Going under [Nollan]

Ténu, le son des pas se répercutait en écho dans l’escalier circulaire qu’empruntait le jeune sorcier. Thomas avait fait de la discrétion l’un de ses points forts. Habitude née d’une expérience malheureuse, pour ainsi dire, ayant bien trop souvent poussé l’adolescent à parcourir des lieux dans lesquels il n’avait guère à se trouver. Cette nuit encore, c’était le cas. Mais ce n’était pas dans les ruelles de la cité anglaise que le garçon déambulait, à la recherche d’un couvert. Ici il l’avait, et pourtant, l’enfant avait troqué le confort de sa couette pour une virée nocturne, malgré les interdictions en vigueur.

Le chemin était plus que long, entre la haute tour des Gryffondor et les cuisines. Il fallait, pour ainsi dire, traverser presque l’entièreté du château. Une fois vidé de ses occupants, alors que seule la lumière blafarde de la lune filtrait par les carreaux des fenêtres, le lieu paraissait… sinistre. Hanté, il l’était déjà, par tous ces fantômes qui  traversaient les murs sans crier gare -et eux aussi, à leur manière, patrouillaient parfois pour dénicher les contrevenants. Mais il y avait autre chose, de plus pesant. Un silence lourd, qui laissait place à l’imagination et aux angoisses, et faisait cruellement écho à l’horreur qui avait secoué les murs inviolables du château quelques mois plus tôt.

Nerveux, Thomas l’était. C’était un sentiment qui ne le quittait plus vraiment. Qui l’avait rendu agité, méfiant. Même envers ce qu’il aurait dû considérer comme acquis. Car à ses yeux, rien ne l’était jamais, et surtout pas la sécurité. Il était attentif au moindre bruit, à la moindre ombre mouvante le long des pierres, alors qu’à pas de loup il progressait dans les couloirs jusqu’à son objectif. Car c’était la faim qui lui tenaillait les entrailles. Encore et toujours cette même faim, dont naissait cette même douleur qui finissait toujours par le rendre malade. Ces vacances prolongées avaient été une épreuve pour son jeune organisme, et lui avaient fait perdre beaucoup de poids. Masse qu’il peinait à reprendre malgré les quelques semaines s’étant écoulées depuis la rentrée. Parce que tout ça, toute cette bouffe, ça l’écoeurait. Ça le rendait malade, autant que ça lui était vital.
Alors il fraudait. Volait. Ca aussi, c’était une sale habitude née de l’expérience. Celle de ne compter que sur lui, même si ça allait à l’encontre des règles. Et à Poudlard, il n’en était plus à son premier coup d’essai. Cette route pour aller jusqu’aux cuisines, et ses chemins de traverse, il les connaissait par coeur.

C’est un bruit distinct, dans ce même escalier, qui lui fit relever la tête. Là, au-dessus de lui, à plusieurs marches de là, il y avait quelqu’un d’autre. Quelqu’un qui venait d’emprunter l’escadrin de pierre. Peut-être était-ce simplement le fait du hasard, ou avait-il été repéré ? S’il accélérait, Thomas savait qu’il ferait forcément davantage de bruit, plus qu’il n’en ferait déjà en poursuivant à vitesse normale. Mais s’il ralentissait pour amoindrir le son produit par ses pas, alors l’autre personne lui tomberait immanquablement dessus. Et s’il s’agissait d’un adulte, ce qui était fort probable à cette heure, il était même certain que ce dernier comble la distance en un rien de temps. Pas le choix donc…

D’un bond, le Gryffondor dévala les marches, faisant fi de l’écho de ses foulées se répercutant dans les environs, et sauta les quatre dernières. C’était de la distance dont il avait besoin, avant que l’adulte n’arrive en bas des marches. D’ici-là, il trouverait une cachette. Arrivant dans le cellier qui s’étendait au bas de l’escalier et marquait d’une certaine manière l’entrée de la zone des cuisines, le garçon enjamba des sacs de farine et alla se faufiler entre des tonneaux entreposés dans un coin. Là, tapis dans l’ombre, il n’avait plus qu’à attendre que l’autre passe, ou abandonne. L’ennui c’est que cet escalier était le seul accès pour atteindre la zone des cuisines, et de ce fait l’unique moyen d’en ressortir. Peut-être… peut-être qu’avec un peu de chance l’entrée de la salle commune des Poufsouffle se trouvait dans le coin, et que la personne allait s’y rendre, ou penser que le fuyard s’était réfugié là-bas. Ce fut sur cette considération que le garçon retint jusqu’à son souffle lorsqu’il vit l’ombre se profiler en bas des marches.

