout le monde rit, tout le monde s’amuse. Un groupe de copines dansent autour de Roy sur un tube du moment et l’une d’elle agite un bouquet de fleurs dans les airs car elle vient d’annoncer à tout le monde que son petit-ami l’a demandée en mariage. Assis avec son verre de Coca cola entre les mains, Alex grignote des bonbons en s’émerveillant de voir à quel point tout le monde est heureux. Il y a même des garçons qui s’embrassent sur la bouche dans un coin. Le petit garçon n’a jamais vu ça mais ils sourient tellement que cela ne l'interpelle pas plus que ça.
Plus tard dans la soirée, Alex a choisi un déguisement : une casquette avec des oreilles de lapin et une jolie cape aux couleurs de l’arc-en-ciel. Devenu la mascotte de la soirée, le petit garçon est désormais surnommé Super-Lapin par les invités. Hissé sur les épaules de sa marraine, il surplombe désormais la piste de danse et agite ses petits bras en l’air en riant. Tully est si heureuse qu’elle a dansé toute la soirée. Elle a même embrassé une des copines de Roy. Lorsqu’elles se sont séparées pour que la belle inconnue aille chercher un rafraîchissement, Alex s’est penché pour murmurer à l’oreille de sa marraine :
Je crois que je l’aime mieux que tonton Tobias ! Tully a tourné la tête avec un sourire en coin, caressant les bras de son filleul qui entouraient son cou.
Et moi, je crois qu’elle t’adore, Super-Lapin… Partir vers d’autres galaxies et un peu d’espoir, oui un peu d’espoir
Qu’existe une autre galaxie pour me recevoir, pour nous recevoir
1968 - 6 ans
— Portland, USACela doit bien faire une heure que Papa hurle sur Marraine dans le salon. Recroquevillé dans un coin entre deux cartons de déménagement, Alex pleure en assistant à cette scène déchirante. En apprenant qu’ils quittaient le pays de manière impromptue, Tully s’est précipitée au domicile des Owens pour connaître les raisons de ce changement soudain. Son frère l’a accueillie avec une gifle. La violence a surpris Alex au point de crier mais Maman lui a ordonné de rester en retrait.
Se maintenant entre la jeune femme et le petit garçon, les Owens l’ont empêchée de l’approcher. Leur relation était déjà tendue depuis qu’un voisin leur avait rapporté qu’il avait surpris Tully en train d’affubler Alex d’un drapeau à connotation homosexuelle lorsqu’ils revenaient de l’anniversaire de Roy. Mais pire encore : des manifestations magiques s’étaient produites dans la chambre d’Alex. Quand ses parents avaient vu son petit singe en peluche léviter au-dessus du lit, ils avaient compris que la brune avait maudit leur fils avec ses propres pouvoirs magiques.
”Qu’est-ce que tu lui as fait ?” hurlait son père.
”Ça ne t’a pas suffi de le pervertir avec tes vices, il fallait aussi que tu lui donnes tes pouvoirs ? La jeune femme pleurait en essayant de retenir son frère.
J’ai rien fait Stan, c’est héréditaire, ça ne se contrôle pas. Il ne m’a jamais vue pratiquer la magie, elle coule dans ses veines depuis qu’il est né ! Ne partez pas, je t’en supplie… Alex ne comprenait rien de ce qui se passait ni pourquoi son papa disputait si fort sa marraine. Tout ce qu’il retient, c’est que lui et ses parents, ils vont partir loin dans un autre pays au-delà l’océan. Peut-être que s’il avait empêché son singe de voler, tout ça ne serait pas arrivé ? Et puis soudain, Papa commence à parler de trucs qu’il ne comprend pas.
”C’est tes copains dégénérés qui lui ont fait ça à cette soirée ? Ils sont comme toi, vous avez fait un rituel ?” Marraine ne semble rien comprendre, elle non plus. Elle ne voit pas le rapport, rit même au nez de Papa en lui rétorquant que ça n’a rien à voir, qu’il n’y connaît rien. Et soudain, Papa lève son poing au-dessus de sa tête, tout juste retenu par Maman qui hurle de terreur.
