I’d always known I was strange,
I never dreamed I was peculiar
I've tried to leave it all behind me
But I woke up and there they were beside me
And I don't believe it but I guess it's true
Some feelings, they can travel too
Septembre 1955
— Poudlard, EcosseElles sont indissociables. Dans le train, les autres enfants se sont amusés à chercher des différences entre les deux fillettes et pourtant, les sœurs Black se ressemblent comme deux gouttes d’eau. Tant qu’elles n’ouvrent pas la bouche, il est impossible de savoir qui est Mordrana et qui est Alma. Quand ils ont engagé la conversation, ils ont remarqué que l’une avait plus d’assurance que l’autre. Une manière de parler bien plus éloquente, des mots plus appuyés et un regard assuré. La deuxième regardait surtout le bout de ses bottines en triturant un pan de sa cape, semblant économiser ses paroles pour observer les autres en silence.
Alma n’est pas à l’aise en compagnie d’étrangers, d’autant plus que cette rentrée à Poudlard génère en elle une angoisse sans précédent. Il n’y a que la présence de sa sœur qui l’apaise. Mordrana est sa moitié, chacune sait ce que ressent l’autre en cet instant précis et sa jumelle sait pertinemment pourquoi Alma s’est serrée contre elle sur la banquette. La petite fille préfère que ce soit elle qui monopolise la conversation. Elle ne saurait pas quoi dire aux autres de toute manière et cela lui laisse le temps de s’évader dans ses pensées. Pour l’heure, une idée l’obsède : elle a eu la vision d’une séparation avec sa jumelle et cela la terrifie. Elle n’a pas osé le dire à Mordrana, elle a encore l’espoir que sa vision soit erronée. Si seulement c’était vrai…
En vérité, dans quelques heures aura lieu la cérémonie de répartition et le Choixpeau enverra Mordrana chez les Verts et argent, comme leurs parents l’espéraient. Cependant, Alma connaîtra un autre destin. Lorsque ce maudit chapeau clamera “Serdaigle”, la gamine lancera un regard chargé d’effroi à sa moitié. Elle en pleurera pendant une bonne partie de la nuit car sa jumelle lui lancera un regard chargé d’incompréhension et de reproches. Pour tout ce qui va les éloigner, pour ce que leurs parents vont penser, ce que la société verra en cette fille Black dans une autre maison que Serpentard.
Oh there it is again, sitting on my chest
Makes it hard to catch my breath
I scramble for the light to change
Début 1969
— Manoir des Black, LondresA vingt-cinq ans, Alma se tient toujours en retrait derrière sa sœur. Mordrana est son bouclier dès qu’elles côtoient trop de monde et ce soir, en l’occurrence, la demeure des Black est pleine à craquer. C’est un grand jour pour Mordrana, après avoir fait ses preuves auprès du Seigneur des Ténèbres, elle va recevoir la Marque tant attendue. Alma est bien soulagée que sa jumelle soit le centre de l’attention, ça lui permet de se faire oublier. Ainsi, les convives ne pensent pas à l’interroger sur ses convictions qui sont loin de ressembler à celles des Puristes qui l’entourent. Victoria, leur soeur cadette, se pavane parmi les invités avec cette espièglerie qui lui est si chère. Elle est l'enfant terrible de l'étrange trio que forme les soeurs Black. L'enfant rebelle que personne n'est parvenu à dompter. Cela arrange Alma, ses soeurs font diversion. Pour se rassurer, elle s’accroche au bras de Charles Travers, cet époux qui lui a été imposé par ses parents pour faire perdurer la pureté de leur sang. Elle ne déteste pas Charles, ils s’entendaient même plutôt bien pendant leur enfance. Cependant elle continue de penser qu’un mariage à dix-huit ans était un peu prématuré, d’autant plus qu’elle a dû renoncer à un amour de jeunesse pour lui… Bien que cette relation soit bancale, Alma tente de s’en accommoder. Depuis sept ans de vie commune, leurs familles attendent impatiemment la naissance d’un héritier qui ne vient pas. Parfois, elle se surprend à jalouser la liberté de sa jumelle qui a refusé tout mariage et toute obligation à fonder une famille. Cela étant, elle sait qu’elle n’est pas en droit de lui en vouloir. S’il y a une personne à blâmer, c’est elle-même : elle aurait dû avoir assez de poigne pour s’opposer à leurs parents. Elle aurait dû leur dire non dès sa plus tendre enfance pour affirmer ses propres choix et ses opinions. Les idéaux puristes qu’on tente de lui fourrer dans le crâne ne lui parlent pas et semblent absurdes mais il est difficile de tenir tête à ses géniteurs.
Ce soir, cependant, tout va basculer au sein de la famille Black. Le Seigneur des Ténèbres leur a fait grâce de sa présence pour orner l’avant-bras de Mordrana de son symbole reconnaissable entre tous. Alma l’évite au maximum, choisissant des angles diamétralement opposés de la pièce pour que son regard ne se pose pas sur elle. Il pourrait fort bien la confondre avec sa jumelle et engager la conversation avec elle. Éventualité qui l’angoisse fortement. Pour ne pas devenir l’objet d’une méprise, Alma remonte ses manches pour découvrir ses avant-bras. Que tout le monde voie bien qu’elle n’est pas marquée, qu’elle n’est pas sa sœur. Elle l’aimera toujours malgré le chemin qu’elle emprunte mais elle ne veut pas la suivre pour autant. Cependant, ses parents nourrissent l’espoir qu’Alma serve à son tour le Seigneur des Ténèbres. Cela étant, la jeune femme n’a pas fourni les preuves suffisantes de son allégeance.
"Il faudra que tu t’y mettes, toi aussi…" L’ancienne Serdaigle sursaute. Elle n’avait pas vu ses géniteurs s’approcher pour lui reprocher son manque d’engagement dans l'œuvre des Mangemorts. Sa mère est inquiète, elle l’entend dans sa voix.
"Je n’y tiens pas, Mère," souffle-t-elle sans lâcher sa sœur du regard.
"Et pourquoi donc ?" s’insurge son père.