Depuis que j’avais investi l’ancien lieu d’apprentissage de Blondie, je m’y sentais un peu comme chez moi. Même si j’aimais pas forcément la grisaille écossaise et la nourriture qui allait de pair. La bouffe britannique, j’en étais pas friand. Et la demi-Vélane, tout comme mon Parrain étaient pleinement au courant de cet état de fait. Ça me manquait un putain de bon hamburger dans un bon diner à New-York, ruisselant de cheddar fondu et de bacon grillé. Au lieu de ça, je devais me contenter de trucs pas facilement identifiables, alors que parfois, je mangeais à la table des professeurs, pour que les étudiants puissent s’habituer à ma présence -sans pour autant grimacer ; ce qui était un exploit avéré-. Les autres Aurors en surveillance, ne prenaient pas cette peine. Moi, je trouvais ça chouette de mettre un visage souriant sur des personnes inconnues qui avaient pour boulot de protéger toutes ces petites têtes pensantes.

Et pour lesquelles, un sourire n’était pas une sinécure. J’en avais déjà repéré des âmes en peine perdues et esseulées. Des esprits qui auraient tout donné pour ne pas être là. De ceux et celles qui étaient de véritables têtes, alors que d’autres avaient quelque peu la bougeotte et pouvaient rapidement nous feuler dessus, si on s’approchait de trop. Cet exemple, il venait pas de nulle part. Parce que c’était un petit gars, attablé à la table des Rouge et Or, qui me filait cette impression et mon intuition se trompait pas, généralement. Y’avait quelque chose d’étrange chez lui, qui, bien qu’il me fallût le protéger comme les autres, me donnait envie d’en faire plus. Sans que je m’explique pourquoi. Là encore, c’était mon instinct et rien d’autre. Et, je me doutais pas que j’y allais être confronté, pas plus tard que ce soir.

Alors que je prenais une pause bien méritée dans le Parc de Poudlard, une cigarette fichée entre les lèvres, tout en corrigeant à la hâte l’un des parchemins que Meredith m’avait envoyés, -malgré que je bossasse dans le Château pour la surveillance et que foncièrement j’avais pas vraiment le temps ; mais Meredith était pas le genre de nana à contredire-, je me disais que même si je crachais sur les mets servis dans l’établissement britannique, bah j’avais clairement un petit creux. Mais, j’attendrais la soirée, après ma ronde pour vérifier que tout va bien. Que tout le monde était en sécurité et que moi, je pouvais alors dormir sur mes deux oreilles. Terminant ma clope, tout en jetant un regard ambré au Lac Noir, je me disais qu’il était temps d’officier. Tout en passant apporter ma réponse pour mon apprentie, à la volière.

Accrochant la lettre à la patte d’un hibou que je vis partir vers Londres, je me concentrais à nouveau sur mon boulot. Attendant que chaque étudiant ait regagné son dortoir sans encombre, m’accordant même des remerciements des demoiselles de septième année, toutes Maisons confondues. Et, avec un sourire, je m’imaginais l’ancienne Serpentard et son petit copain évoluer dans les mêmes couloirs, alors que pour moi, ceux d’Ilvermorny étaient bien plus sûrs. Mais … on était là, non ? Enfin, je faisais partie de ceux et celles qui défendaient les opprimés et les sans défense. Et tous ces élèves étaient la raison principale pour laquelle, je me levais chaque matin. Surtout aujourd’hui. Avec un sifflement, -j’étais seul et Poudlard était impressionnant à ce moment-là-, je me dirigeais vers les cuisines. Je savais que c’était pas loin de la Salle Commune des Poufsouffle. Descendant les marches à pas de loup, pour pas me faire gauler comme un gamin et pas qu’on croit que je faisais du cinéma, j’avais cette impression que justement, j’étais plus vraiment seul.