”S’ils ont contaminé mon fils, tu me le paieras cher ! Maintenant dégage de chez nous !” C’était la dernière fois qu’Alex voyait sa jolie marraine avant le grand départ. Il aurait voulu lui faire un dernier câlin et qu’elle l’embrasse dans le cou pour le chatouiller comme elle savait si bien le faire, mais Tully n’était plus autorisée à l’approcher désormais. Les Owens allaient fuir tout ce qu’elle représentait et tenter de sauver le salut de leur fils. Le sauver de l’amour et d’une magie qui ne semblait pourtant pas si effrayante aux yeux du petit garçon.
Staring at my ceilin'
Convince myself it's nothin'
Pray to God to fix me
Feeling guilty havin' thoughts at 12 years old
Printemps 1975 - 12 ans
— Poudlard, Ecosse (UK)Chère Marraine,
Normalement, j’ai pas le droit de t’écrire, j’espère que Papa ne l’apprendra pas. Et j’espère que tu n’es pas trop en colère contre moi, j’aurais dû t’écrire depuis toutes ces années mais j’avais peur que mes parents l’apprennent. On ne prononce plus ton nom à la maison, mais je crois que j’ai des pouvoirs magiques comme toi. On m’a envoyé dans une école pour apprendre la magie, est-ce que tu y as été aussi ? Est-ce qu’il y en a en Amérique ?
Je suis heureux ici mais quand je rentre à la maison, je ne dois pas parler de magie. Je dois vite ranger ma baguette aussi. Ils veulent pas que j’en parle mais ils ont fini par l’accepter, je crois. Ils essayent plus d’enlever la magie de mon corps. Ca part pas, en plus, je crois, mais c’est pas de ça que je voulais te parler au départ.
Avant la rentrée, je parlais de mes amis à Papa et Maman et ils se sont mis en colère quand j’ai dit que je trouvais Samuel mignon. Papa a dit que c’était à cause de toi, que tu m’avais jeté un sort quand j’étais petit, à l’anniversaire de ton copain. C’est vrai ? Maman a dit qu’ils allaient m’aider, qu’on peut guérir de cette maladie. Je me souviens que tu avais embrassé une fille à cette soirée... Est-ce que tu es guérie, maintenant ? Malgré ce qu’ils disent, je ne t’en veux pas. Je crois que tu me manques, surtout.
Bisous,
Alex
PS : je t’envoie aussi ma photo de classe, j’suis au premier rang tout à gauche. Et à côté de moi, c’est Samuel…Tout n'est qu'un jeu de masques
Poussière d'anthrax qui s'insinue dans nos blessures
Au démon, lui qui consume nos vies, souffle le chaud, le froid
Qui d'autre que moi le voit ?
Lui dire "Fuck you too", à tout jamais
Requiem pour tout recommencer
Plus de sorry, sorry, plus dans ma chair
Toi et ton double, ami, retourne en enfer
Eté 1977 - 14 ans
— Eglise Saint Sauveur de Londres, UKLes prières ricochent entre les murs de l’église depuis que le prêtre a entamé les chants sacrés. Les cours de lecture biblique ne suffisent plus, il a décidé de passer à l’étape supérieure pour aider les Owens à guérir Alex du Mal qui le terrasse. Une vingtaine de fidèles ainsi que sa propre mère sont présents, assis sur les bancs de l’église, tous désireux d’aider ce pauvre garçon. Les confessions, leçons de morale et groupes de parole n’ont pas porté leurs fruits. Ils ont eu beau prévenir l’adolescents de tous les risques de cette dérive perverse, rien n’y faisait. Ils ont tenté de l’effrayer en affirmant que les homosexuels avaient bien plus de chances de commettre un suicide que les personnes normalement constituées mais Alex avait tenu bon.
En prévision pour la messe de ce soir, sa mère l’avait privé de sommeil et de nourriture, l’autorisant uniquement à boire de temps à autre. Ce jeûne forcé avait pour vocation d’affaiblir le démon qui possédait l’adolescent et le forcer à quitter son corps et son esprit. Cette nuit, un exorcisme aura raison de tous les vices qui le hantent.