"Je refuse de servir une cause perdue." La bombe est lâchée. Heureusement que Mordrana est trop loin pour l’entendre… D’un geste sec, le patriarche empoigne sa fille par le bras pour qu’elle le regarde en face. Cela lui rappelle les nombreuses corrections que sa sœur et elle ont reçues étant enfant. Lorsqu’il entre dans ces colères noires, Alma redevient la petite fille craintive qu’elle était. Mordrana s’est toujours efforcée de la protéger de la violence de son père mais ce soir, elle est sous le feu des projecteurs. Cela faisait bien longtemps qu’il n’avait pas repris le dessus sur sa fille et encore moins en public. Alma espère qu’il n’osera pas lever sa baguette contre elle comme avant. Pas maintenant qu’elle est adulte et encore moins depuis qu’elle est passée sous la protection de son mari.
"Je peux savoir à quoi tu joues ? Le jour de la cérémonie de ta sœur, qui plus est ?" Il est furieux, croyant qu’Alma joue les provocatrices pour se faire remarquer.
"J’ai eu une vision, Père. Le Lord va finir par s’effondrer et il perdra tous ses pouvoirs. Je vous jure que c’est la vérité !" Peu désireux de régler ses comptes familiaux devant tout le monde, Black senior entraîne Alma dans une pièce adjacente pour laisser éclater sa colère. Ce soir, Alma quittera le manoir familial sans embrasser sa jumelle. La dernière réception mondaine réservée aux Sangs purs à laquelle elle acceptera de se présenter.
You're always on my mind
You're always on my mind
1969
— Urgences pédiatriques de Sainte Mangouste, LondresAlma pénètre dans Sainte Mangouste en compagnie de Serene Travers, sa belle-sœur. Elle tient son neveu de quelques mois dans les bras le temps que Serene signale sa présence aux urgences pédiatriques. Le nourrisson est fiévreux depuis deux jours et son état inquiète sérieusement sa famille. Prête à apporter son aide, Alma a proposé d’accompagner la jeune femme. Elle s’installe avec le nouveau-né sur les bancs de la salle d’attente et le berce doucement en caressant sa joue. Lorsque la jeune maman revient s’installer à ses côtés, elle semble un peu moins inquiète.
"Ils ne vont pas tarder à le prendre en charge." Alma acquiesce avec un sourire en lui rendant son fils.
"Tout va bien se passer, ne t’inquiète pas." Très vite, le petit garçon est appelé par les infirmières pour être conduit auprès d’un médicomage. L’ancienne Serdaigle caresse l’épaule de sa belle-sœur, lui adressant un sourire pour lui assurer qu’elle l’attendra ici.
N’ayant rien d’autre à faire, Alma jette un regard autour d’elle, lançant des regards compatissants aux enfants souffrants qui attendent leur tour. Soudain, la jeune femme sursaute en entendant qu’on balance un chargement sur le banc juste à côté d’elle. En tournant la tête, elle s’aperçoit que c’est en réalité une petite fille qu’un homme vient de laisser tomber en lui ordonnant sèchement de ne pas bouger. La gamine étouffe un gémissement et Alma entrouvre la bouche, choquée par tant de brusquerie. L’homme semble être en colère et fait de grands gestes à l’accueil des urgences. L’enfant est clairement en souffrance, comment peut-il se conduire de la sorte avec elle ? Ne pouvant résister devant tant d’injustice, l’ancienne Serdaigle se penche sur la petite fille.
"Qu’est-ce qui s’est passé, ma puce ?" En pleurs, la gamine tente de lui expliquer qu’elle est tombée dans les escaliers mais Alma peine à la croire. Au vu du comportement de cet homme, elle soupçonne qu’il est d’un naturel violent avec elle. Et après tout, l’excuse des escaliers n’est-elle pas la plus courante lorsqu’on est victime de maltraitance ?
"C’est ton papa là-bas ?" L’enfant acquiesce timidement.
"Comment tu t’appelles ?" Son visage tuméfié la chavire de l’intérieur, et pourtant Alma tente de garder son calme.
"Emma. J’ai pas trop l’droit de parler…" A travers ses larmes, elle jette des regards apeurés en direction de son géniteur.
Alma descend de son banc pour s’agenouiller face à elle et caresser sa main. La colère fait bouillonner le sang qui coule dans ses veines à l’idée que ce père ait pu la battre si fort. Si elle pouvait, elle emmènerait cette petite fille loin de lui pour la protéger.
"C’est lui qui t’a fait ça ?" La lèvre inférieure de la petite fille se met à trembler, elle évite son regard pour ne pas confesser l’horrible vérité. Alma jette un regard derrière elle pour s’assurer que l’homme ne revient pas de si tôt.
"On peut t’aider, ma grande. Si tu as besoin de protection, il faut le dire au docteur qui va t’ausculter." La petite fille lève un regard implorant dans sa direction, terrorisée.
"S’il vous plaît, non… Il va me punir…" Le cœur d’Alma se fendille. Si elle était sûre de ne pas être poursuivie, elle prendrait l’enfant dans ses bras et forcerait la porte d’un médecin pour rester avec elle. Pourtant son géniteur revient.
"Qu’est-ce que vous faites avec ma gosse ? Laissez-la, vous voyez bien qu’elle a mal !" A qui la faute ? C’est la question qui brûle les lèvres d’Alma mais au vu du gabarit de l’homme, elle n’a pas le courage de riposter. En silence, la jeune femme se retire et rejoint l’accueil de l’hôpital.
"Je voudrais signaler un cas de maltraitance, s’il vous plait," annonce-t-elle. Elle ne laissera pas ce monstre s’en tirer de la sorte, il faut sauver cette petite fille. Alma ne le sait pas encore mais de cette rencontre tragique naîtra une vocation. Dans quelques mois, elle entamera une formation pour intégrer les services sociaux d’aide à l’enfance. Ainsi que des démarches pour devenir famille d’accueil. Qu’importe l’avis de Charles, ils ne parviennent pas à avoir d’enfant de toute manière…
And I never minded being on my own
Then something broke in me and I wanted to go home
To be where you are
But even closer to you, you seem so very far
1971
— Maison des Travers, Londres"Laisse-la Alma, elle est grande…" Charles tente de la retenir par le coude mais la jeune femme se dégage. D'un geste sec, elle repousse les draps du lit conjugal et quitte leur chambre pour rejoindre celle de la petite fille. Certes, à son âge, on ne pleure pas en se réveillant d'un cauchemar mais Emma n'est pas comme les autres enfants. Son passé traumatique ressurgit aux heures les plus sombres de la nuit et elle a besoin de réconfort, pas d'être ignorée ou grondée.