Y’avait quelqu’un non loin.
Fronçant mes sourcils, j’avais mon instinct qui s’était mis en branle, conscient à la fois que ça pouvait être un intrus ou un gosse, qui avait une fringale nocturne. Instinctivement, je penchais pour la deuxième option.

- Tu peux te montrer, je vais pas te bouffer. Lâchais-je avec une voix douce où perçait mon accent américain que j’avais pas perdu du tout. Même si ça faisait un petit moment, qu’on pouvait me compter comme citoyen de la capitale anglaise. Je m'appelle Nollan. Ça servait toujours à quelque chose de se présenter. C'était du moins, ce que j'avais conclu avec les années. Sans me tromper.

A chaque seconde, le son des pas se répercutant dans le colimaçon se faisait plus net, plus puissant. Attestant de l’approche inéluctable de celui que Thomas considérait comme un “intru”. Il pouvait même en déduire qu’il s’agissait probablement d’un adulte, ou d’un septième année, car le pas était trop pesant pour appartenir à quelqu’un de son âge. Probablement un homme. Et l’enfant en vint presque à retenir son souffle lorsque sa silhouette se profila.

Tapis dans l’ombre des tonneaux, à l’instar d’un animal sauvage, le jeune Gryffondor guettait. Tous ses sens étaient aux aguets, et l’adrénaline faisait battre son coeur à tout rompre. Au moindre mouvement, à la moindre opportunité, il semblait prêt à détaler. De là où il se trouvait, il ne pouvait voir la personne qui venait de pénétrer le cellier. Mais, projetée par les torches, l’ombre de ce dernier ornait le mur face à lui. Et elle avait cessé de bouger, lui interdisant toute retraite par les escaliers. Les sourcils de Thomas se froncèrent finement alors qu’une conclusion s’imposait à son esprit : ce type savait qu’il était dans le coin et avait dû l’entendre. Très vite, il en eut la confirmation alors qu’une voix aux consonances américaines s’éleva pour l’inviter à sortir de sa cachette.

La mâchoire du jeune Gryffondor se crispa, marquant davantage l’angle de sa mandibule. Il était clair que le garçon tenait du chat sauvage et ne comptait pas aisément dévoiler sa position. Pourtant… avait-il une autre possibilité ?  Oh il pouvait toujours faire la sourde oreille, rester discret et tenter de ne pas se faire voir, mais la manœuvre risquait d’être compliquée si l’adulte en venait à se déplacer et s’avançait dans la pièce. Il ne pouvait pas contourner l’empilement de tonneaux, et si ces derniers lui offraient l'obscurité pour cachette, ils formaient cependant un barrage infranchissable sans se faire remarquer. S’aplatir entre les sacs ?  Un œil averti remarquerait la différence de tissu.
De fait, s’il jouait sur la patience de son “interlocuteur”, il risquait de l’élimer et perdre au jeu. Dans ce cas, mieux valait adapter la stratégie, et prendre le contre-pied.

Pestant dans son fort intérieur, Thomas masqua son air revêche et contrarié, profitant de la présentation de l’américain pour faire un peu de bruit afin d’attester du fait qu’il sortait de sa cachette. L’enfant avait pris un air quelque peu penaud, derrière lequel transparaissait une certaine confiance, celle propre aux garnements à l’aise avec les autres.

« J’comptais pas voler, monsieur. » glissa le blond en levant un oeil vers l’adulte.

D’un regard, il détailla ses traits, le jaugea, estima le danger qu’il pouvait -ou non- représenter. Ce gars là ne faisait pas parti du corps enseignant. Il s’agissait forcément d’un auror ou d’un tireur d’élite. Alors Thomas comptait bien faire en sorte de l’amadouer.