Au fond de lui, le jeune Poufsouffle espère que cela marchera. Il aimerait tellement retrouver l’estime que ses parents avaient pour lui qu’il est prêt à tout. Y compris obéir aux ordres dégradants de ce prêtre. Transi de honte, Alex se tient debout devant l’autel, dans son plus simple appareil. Quand le religieux lui a demandé de retirer ses vêtements face aux autres, le jeune garçon a tenté de cacher sa nudité mais on le lui a interdit, comme pour renforcer cette cuisante humiliation. Tout en psalmodiant, le prêtre tourne autour de lui en jetant des poignées de sel sur son corps. Le jeune homme commence à sentir la nausée montée en lui, le manque de sommeil et de nourriture l’ont affaibli au point de voir trouble. Espérant s’échapper de ce purgatoire, Alex ferme les yeux. Le prêtre hurle au démon de cesser de troubler cet enfant et de le délivrer du feu de l’enfer. Le gamin, lui, supplie en silence ce dieu qui l’a maudit de lui accorder une seconde chance
Serre les dents putain, montre que t'es pas un pantin
Tu peux faire c'que tu veux, vas-y explose et fous l'feu
Serre les poings gamin, sans te cacher pour un rien
Tu peux faire simple au lieu de te figer sur ce bleu, s'tu veux
Juillet 1979 - 16 ans
— Centre de thérapie de Londres, UKLes vacances sont terminées et la vie paisible de l’étudiant s’envole avec elle. Ses parents ne lui ont laissé que deux jours de répit avant de le ramener à l’église pour faire un bilan. Force est de constater que les exorcismes survenus dans l’année n’ont rien donné. Et même si Alex n’a pas voulu l’avouer à sa mère, il ne s’est pas senti si différent que ça depuis ces interminables cérémonies destinées à bannir le diable de son esprit. Cependant, le prêtre a parlé d’un établissement pour les enfants qui se sont égarés dans leur foi. Un endroit où la religion et la science marchent main dans la main pour ramener les brebis égarées sur le droit chemin.
Alex, lui, est fatigué de toute cette mascarade. Il s’est rendu compte que le dieu auquel il s’accroche depuis tout ce temps est impuissant face à son mal. Il n’a plus d’espoir de guérison, le Seigneur l’a sans doute abandonné à cause de ses pouvoirs magiques. Pourtant, le Poufsouffle aimerait changer. Craquer pour une fille, se marier avoir des enfants comme tout le monde. Il pourrait même demander à Emma si elle veut sortir avec lui, il s’entend bien avec sa camarade. Mais il sait que tant qu’il aura des sentiments pour Samuel, rien de tout cela ne sera vrai et ce serait terriblement malhonnête envers la jeune fille.
Dans le centre, les médecins tentent tout un tas de protocoles sur lui. Ils lui ont couvert les mains et le corps d’électrode pour tester de nouvelles méthodes. Cependant, rien n’y fait, quand on lui montre des images de jeunes hommes dévêtus, les machines s’emballent, sonnent de toutes parts et lui envoient des stimuli désagréables. Le but est d’enseigner à son cerveau que les garçons ne lui apporteront que du négatif, de le rééduquer au plaisir de voir des filles nues ou dans des positions suggestives. Pourtant, rien ne marche… Voilà presque un mois qu’il est logé dans ce centre et aucun progrès n’est observé sur lui. Chaque expérimentation l'affaiblit un peu plus, il aimerait en finir. Parfois, il songe à en finir avec la vie mais l’étroite surveillance du centre ne lui permet pas d’échapper à son triste sort. Son esprit devient son dernier refuge. Le soir, à défaut de pouvoir trouver le sommeil, il arpente mentalement les couloirs de Poudlard pour se rappeler qu’à la rentrée, il sera sauvé. Et aux heures les plus sombres de la nuit, il se surprend à maudir Tully pour tout le mal qu’elle a pu insuffler dans ses veines quand il était enfant.
Je bascule à l'horizontal, démissionne ma vie verticale
Ma pensée se fige, animale. Abandon du moi, plus d'émoi
Je ressens ce qui nous sépare, me confie au gré du hasard
Je vis hors de moi et je pars a mille saisons, mille étoiles
Juillet 1979 - 16 ans
— Londres, UKUn kilo… de… Un kilo de lait. Non… Trois grammes de... S’il vous plaît. Alex s’est assis sur un banc, la tête appuyée contre le mur. Il a juste besoin de se reposer quelques minutes. Le teint livide et le regard hagard, il a l’impression que ses jambes ne supportent plus son poids et qu’il a besoin de faire une pause. Perdu dans le centre commercial, il y a trop de bruit, trop de mouvement autour de lui. Sa mère l’a envoyé faire quelques courses mais il n’arrive plus à se souvenir de comment passer commande. Sa liste coincée entre ses doigts, il cherche ses mots, cherche son chemin.