Les réflexions de Charles agacent prodigieusement Alma, lui qui ne s'est jamais intéressé aux enfants, il pense pouvoir donner son avis à tort et à travers sur leur éducation. Sans compter qu'il ne sait rien de tout ce que sa femme apprend en formation. Depuis plusieurs années, l'ancienne Serdaigle étudie pour devenir éducatrice. Pour Charles et sa mentalité quelque peu arriérée, elle apprend à devenir mère… N'ayant pas de descendance depuis leur mariage, il pense que sa femme est stérile et que cette formation parviendra à la guérir. A chaque fois qu'il évoque le sujet, Alma lève les yeux au ciel sans pour autant rechigner. A quoi bon argumenter pour lui expliquer que sa formation lui permettra d'aider des enfants en difficulté à trouver une famille digne de ce nom ? L'époque dans laquelle elle vit et son éducation puriste, cependant, lui laissent croire que ce problème de fertilité vient d'elle. Tant pis, la petite fille qu'elle héberge chez elle la comble de bonheur. Elle vient d'obtenir l'autorisation de devenir famille d'accueil et elle a fait des pieds et des mains pour récupérer Emma. Depuis leur rencontre à l'hôpital, son souvenir ne cessait de la hanter.
Poussant doucement la porte de la chambre d'Emma, la jeune femme éclaire ses pas du bout de sa baguette. Soudain elle entend que la petite fille suspend sa respiration. Un mauvais réflexe hérité de toutes ces années de mauvais traitements.
"Emma, que se passe-t-il ?" demande-t-elle d'une voix douce. Elle entend la gamine remuer sous les draps mais aucune réponse ne vient. Alma décide donc de s'asseoir au bord de son lit, braquant sa baguette dans sa propre direction plutôt que dans les yeux de la fillette. Au moins, elle pourra constater qu'il n'y a aucune colère visible chez Alma.
"Je veux que tu saches que je suis là pour toi, même si tu ne veux pas mettre de mots sur ce que tu ressens." Emma ne loge chez les Travers que depuis quelques jours, il lui faudra du temps pour prendre ses marques. Pour l'heure, elle cache comme elle peut ses démons derrière sa pudeur. Elle finit par briser le silence en s'excusant d'une toute petite voix et le cœur d'Alma se serre aussitôt. C'est là tout ce qu'elle a retenu de son éducation traumatique ? S'excuser pour des fautes qu'elle n'a pas commises ?
"Non Emma, il n'y a rien à pardonner. Tu as le droit d'être triste ou d'avoir peur et d'exprimer ce qui te fait tant de mal. Et si tu as besoin de... " La jeune femme n'a pas le temps de finir sa phrase, elle sent qu'un petit corps se glisse contre elle pour l'entourer de ses bras. Les sanglots d'Emma repartent de plus belle mais cette fois, Alma est là pour cueillir chaque larme et apaiser ce cœur en souffrance. Pour être plus à son aise, la jeune femme se déplace pour s'adosser contre la tête de lit. Peu importe ce que pense Charles, elle restera autant de temps qu'il faudra pour câliner la petite fille et l'aider à se rendormir.
And now I'm reaching out with every note I sing
And I hope it gets to you on some pacific wind
Wraps itself around you and whispers in your ear
Tells you that I miss you and I wish that you were here
1976
— Maison des Travers, LondresLes hurlements d’Emma se sont perdus en ricochant entre les murs de la demeure Travers. A genoux sur le carrelage froid de son hall d’entrée, Alma reste prostrée, pleurant toutes les larmes de son corps sans que rien ne puisse la consoler. Les services sociaux sont venus chercher Emma pour la rendre à ses parents et cela la rend malade d’inquiétude. Une enquête probablement bâclée a estimé qu’on pouvait rendre la petite fille à ses bourreaux. Après cinq ans de paix passés chez les Travers, les services sociaux lui ont annoncé qu’elle retournait en enfer. Et devant les supplications de l’enfant, ils ont reproché à Alma de lui avoir donné trop d’amour et de s’être trop attachées l’une à l’autre. L’ancienne Serdaigle est devenue folle de rage. Comment refuser la tendresse a un être qui a été martyrisé toute sa vie durant ? C’est tout simplement inhumain. La jeune femme les a avertis de la violence qui régnait dans ce foyer mais ils l’ont ignorée au profit de leur enquête et de leur objectif de réunir les familles malgré tout.
En apprenant la nouvelle, la jeune fille s’est blottie dans les bras d’Alma en l’implorant de ne pas les laisser l’emmener. L’ancienne Serdaigle l’a serrée le plus fort possible contre sa poitrine, réprimant un sanglot en l’embrassant sur le front. Elle avait l’impression que cette fois, les violences qu’Emma subirait seraient de son fait. Parce qu’elle était incapable de se dresser contre ce système absurde. Les employés des services sociaux se faisant plus insistants, la petite s’était mise à pleurer, communiquant sa terreur et sa peine à Alma.
"Je te retrouverai, je te le promets," lui a-t-elle murmuré.
"J’ai eu une vision, on se reverra, mon ange." Une prémonition l’avait frappée de plein fouet, lui annonçant qu’on lui enlèverait Emma pour mieux la retrouver quelques années plus tard. Et avant cela, il fallait survivre à cette douleur incommensurable. Les personnes chargées de récupérer la jeune fille ont dû la ceinturer pour l’arracher aux bras d’Alma. Finalement, la force ne suffisant pas, un sortilège a été employé pour les séparer, projetant la jeune femme en arrière.
Pour l’instant, Alma est incapable de se relever. Elle les a vus emmener Emma sans pouvoir changer le cours de son destin et espérant de tout coeur que sa vision se concrétisera.