« Vous allez pas me punir, dites ?  J’vous jure que je vais retourner au dortoir. »

L’américain ne serait sans doute pas dupe, Tommy ne se faisait pas d’illusions à ce sujet, mais là n’était pas le but de la manœuvre du garçon. Le gryffondor le testait, afin de savoir à qui il avait à faire et ainsi mieux s’adapter. Encore une sale habitude née de douloureuses expériences, mais nécessaires à sa survie. Parce que la vie ne souriait pas aux plus honnêtes, mais assurément aux plus malins.

Au fur et à mesure que le temps défilait, tous les indices m’indiquaient que je m’étais pas trompé. Que j’étais finalement pas seul. Et qu’avec moi, se trouvait réellement un individu. Dont, je ne savais pourtant pas encore l’identité, cependant. Mais, tout me faisait penser à un élève de toute manière, et non un adulte. Car un adulte, se serait dévoilé probablement instantanément tout en tâtant le terrain et en masquant ses propres intentions. Or ici, toute mon intuition me soufflait qu’il n’y eût rien à craindre mais que je devais me doter d’une certaine patience. Parce que l’inconnu ne me jugeait pas assez de confiance pour sortir de sa « tanière », qui, se trouvait assurément derrière des gros objets qui feraient sûrement un barrage convaincant, si je l’attaquais.

Néanmoins, je m’étais présenté. Assuré déjà de lui offrir une proximité. Et ma voix, s’était faite douce, comme à l’accoutumée. Après tout, -et pour l’instant-, y’avait rien de malsain. Juste … j’attendais. Avec un petit sourire en coin, que le jeune homme ou la jeune demoiselle daigne sortir de sa cachette pour avoir une petite discussion avec moi. Ce fut lorsque j’entendis tout un panel de bruits, que je compris qu’enfin, l’élève avait daigné s’extirper de son refuge. Et … c’était celui qui ressemblait à un petit chat sauvage, qui se trouvait en face de moi. Le petit gamin, qui avait pas l’air de faire confiance facilement.

Mon regard ambré le détaillait, alors qu’il tentait une affirmation ou un mensonge. M’accroupissant devant lui, pour éviter encore de le surplomber avec ma hauteur d’adulte, je consentis à lui répondre, non sans avoir entamé ma réponse par un rire doux, qui n’était clairement pas là pour me moquer mais qui signifiait à lui seul, que ouais, il m’attendrissait le petit bonhomme :

- Si t’étais pas là pour voler, qu’est-ce que tu faisais ici alors ? J’avais pas dit ça sur un ton où s’insinuait le reproche, j’avais dit ça avec un sourire qui ornait à la fois ma bouche et mes iris. En ce qui concerne ta punition, je suis pas habilité à le faire. Moi, mon job, c’est de te ramener dans ton dortoir. Sain et sauf.

Mais … pas de suite apparemment. Car mon estomac s’était mis légèrement à gronder et que ça s’était entendu, étant donné le silence qui avait suivi mes propos. Octroyant une grimace contrite à mon interlocuteur, je me redressais lentement, jugeant que moi aussi, j’étais peut-être un peu venu fouiller les Cuisines du Château. Même si je disais que la bouffe britannique était bien moins bonne que l’américaine, il n’empêchait que mon ventre me criât soudainement le contraire.

- Okay bon. Qu’est-ce que tu me conseilles ? Un silence. Je te fais confiance mon gars, pour trouver un truc à grignoter qui parviendra à calmer le dragon dans mon estomac. J’eus un petit rire, avant de lui demander avec un peu plus de sérieux : … étant donné que je me suis présenté. Quel est ton prénom ? C’est pas pour te punir, c’est pour être à égalité.

La vie n’était qu’une lutte constante. C’est ce qu’avait appris Thomas à ses dépens, en se trouvant séparé de sa famille bien trop jeune. Et une fois exclus de ceux qui auraient donné leur vie pour leurs proches, on ne pouvait plus faire confiance à personne. Parce que l’humain reste un animal, et que chaque animal pense à sa survie, à ses propres intérêts. Et si ce fait est avéré dans le règne animal, il est encore plus criant chez l’homme. Parce qu’un chien, un chat, ou même un loup, ça n’a rien de fourbe.
Et Tommy avait toujours été un gamin intteligent, malicieux. Si autrefois ses neurones ne s’agitaient que pour les farces et les grandes découvertes, à présent c’était pour, lui aussi, arriver à ses fins. Et n’ayant ni l’avantage de la force, du nombre ou de la richesse, il se devait d’être plus malin que tous les autres.