Le centre de thérapie l’a rendu hier à ses parents en précisant qu’il serait sans doute un peu éprouvé par son séjour, qu’il avait besoin de sortir prendre l’air. La vérité, c’est que le responsable de l’établissement a donné son accord pour tenter un protocole plus fort sur l’adolescent. Les méthodes actuelles ne fonctionnant pas, il a suggéré d’employer une technique vieille de plus de 15 ans, certes, abandonnée depuis tout ce temps mais qui semblait être efficace en son temps. Un traitement à base d’électrochocs pour provoquer une crise d’épilepsie et “remettre le cerveau sur les rails”. Un traitement qui laisse ses patients sur le carreau, en réalité, et des marques de brûlures sur les tempes des survivants.
Alex est épuisé. Il aimerait s’endormir pour ne plus jamais se réveiller. Il ne sait même plus ce qu’il fabrique ici. Il remarque soudain qu’une jeune femme s’est accroupie devant lui et lui parle. C’est comme si elle parlait une autre langue, le Poufsouffle ne comprend qu’un mot sur deux. Il lui semble qu’elle lui demande son prénom et s’il va bien mais le gamin a l’impression de parcourir un marathon rien qu’en prononçant quelques mots.
J’sais pas… L’effort est ultime pour suivre ce que la brune est en train de lui raconter. Pire encore : il ne retient pas la moitié de ce qu’elle raconte. Si, juste son prénom : Maddy. Il a l’impression de faire face à une hallucination tant la scène est improbable. Genre, Maddy Hartley, la célèbre joueuse de Quidditch qui vole à son secours... C’est trop beau pour être vrai. La jeune femme finit par le faire lever et passe son bras autour de sa taille pour soutenir son corps tout frêle. Elle veut l’aider, c’est tout ce qu’il comprend. L’adolescent la laisse disposer de lui, trop faible pour protester. Son bras posé par-dessus les épaules de la Poursuiveuse, Alex la suit sans discuter en traînant des pieds. La liste de courses s’échappe de ses doigts sans qu’il ne s’en rende compte. Tout ce qu’il veut, c’est s’endormir pour une vie entière.
Je te laisse parce que je t'aime
Je m'abîme d'être moi-même
Avant que le vent nous sème
À tous vents, je prends un nouveau départ
Juillet 1979 - 16 ans
— Pensionnat Syndrigasti, Londres, UKLa nuit a été longue et éprouvante. Si Alex est tombé comme une masse lorsque Maddy lui a offert généreusement un toit et un lit, il s’est réveillé en sursaut environ toutes les deux heures sans se rappeler où il se trouvait. Il n’était pas hanté par des cauchemars à proprement parler, c’était plutôt les souvenirs des sensations qui le réveillaient. Sans raison, ses muscles se contractaient violemment comme lorsqu’ils étaient sous l’emprise des électrochocs administrés et l’adolescent émergeait de son sommeil en sueur, terrorisé et complètement perdu.
Le lendemain, il s’était réveillé moins engourdi que la veille et s’était régalé de barres de céréales protéinées en guise de petit-déjeuner. Ce n’était peut-être pas un menu très conventionnel mais le gamin les trouvait à son goût et était particulièrement affamé. La veille, il se sentait tellement vaseux qu’il avait préféré se coucher avant même que la Poursuiveuse ne lui propose de dîner. Même si son état s’améliorait ce matin, Alex se sentait encore un peu gauche, comme si son cerveau tournait au ralenti et se mélangeait les pinceaux. Son sens de l’équilibre s’émoussait et il devait se tenir fermement aux rampes des escaliers pour les descendre, ses mouvements manquaient de coordination. Honteux, il n’avait pas osé expliquer à Maddy qu’il avait mis une éternité avant de pouvoir nouer les lacets de ses chaussures. Le Poufsouffle se doutait que les effets des électrochocs allaient changer sa vie mais pas qu’ils endommageraient son esprit à ce point. Une chose était certaine, cependant : il ne pensait plus aux garçons. La vérité, c’est que les évènements s’étaient enchaînés avec tellement de violence qu’il n’avait pas eu d’autres préoccupations que récupérer ses capacités physiques et mentales. Mais était-il guéri pour autant ?
Ce matin, il suit Maddy avec une lenteur telle que la Poursuiveuse a dû adapter son allure à la sienne. Alex se sent incapable de marcher plus vite, ses muscles ne suivent pas. Tant pis, il n’a pas d’autres choix. Son esprit embrumé n’a pas retenu le nom de l’endroit où l’emmenait la jeune femme mais en voyant la grande grille de l’établissement, le gamin tente de faire marche arrière.