And if I stay home, I don't know
There'll be so much that I'll have to let go
You're disappearing all the time
But I still see you in the light
1978
— Pensionnat Syndrigasti, LondresLes premiers pensionnaires de Syndrigasti sont en train de s’installer dans leurs dortoirs. Alma s’active pour faire vivre ce pensionnat qui vient d’ouvrir ses portes. Elle est fière de son parcours professionnel, après 5 ans de formation, elle a travaillé pendant deux ans au sein d’un foyer avant de le quitter pour monter le sien. Désormais c’est elle qui est en charge de ce petit monde et même si elle aimerait qu’il y ait moins d’enfants en détresse dans cette ville, elle est heureuse de les accueillir ici. Elle aide un groupe de garçons à agencer les lits dans leur dortoir quand soudain, un éducateur frappe à la porte.
"Pardon de vous interrompre miss Travers mais nous avons une nouvelle pensionnaire qui vient d’arriver. Ce n’était pas prévu mais les enquêteurs sociaux l’ont orientée chez nous." Alma se retourne, le sourire aux lèvres.
"Bien sûr, faites-la entrer. Continuez sans moi les garçons, je reviens dans quelques minutes." Elle suit l’éducateur pour descendre l’escalier principal du pensionnat. Elle s’appuie sur la rampe par précaution mais son employé lui propose sa main.
"Vous devriez vous asseoir, vous risquez d’avoir un choc." Alma néglige la main tendue et poursuit son chemin, amusée qu’il soit si attentionné.
"Allons Dorian, je ne suis pas en sucre."Pourtant, elle aurait dû prendre la peine de s’asseoir. Arrivée à la porte du foyer, elle découvre avec stupeur qui l’attend sur le perron.
"Emma…" Son Emma. Avec le visage tuméfié et le regard complètement brisé. L’émotion de la retrouver après deux ans et la souffrance de voir qu’elle a encore été passée à tabac provoquent un étourdissement chez la jeune femme. Elle vacille mais Dorian est prévoyant, il la rattrape en glissant un bras autour de sa taille. A son tour, Emma accourt pour la soutenir. Alma n’en croit pas ses yeux, son cœur tambourine et menace d’éclater dans sa poitrine tandis que les larmes lui montent aux yeux. Après s’être assurée qu’elle a retrouvé sa stabilité, Dorian laisse les deux jeunes femmes seules pour ces retrouvailles si émouvantes.
Tentant d’éviter les zones tuméfiées de son visage, Alma caresse la joue d’Emma et l’embrasse avec tendresse. Entre deux sanglots, elle parvient à articuler ces mots d’excuses qu’elle rumine depuis deux ans.
"Je n’aurais jamais dû te lâcher, pardonne moi…" Elles restent enlacées plusieurs minutes, essayant en vain de calmer ce tsunami d’émotions qui s’est abattu sur leurs cœurs. Elles ont tant de choses à se dire qu’elles ne savent pas par où commencer.
"Qu’est-ce qui s’est passé ?" demande-t-elle à propos de son visage. Et encore, elle se doute qu’il n’y a pas que cette partie de son pauvre corps qui est blessée.
"Les voisins ont porté plainte pour tapage nocturne," répond Emma en esquivant le véritable sujet de cette discussion.
"Ils ont définitivement perdu ma garde." Un soupir de soulagement s’échappe des lèvres d’Alma. Elle la serre un peu plus contre elle en déposant un baiser sur sa chevelure d’or.
"Je ne les laisserai plus t’approcher, je te le jure." La jeune fille pose sa tête contre son épaule en souriant. Ses mains caressent le dos d’Alma, elle ne veut pas rompre le contact avec elle, elle a tant manqué d’amour qu’elle ne veut plus jamais repartir. Après de longues minutes, l’ancienne Serdaigle se détache de sa pupille et chasse les dernières larmes de ses joues.
"Allez viens, je te montre ta chambre, bienvenue chez toi."For you, the shadows fight
And it's beautiful but there's that tug in the sight
I must stop time traveling, you're always on my mind
1979
— Pensionnat Syndrigasti, LondresSon poing serré renferme une pierre qu’il a subtilisée dans l’allée en feignant de renouer ses lacets. Alma le sait, le projectile lui est destiné si elle fait un pas de plus. Les mains levées devant elle, elle tente de raisonner le adolescent qui lui fait face.
"Liam, je sais que tu as peur mais tu dois te calmer." Dans le dortoir, tout le monde a les yeux rivés sur eux. Les enfants autant que les éducateurs sont stupéfaits de constater autant de violence chez l’adolescent. Le lit qui lui a été attribué est retourné alors qu’il n’a pas passé sa première nuit dedans. Sa valise éventrée gît sur le sol avec toutes ses affaires éparpillées autour de la table de chevet qu’il a également renversée.
"J’ai pas peur ! N’approchez pas !" prévient-il en levant la main qui retient la pierre. Derrière elle, Alma entend l’assistance frémir, mais elle ne bouge pas d’un pouce.
"Je n’approche pas Liam, regarde personne ne te menace. Je vais demander à tout le monde de sortir pour que nous discutions tranquillement, d’accord ? Les traits crispés, le jeune garçon regarde tour à tour Alma et ses collaborateurs, craignant sans doute que l’un d’eux ne lui saute dessus pour l’immobiliser. Cependant, la directrice du pensionnat vient de tendre le bras dans leur direction pour les inciter à garder leurs distances.
"Vous êtes sûre, Miss Travers ?" ose demander l’un d’entre eux. Alma ne prend pas la peine de tourner la tête : elle ne veut pas lâcher le garçon du regard.
"Absolument. Je ne risque rien, Liam ne me fera aucun mal." Ce n’est pas un pari insensé : elle voit bien dans la posture de l’adolescent qu’il est effrayé et qu’il n’attaquera que s’il se sent menacé. Or ce n’est pas la frêle silhouette d’Alma qui suscitera une quelconque panique chez lui. Il a été renvoyé de ce précédent foyer car il s’est battu avec un instructeur et elle ne compte pas le provoquer de la sorte pour son premier jour.
En quelques secondes, les éducateurs font sortir les enfants du dortoir et les laissent en tête à tête. Ce n’est qu’après avoir entendu la porte claquer que la jeune femme se redresse. Sans s’en rendre compte, elle avait légèrement courbé l’échine en posture défensive. Liam semble également se détendre en abaissant son bras. Prête à instaurer le dialogue, Alma redresse une chaise qui a volé au sol et s’y installe, une jambe croisée par-dessus l’autre.