Non… J’veux pas… Maddy le retient de justesse, essayant de lui faire comprendre sans hausser le ton ni se montrer brusque qu’il doit entrer, pour son bien. Alex se débat du mieux qu’il peut mais ses forces l’ont abandonné, il n’est pas de taille face à l’homme qui vient les accueillir. Il entend Maddy lui expliquer que l’adolescent a besoin d’un refuge, qu’il est désorienté et en danger mais le cœur d’Alex s’emballe. Il est terrorisé à l’idée que cela recommence, qu’il s’agisse d’un autre centre de torture. Et soudain…
"Que se passe-t-il ?" Une femme apparaît en haut de l’escalier principal, accompagnée d’une petite blonde qu’Alex reconnaît malgré la brume dans son esprit.
Emma ? Le Poufsouffle reconnaît sa congénère sans comprendre. Est-elle persécutée comme lui dans cette prison dorée ? Il pige pas… Il voit la directrice de l’établissement converser avec la jeune fille avant d’acquiescer et abandonner une caresse sur sa joue. Cette attention le fait douter un instant, lui qui n’a jamais vu le moindre signe d’affection envers les patients du centre de thérapie où il était enfermé. Il cesse de se débattre lorsqu’Emma vient lui expliquer qu’il est en sécurité, qu’il se trouve dans un refuge pour enfants abandonnés ou maltraités et qu’Alma veillera sur lui autant qu’elle le pourra. Une lueur d’espoir ravive le regard du gamin. Il laisse les adultes converser pour la suivre dans un salon plus tranquille où deux enfants assis sur un tapis s’adonnent à un jeu de construction. Serait-ce la fin de son cauchemar ? Peut-être pas, il entend Maddy vociférer depuis l’autre bout du bâtiment…
Une foule en t-shirt rose et bleu
Qui te regardera comme un lépreux
Fais pas d'enfant c'est contagieux
Pense à ce que dira Dieu
Octobre 1979 - 16 ans
— Centre de thérapie de Londres, UKChère Marraine,
Je reviens de loin, je crois. Je n’ai pas voulu t’écrire cet été parce qu’ici, ils lisent nos courriers avant de les envoyer… mais surtout je n’étais pas moi-même. Je t’en ai voulu si longtemps que je me suis oublié dans cette histoire. Je te tenais responsable de crimes que tu n’as pas commis parce que je n’avais pas la force de me battre et d’assumer qui je suis. Je n’arrive pas encore à le dire à voix haute devant tout le monde mais je peux l’écrire ici : j’aime les garçons et je souhaite être heureux avec un garçon. Je ne parle pas forcément de Samuel, ses parents ont déménagé en France, il est scolarisé à Beauxbâtons maintenant. J’ai encore de la peine mais j’ai fini par l’accepter. De toute manière, il préfère les filles, ça n’aurait mené à rien de lui avouer mes sentiments.
Maintenant que je suis tiré d’affaire, je peux tout te raconter. Quoique, je devrais sûrement le faire en plusieurs lettres car tout ne tiendra pas sur un parchemin… Mes parents ont essayé de changer ce que je suis car ça rend Papa malade de savoir ça. Ils ont tenté plein de trucs à l’église mais comme ça n’a pas marché, ils m’ont envoyé dans un hôpital pour rendre les gens normaux. J’ai failli mourir, Marraine. De chagrin, de douleur, de dégoût pour moi-même, aussi. Je me suis même tordu le poignet en balançant un coup de poing dans une vitre. J'espérais casser la fenêtre et m’entailler suffisament les veines pour en finir. Sauf que ce putain de bon Dieu, il veut pas de moi. Il me veut nulle part, même l’Enfer ça doit pas être suffisant pour moi.
J’ai quand même un ange gardien ici, tu devineras jamais qui c’est !!! C’est Maddy Hartley, la Poursuiveuse des Pies de Montrose ! Je sais pas si vous suivez beaucoup les équipes étrangères aux Etats-Unis mais c’est une vraie tueuse ! Maddy elle est comme nous, tu sais, c’est pour ça qu’elle me comprend. Elle m’a placé dans un pensionnat pour qu’ils portent plainte contre le centre de conversion et mes parents ont été bien embêtés. J’y suis resté une semaine le temps de l’enquête mais mes parents ont fini par me récupérer. Maddy était folle de rage mais tant que je suis mineur, je suis obligé d’obéir à mes parents… Je les aime pourtant, mais je leur en veux de m’obliger à retourner dans ce centre. Maddy, elle m’a fait comprendre que j’ai pas à avoir honte de qui je suis, que je mérite d’être heureux. Elle vient souvent me rendre visite et elle m’apporte des trucs à manger (parce que la cantine ici, elle est dégueulasse !). Je lui fais passer cette lettre pour qu’elle l’envoie à ma place, sinon ici, ils voudront jamais te l’envoyer, Papa t’a mise sur la liste noire des contacts pour moi. Heureusement, il est pas au courant pour Maddy…
Quand je serai majeur, dans deux mois, je me barrerai d’ici et je me trouverai un travail pour économiser et venir te voir. Je sais que je n’ai pas été un bon filleul mais tu me manques, Marraine. Je compte les jours en attendant de te revoir. J’espère que de ton côté, tu es heureuse, que ce soit avec une fille ou un garçon. Prends soin de toi.
Je t’aime.
AlexRedonne-moi, redonne-moi l'autre bout de moi
Débris de rêves, le verre se fêle
Redonne-moi la mémoire de ma… peut-être sève ? Peut-être fièvre ?
Redonne-moi pour une autre fois le goût de vivre, un équilibre
Redonne-moi l'amour et le choix, tout ce qui fait qu'on est roi
Juin 1980 - 17 ans
— Sainte Mangouste, Londres, UKT’es pas obligée de m’apporter à bouffer tous les jours ! s’amuse Alex en voyant le énième paquet de biscuits que lui tend Maddy. Assis dans son lit d’hôpital, le Poufsouffle admet que les visites de son ange gardien l’aident à garder le moral et penser à autre chose que l’attentat qui a frappé son école. Il était en train de descendre les escaliers quand un pan de mur s’est effondré sur lui et d’autres élèves, lui fracturant la cheville au passage. Il a réussi à s’en sortir grâce à des professeurs qui évacuaient les étudiants. Physiquement, il est certain de se remettre rapidement grâce au Poussos et à beaucoup de repos. Psychologiquement, c’est une toute autre histoire. Il a vu des enfants mourir sous ses yeux et des camarades en sang. Ces images resteront longtemps gravées dans sa mémoire et c’est la raison pour laquelle le soutien de Maddy lui est indispensable. Par son humour et toute la tendresse qu’elle lui voue, elle parvient à éclipser les nuages et éclaircir son ciel.
Tout en partageant ses biscuits avec elle, Alex décide d’esquiver les questions de la jeune femme sur son moral pour aborder des sujets plus réjouissants.
Je crois que j’ai une idée pour mon stage de l’année prochaine ! J’aimerais demander au professeur Griffith si je peux postuler à la réserve d’Orphée. J’adore ses cours et je me dis… j’sais pas peut-être que je pourrais travailler avec les créatures magiques. J’adorerais ça. Il l’attend avec impatience, ce stage. Alex aimerait rentrer le plus rapidement possible dans la vie professionnelle pour se prouver qu’il est capable de subvenir seul à ses besoins. Prouver que même un enfant rejeté par ses parents puisse réussir sa vie sans le soutien de sa famille. Néanmoins, il persiste tout de même un membre de son clan pour l’aimer de manière inconditionnelle…
Et au fait… J’ai reçu une lettre de ma marraine ce matin. Elle devrait bientôt pouvoir venir au Royaume-Uni. Comme souvent, il voit une ombre passer sur le visage de Maddy. Il imagine sans mal que la jeune femme est par défaut hostile à sa famille et qu’une sorte de rivalité s’est installée sans le savoir entre les deux femmes. Pourtant Alex les aime infiniment et se doute qu’elles pourraient fort bien s’entendre. Dans ses souvenirs, sa marraine avait la même vivacité et la même combativité que la Poursuiveuse.
Je suis sûr qu’elle te plairait et qu’elle t’aimerait beaucoup. Je lui parle souvent de toi, tu sais. Il affirme cela sans aucun sous-entendu, il n’en est pas encore à jouer les entremetteurs pour sa Marraine. Il ignore même si elle voit quelqu’un en ce moment… mais pour l’heure, il rêve de leurs retrouvailles et d’aller de l’avant pour éviter de ressasser un passé bien trop sombre à son goût.