"Tu n’as rien à craindre, tu es dans un lieu sûr." "Arrêtez de répéter ça, j’ai pas peur !" s’écrie le gamin effronté. Alma observe quelques secondes de silence le temps de laisser retomber la pression.
"Derrière ta colère, tu masques à quel point tu es angoissé. Tu peux le cacher à tout le monde mais moi, je la vois. Et ce n’est pas grave d’avoir peur. J’aimerais seulement comprendre pour mieux t’aider." Toujours debout, Liam laisse échapper un ricanement.
"M’aider… Vous allez me renvoyer au bout d’une semaine comme les autres." L’ancienne Serdaigle acquiesce en silence, balayant le dortoir du regard pour évaluer les dégâts qu’il a causés.
"Si tu continues à détruire l’espace de vie de tes camarades, ça ne fait aucun doute mais crois-moi je n’abandonnerai pas au bout d’une semaine. J’ai bien plus de patience que cela." Le terme d’abandon produit un réflexe chez le jeune homme, Alma le remarque à ce petit tic sous son œil droit. Cependant, il continue de la tester.
"Vous voulez parier ?" Un air de défi trône dans son regard, Alma sait que ce n’est qu’une façade pour être craint et respecté. Cela étant, ce n’est pas ainsi que fonctionne son établissement.
"Tu peux te faire haïr par tes compagnons de chambrée et même tout le pensionnat si tu le souhaites. Et ils auront toute la légitimité de ne pas t’aimer si tu continues à être désagréable et à détruire les biens qui leurs sont chers mais ça ne marchera pas avec moi. Je suis ici pour m’assurer du bien-être de tous et trouver un foyer pour ceux qui le désirent, pas pour être aimée ou détestée. En revanche, je suis impitoyable envers ceux qui voudraient causer le moindre tort à mes enfants. En fais-tu partie ?" Elle voit bien aux réactions du jeune garçon qu’il ne s’attendait pas à ça. Peut-être était-il habitué à des adultes qui tentaient de crier plus fort que lui auparavant ? Alma n’élève jamais la voix, ce n’est pas sa manière d’éduquer ceux qui se trouvent sous son toit. A force, elle a appris à cerner la personnalité des gamins qui étaient recueillis ici.
"Je sais qu’à ton âge, très peu d’enfants sont adoptés. Les couples veulent des enfants plus jeunes, souvent des bébés et ils délaissent les plus grands en se berçant d’illusions pour évacuer leur culpabilité. Je ne peux pas connaître la douleur que ça provoque dans ton cœur, elle n’appartient qu’à toi mais je peux la comprendre." Peu à peu, le visage défait de Liam laisse tomber le masque qu’il s’efforçait de porter. Convaincue d’être sur la bonne voie, Alma poursuit.
"Toutes les journées d’adoption se ressemblent, n’est-ce pas ? Les couples ne prennent pas le temps de venir te parler et avec le temps, tu n’arrives pas à le justifier auprès des plus jeunes qui te demandent pourquoi tu ne trouves pas de papa et de maman. Alors depuis quelques années, tu modifies ton comportement pour te rendre détestable. Ainsi, les autres pensent que c’est pour cela qu’on ne t’adopte pas et tu les laisses se conforter dans cette idée parce que c’est plus facile pour tout le monde." La lèvre inférieure de Liam se met à trembler. Elle le perce à jour bien mieux qu’aucun autre éducateur avant elle.
"D’abord tu te fais haïr des enfants, puis des éducateurs qui finissent par te renvoyer et te voilà baladé de foyer en foyer parce que tu préfères te faire passer pour un garçon violent plutôt que d’admettre que tu souffres de cet abandon. Ça te tue de l’admettre mais tu recherches une famille, n’est-ce pas ?" Cette fois, une larme coule sur la joue de l’adolescent. Son regard empli de colère finit par se diluer et rompt le contact avec Alma. Fixant ses chaussures, il lâche la pierre et renifle bruyamment. C’est le moment que choisit la jeune femme pour s’approcher de lui. Elle pose délicatement une main sur son épaule, n’approfondissant pas plus le contact pour lui laisser de l’espace.
"Nous pouvons être ta famille jusqu’à ce que tu trouves la tienne, Liam. Tout le monde ici est prêt à t’accueillir les bras ouverts, nous n’avons jamais laissé personne sur le bord de la route. Tu n’es pas obligé d’apprécier chaque individu qui vit ici, mais ne les repousse pas. Ils te tendent la main et moi aussi."Le jeune garçon relève enfin la tête pour lui adresser un regard où elle croit percevoir de la reconnaissance.
"Je suis prête à pardonner beaucoup de choses ici, sois-en certain. Mais je ne vous autorise en aucun cas à lever la main les uns sur les autres, c’est bien clair ? George a six ans, il est curieux et toujours très enthousiaste à l’idée de rencontrer de nouveaux enfants. Il n’aurait pas dû débouler ainsi sur ton lit pour te saluer mais ta réaction était extrême, tu comprends ?" Tout penaud, le gamin acquiesce en ravalant un sanglot. Alma sourit, convaincue que l’orage est passé.
"Bien. Nous dînons dans une demi-heure, cela te laisse le temps de ranger tout ce désordre. Tu en profiteras pour t’excuser auprès de George. J’enverrai Emma te chercher pour qu’elle te montre le chemin du réfectoire. Elle a ton âge, je suis sûre que vous vous entendrez bien."And I never minded being on my own
Then something broke in me and I wanted to go home
To be where you are
But even closer to you, you seem so very far
Eté 1979
— Pensionnat Syndrigasti, LondresPendant l’été, le pensionnat Syndrigasti a reçu bon nombre de lettres en provenance de Poudlard. Assise à son bureau, Alma prépare les bannettes où s’entasse le courrier. Convocations à Poudlard dans la première, missives personnelles dans la seconde et les colis dans un petit chariot. Lorsqu’on frappe à la porte, Alma se redresse et autorise ses invités à entrer d’une voix claire. Radieuse, Emma entre suivie de Liam et de son éternel air renfrogné.
"Vous nous avez fait demander Miss Travers?" s’enquiert la jeune fille. Devant les autres enfants, elle garde un peu de distance avec Alma, cela vaut mieux pour tout le monde. Comme à son habitude, Liam garde ses mains enfoncées dans ses poches et rase les murs.
"Oui, les courriers de Poudlard sont arrivés et j’aimerais que vous les remettiez à leurs destinataires. Comme nous avons reçu beaucoup de colis cette semaine, j’ai pensé que des bras supplémentaires ne seraient pas de trop pour cette tournée." Elle adresse un sourire à Liam dont les lèvres s’étirent furtivement. Il se rapproche enfin du bureau. Depuis son arrivée, Alma lui confie beaucoup de responsabilités pour qu’il serve d’exemple aux plus jeunes. Cela a influencé son comportement qui s’est assagi, il a enfin trouvé sa place dans ce foyer. Aujourd’hui, elle souhaite l’impliquer dans une nouvelle tâche : distribuer les convocations à Poudlard. Oh elle pourrait confier cette mission aux elfes de maison qui servent ce pensionnat, mais elle préfère que ce soit les plus âgés qui portent cette bonne nouvelle aux plus petits. Cela renforce les liens entre les enfants et cela permet à Liam de s’intégrer encore plus. Emma lui a facilité la tâche avec sa jovialité naturelle : depuis leur rencontre, il ne la lâche plus. Alma soupçonne qu’il éprouve des sentiments à son égard mais ce secret n’appartient qu’à eux deux. Prête à les laisser partir, Alma se lève et contourne son bureau pour leur remettre le courrier. Soudain, elle perd l’équilibre en posant le pied sur une bille qui a malencontreusement roulé jusqu’à son bureau. Liam s’empresse de la retenir par le bras avant qu’elle ne tombe.
"Attention Miss !" C’était moins une ! Alma se redresse, surprise par cette chute.
"Et bien merci de m’avoir épargné un moment gênant !" le gratifie-t-elle en reprenant ses esprits. Après s’être assuré qu’elle soit stable, Liam se baisse pour ramasser la bille.
"C’est à Sophia, j’en suis sûr ! Elle laisse traîner ses jouets partout !" Son air bougon est de retour mais Alma l’apaise d’une caresse sur la nuque.
"Elle ne l’a pas fait exprès Liam, ne soit pas trop dur avec elle… Tu n’auras qu’à lui ramener quand vous distribuerez le courrier." D’un regard, elle invite ses pupilles à se mettre au travail. Cependant, elle retient Emma par le bras pour murmurer à son oreille.
"Veille à ce qu’il ne la gronde pas trop. Je sais qu’il a eu peur mais ce n’était pas sa faute, elle n’a que quatre ans." Un clin d'œil complice et Alma relâche la pression sur le bras d’Emma.
And now I'm reaching out with every note I sing
And I hope it gets to you on some pacific wind
Wraps itself around you and whispers in your ear
Tells you that I miss you and I wish that you were here
Eté 1979
— Pensionnat Syndrigasti, LondresLa respiration de Sophia commence à devenir régulière. Lovée contre sa poitrine, la petite fille serre la chemise d’Alma entre ses doigts. Il est presque minuit et la cadette du pensionnat s’est réveillée en pleurs, tourmentée par d’affreux cauchemars. C’est Emma qui a volé à son secours la première, suivie quelques minutes plus tard par Alma. La jeune femme a décidé de faire quitter le dortoir à la petite fille le temps de l’apaiser. Emma est restée pour veiller à ce que les autres pensionnaires se rendorment. Comme toujours, Sophia a rêvé du croquemitaine et de ses affreuses dents pointues. Alma connaît par cœur ce cauchemar mais elle n’interrompt jamais la petite fille lorsqu’elle lui raconte ses angoisses. La directrice du pensionnat a pris l’habitude de l’emmener dans son bureau pour calmer ses terreurs nocturnes avant de la remettre dans son lit et cette nuit-là ne fait pas exception à la règle. Installée dans le sofa avec la petite blonde dans ses bras et Hector roulé en boule contre sa cuisse, Alma la berce doucement en caressant son dos et sa chevelure.
Lorsque la porte de son bureau s’ouvre, elle relève la tête et sourit en reconnaissant Emma. Sa douce Emma qui vient étendre une couverture sur elles pour que leur directrice n’ai pas froid. A son tour, elle prend place sur le canapé et pose sa tête contre l’épaule d’Alma. Attendrie, la jeune femme libère une de ses mains pour caresser la joue de l’adolescente.
"Merci… Tu devrais retourner te coucher," murmure-t-elle. Emma secoue doucement la tête, se blottissant un peu plus contre celle qu’elle considère depuis longtemps comme sa véritable mère.
"Je reste avec toi, je ramènerai Sophia dans son lit quand elle se sera rendormie. Je ne dormais pas de toute façon." Alma sourit de plus belle. Elle affectionne particulièrement la relation qu’elle a noué avec les plus âgés de ses pensionnaires. Ceux qui n’ont pas encore de foyer ont trouvé en elle la figure maternelle qu’ils recherchaient.
"Il te manque déjà, pas vrai ? C’est pour ça que tu n’arrives pas à dormir ?" La respiration d’Emma change, elle a vu juste. Cet après-midi, Liam a été adopté par un couple d’un certain âge et il a dû faire ses adieux à ses amis du pensionnat. Ce fut un déchirement de le voir quitter Emma, et Alma mentirait si elle affirmait que cela ne lui a causé aucune peine.
"Je sais que c’est égoïste mais il me manque," confesse l’adolescente.
"A moi aussi," souffle Alma.
"Mais nous devons nous réjouir qu’il ait trouvé une famille. Et après tout, vous pourrez vous revoir quand vous le souhaitez. Ce n’est pas comme s’il avait quitté Londres." Elle sent que la jeune fille acquiesce de nouveau. Pour l’apaiser, Alma tend le cou pour déposer un baiser sur son front. Soudain, une porte claque au rez-de-chaussée. Alma se redresse immédiatement et dépose la petite Sophia dans les bras d’Emma.
"Reste ici, je vais voir ce que c’est."Sans plus attendre, la jeune femme tire sa baguette et s’élance hors de son bureau. Si un intrus ose pénétrer dans son pensionnat, il va être bien accueilli… Pourtant, ce n’est pas un voleur qu’elle trouve au bas des escaliers. Hagard et transi de froid, un jeune garçon erre dans le hall comme une âme en peine.
"Liam ? Qu’est-ce que…" Elle n’a pas le temps de finir sa phrase, l’adolescent court se jeter dans ses bras, sanglotant comme un enfant.
"J’ai pas pu rester, j’ai pas pu…" Effarée, Alma le serre tout contre elle pour le réchauffer et le rassurer.
"Qu’est-ce qui s’est passé ? Liam, tu es gelé…" Le gamin est incapable de parler, trop secoué et essouflé. Parvenue en haut de l’escalier, Emma les observe sans parvenir à croire ce qu’elle voit. Vite, elle s’empresse de recoucher Sophia et descend à sa rencontre munie de la couverture qu’elle avait posée sur Alma quelques minutes plus tôt. Elle la jette sur les épaules de son ami et se joint à leur étreinte pour lui apporter son soutien.
"Ils sont pas comme vous, il n’y a rien qui m’attend là-bas. Ils veulent juste un gamin pour bosser dans leur épicerie mais ils m’aimeront jamais comme vous," parvient-il à articuler.
"Je me suis enfui dès qu’ils se sont couchés et j’ai traversé la ville à pied. J’veux plus partir, j’veux rester ici Miss Travers. S’il vous plait…" Alma remarque alors l’hématome qui se forme à l’angle de sa mâchoire. Le gosse a dû se rebeller face au manque de sensibilité de ceux qui souhaitaient l’adopter. C’est bien la première fois qu’un enfant lui revient dans cet état… Resserrant son étreinte autour de ses épaules, Alma caresse doucement sa nuque pour le rassurer.
"Bien sûr que tu peux rester, j’irai les voir demain pour annuler le contrat d’adoption. Ils ne lèveront plus jamais la main sur toi, je te le promets." Du bout des doigts, elle essuie les larmes du jeune homme et dépose un baiser sur sa tempe.
"Va donc te coucher, tu es épuisé. On en rediscutera demain." Posant enfin son regard sur Emma, elle lui intime silencieusement l’ordre d’accompagner Liam jusqu’au dortoir des garçons. Restée seule dans le hall, l’ancienne Serdaigle soupire. Elle ne pensait pas que cette nuit serait aussi mouvementée pour les enfants. Ses enfants. Même s’ils ne sont pas d’elle, elle les considère comme sa chair et son sang jusqu’à ce qu’ils trouvent une famille digne de ce nom. Demain, elle règlera ses comptes avec ceux qui l’ont dupée pour pouvoir exploiter Liam. Pour l’heure, elle va se débattre contre sa culpabilité car malgré sa faculté à voir l’avenir, son don ne lui a pas permis d’épargner à Liam cette terrible mésaventure.
We all need something watching over us
Be it the falcons, the clouds or the crows
And then the sea swept in and left us all speechless
Speechless
Juin 1980
— Gare de King’s Cross, LondresAnxieuse, Alma attend sur le quai de la voie 9 ¾, son regard opérant des allers-retours entre l’horloge de la gare et l’horizon. Elle n’est pas seule : derrière elle se tiennent certains éducateurs qui ont tenu à l’accompagner. Aujourd’hui, ses enfants vont lui être rendus mais les vacances ne commenceront pas dans la joie et la bonne humeur. Poudlard a été frappé par de terribles attentats et la direction de l’école est contrainte de rendre les étudiants à leurs parents pour des raisons de sécurité. Cette direction, Alma lui en veut terriblement. Comment ont-ils fait pour ne pas voir qu’une série de bombes étaient entreposées dans le château et qu’un traître vivait parmi eux ? Ce genre d’incident ne se serait jamais passé au pensionnat Syndrigasti, c’est certain. Du moins, c’est ce qu’elle se répète pour ne pas perdre la face. Elle, au moins, connaît les enfants dont elle a la charge, elle se soucie d’eux et ne les accueille pas à la pelle pour renflouer les caisses de son établissement. La rumeur dit que Dumbledore pourrait être démis de ses fonctions et elle approuverait grandement ce choix. Non pas que ce soit la faute de ce pauvre homme, mais pour que cela serve d’exemple et que le personnel s’intéresse davantage aux élèves vivant sous son toit.
La catastrophe est passée et par chance, aucun de ses pensionnaires n’a trouvé la mort pendant l’attaque. Certains ont été blessés mais sans gravité et pourtant, le coeur
d’Alma brûle dans sa poitrine. Ses enfants ont été mis en danger et elle se trouvait dans l’impuissance la plus totale. Elle se déteste tout autant qu’elle déteste son don. Ce don qui ne lui a servi à rien pour épargner tant de souffrances. Ses visions lui arrivent souvent dans le plus grand désordre et sont parfois des réminiscences du passé et lire l’avenir dans les cartes est on ne peut plus incertain. Or elle aimerait disposer de toutes les informations possibles avant de prendre des décisions concernant ses enfants. Le sifflement du train brise soudain le silence pesant de King’s Cross et Alma se redresse, le cœur battant la chamade. Les minutes précédant l’ouverture des portes sont insoutenables, la jeune femme aimerait courir sur le quai pour les ouvrir elle-même et retrouver ses pupilles mais elle reste raisonnable. Il faut qu’elle reste là où elle est, près de la seconde arche en briques rouges. C’est le point de ralliement pour tous ses pensionnaires. Où qu’ils soient dans le train, ils savent qu’Alma gardera le même emplacement et ne partira que lorsqu’elle aura retrouvé tout le monde.
Enfin, les wagons s’ouvrent, libérant un flot interminable d’élèves. Elle ne le voit pas, mais tous les parents arborent la même expression inquiète qu’elle. Seul Merlin sait dans quel état ils retrouveront leur progéniture. L’attentat s’est produit la veille et tant de hiboux se sont envolés de Poudlard la nuit dernière que certains courriers ont pu s’égarer en chemin. Un premier groupe d’enfants de Syndrigasti se précipite soudain à sa rencontre, puis un deuxième, un troisième. Certains élèves lui adressent un sourire timide pendant que d’autres s’accrochent à sa taille pour trouver du réconfort.
"Je suis là, tout va bien vous êtes en sécurité maintenant. L’étau qui broyait son cœur relâche peu à peu son emprise mais la peur est toujours présente. Liam descend enfin du train et court à sa rencontre pour prendre ses mains tremblantes dans les siennes.
"J’ai bien cru qu’on n’arrivait jamais ! Tout le monde est là ?" Sous ses airs de frondeur, il ne peut lui cacher le soulagement d’être enfin rentré loin de ce champ de ruines. Alma lui adresse un pauvre sourire, réprimant les larmes qui commencent à lui monter aux yeux.
"Il ne manque qu’Emma... parvient-elle à articuler. Et comme si le fait de prononcer son nom pouvait la faire apparaître, la jeune fille descend enfin du train. Elle porte sa valise ainsi que celle d’un petit garçon dont le bras est maintenu en écharpe. Laissant Liam rejoindre le groupe, Alma la suit du regard déposer cette valise auprès de ses parents avant de courir dans sa direction. La directrice du pensionnat ne tient plus en place et décide de venir à sa rencontre. Elle aime profondément tous les enfants du pensionnat mais si on lui avait annoncé la disparition de l’adolescente, elle n’aurait certainement pas survécu à la douleur de la perdre. Lorsqu’Emma se précipite dans ses bras, Alma la serre le plus fort possible pour évacuer ses angoisses. Une première larme roule sur sa joue avant qu’elle ne craque définitivement. Sa main se glisse dans les cheveux de la jeune fille.
"J’ai eu tellement peur, confesse-t-elle en se défaisant pour une fois de sa pudeur.
"Je sais, moi aussi." La voix d’Emma est secouée par les sanglots. Alma ferme les yeux. Elle a besoin d’embrasser sa joue, de respirer son odeur et de calmer toutes ses angoisses de mère même si la jeune fille n’est pas de son sang. Et tant pis si cela fait jaser. On a beau ne pas être en droit d’avoir un enfant préféré, s’il était arrivé malheur à Emma, Alma ne s’en serait pas relevée.
- Questionnaire de Proust:
*Qu'est-ce qui pourrait briser complètement votre personnage ? La mort de sa jumelle.
*Quel a été le meilleur moment de sa vie ? Le jour où elle a retrouvé Emma au pensionnat Syndrigasti
*Quel a été le pire moment de sa vie ? Le jour où elle a appris à ses parents qu’elle ne souhaitait pas rejoindre les rangs de Voldemort. Une terrible tempête s’est déchaînée chez les Black. Et le jour où on lui a arraché Emma pour la rendre à ses parents.
*Quel souvenir même insignifiant reste toujours dans sa mémoire ? Les après-midis d’été où elle jouait à cache-cache avec sa sœur dans les jardins de la demeure familiale.
*Votre personnage travaille-t-il dans le but de se payer ses hobbies ou les utilise-t-iel à défaut pour combler les moments de la journée où iel ne travaille pas ? Elle ne vit que pour les enfants du pensionnat, c’est un sacerdoce. Elle aurait du mal à se dédier à autre chose qu’un peu de lecture en fin de journée.
*Qu'est-ce que votre personnage aurait du mal à avouer ? Elle en veut à sa sœur de ne pas l’avoir défendue devant leurs parents lorsqu’il a été question de rejoindre les Ténèbres.
*Quel rapport votre personnage a-t-iel au sexe ? Elle est complexée par sa maigreur et a terriblement peur de lâcher prise.
*Combien d'amis a votre personnage ? Très peu, elle côtoie surtout ses collègues éducateurs.
*Combien d'amis voudrait avoir votre personnage ? Un peu plus, parfois la solitude lui pèse.
*A propos de quoi votre personnage pourrait-iel faire une scène en public ? Pour défendre quelqu’un d’autre, en particulier un enfant. Sinon, quand il s’agit d’elle, elle se laisse marcher sur les pieds.
*Pour quoi votre personnage serait-iel prêt/e à donner sa vie ? Pour sauver la vie d’un de ses enfants, Emma surtout.
*Quel est le principal défaut de votre personnage ? Elle se montre souvent hautaine pour s’affirmer face à des adultes.
*De quoi votre personnage se préoccupe-t-iel ? Le bien-être des enfants dont elle a la charge. Et celui de ses sœurs.
*De quoi votre personnage a-t-iel peur ? Du jugement de ses pairs, et surtout de sa sœur jumelle.
*Sa vertu préférée ? L’abnégation
*La qualité qu'iel préfère chez un homme ? La faculté de lire dans ses pensées pour anticiper ses attentes
*La qualité qu'iel préfère chez une femme ? La créativité, elle a besoin de s’évader en écoutant les autres parler
*Son principal trait de caractère ? Maternelle, protectrice
*Ce qu'iel apprécie le plus chez ses amis ? Le fait qu’ils ne la comparent pas à sa jumelle
*Son occupation préférée ? Lire des romans le soir avant de se coucher
*Son rêve de bonheur ? Entretenir des rapports moins compliqués avec sa jumelle et obtenir le pardon de ses parents.
*Ce qu'iel voudrait être ? Une femme sûre d’elle et bien dans son corps
*Le pays où iel désirerait vivre ? L’Italie, dans le Sud.
*Sa couleur préférée ? Le pourpre
*Sa fleur préférée ? Le jasmin.
*Ses auteurs favoris ? Jane Austen, Emily Brontë, Virginia Woolf
*Ses héros préférés dans la fiction ? Jean Valjean, dans Les Misérables de Victor Hugo
*Ses héros dans la vie réelle ? Les enfants dont elle a la garde
*Le personnage historique qu'iel déteste ? Grindelwald, c’est lui qui a commencé avec ses histoires de puristes, non ?
*Le héros/l'héroïne historique qu'iel admire ? L’actuelle Ministre de la Magie, Millicent Bagnold. Un modèle de féminisme et de progressisme.
*Son plat et sa boisson préférés ? Elle mange peu, en vérité, elle fait partie de ces gens qui mangent pour vivre et non qui vivent pour manger. Elle carbure surtout au thé.
*Ce qu'iel déteste par-dessus tout ? La maltraitance des enfants
*Le don de la nature qu'iel aimerait avoir ? La confiance en soi
*Comment iel aimerait mourir ? Pour une noble cause
*Son état d'esprit actuel ? Elle ne sait où donner de la tête, de plus en plus d’enfants arrivent dans son pensionnat, elle aurait besoin de main d'œuvre supplémentaire.