Malgré la méfiance dont il pouvait faire montre, le gamin ne paraissait pas si farouche. Plutôt à l’aise, et joueur. De ce genre d’enfant facétieux, mais attachant, qui ne pense pas à mal. C’était un masque que le jeune Winchester s’était aisément forgé, puisqu’il correspondait à ce qu’il aurait pu être si les choses n’avaient pas tourné au drame dans sa courte vie. Alors il comptait bien en jouer pour amadouer l’adulte face à lui.
Enjambant les sacs alors qu’il plaidait son innocence, il posa sa main sur l’un d’eux, feintant la maladresse alors qu’il revenait dans l’allée centrale du cellier. Face à lui, l’américain n’était ni duppe ni stupide, et releva dans un rire l’évidence-même avant de souligner le fait qu’il n’était pas en mesure de le punir. Les iris saphir du petit blond dévisagèrent un instant l’adulte, avant de se parer d’un éclat malicieux lorsque l’estomac de ce dernier se manifesta. Vraisemblablement, c’était un but commun qui les avait amenés à tous deux se retrouver ici. Malgré cette hypothèse et l’air assez détaché qu’il revêtait, Thomas restait néanmoins sur ses gardes. Ce n’était pas parce que ce type, Nollan, se montrait sympa en cet instant qu’il ne le balancerait pas une fois son propre objectif atteint.

Un sourire malicieux avait fendu le visage de l’adolescent à la question de ce qu’il supposait être un auror. Parce que si un gars comme lui se présentait à la cuisine, il ne s’agirait guère d’un vol : un elfe aurait tôt fait de lui donner ce qu’il désirait, si tant est qu’ils ne soient pas en train de dormir. Mais une réticence passa sur son visage, sous la forme d’un léger froncement de sourcils, lorsqu’on lui demanda son prénom. Cette dernière fut cependant rapidement envolée à l’explication donnée. Des Thomas, il y en avait assez pour qu’il ne risque pas grand chose en donnant cette simple réponse. En revanche, une interrogation se fit dans son esprit, sous la forme d’une petite voix entêtante qu’il chassa au mieux.

« Thomas. » répondit-il simplement.

Ceci fait, il laissa l’adulte le rejoindre avant de s’avancer vers les cuisines. Rapidement, le doux fumet des pâtisseries qui avaient été d’ores et déjà préparées pour le petit déjeuner du lendemain vinrent chatouiller ses narines, invoquant à leur tour un petit gargouilli dans l’estomac du jeune rouge et or. Ce dernier fronça très légèrement les sourcils, crispant un court instant sa mâchoire. S’il avait malheureusement l’habitude de cette désagréable sensation, il craignait toujours qu’elle n’éveille d’autres douleurs. Ce qui arrivait parfois, de façon assez aléatoire. Une angoisse, tapie, qui avait tendance à agiter l’adolescent.
Cette agitation, elle était de plus en plus palpable, malgré les efforts déployés par Thomas pour paraître à l’aise. Son regard était plus vif, passant d’un élément à l’autre sans réellement s’y attarder, comme s’il guettait ou cherchait quelque chose entre les étagères sur lesquelles s’amoncelaient ingrédients et plateaux d’argent remplis de mets sucrés. Et pour le moment… pas l’ombre d’un elfe !

« Les scones sont plutôt bons, avec de la marmelade. » signala-t-il en pointant l’un des plateaux du doigts.

Lui, ce qu’il aurait sans doute pris s’il ne s’était pas retrouvé dans cette situation, c’était quelque chose de léger et facile à emporter ou cacher, comme des cookies, ou un bout de pain. Maintenant, ce qui lui faisait particulièrement envie, c’était une bonne tranche de brioche avec de la confiture d’orange confite.

Mon petit interlocuteur semblerait en avoir vécu des histoires. Et pas franchement très jolies. Il suffisait de l’observer plus en détails pour s’en rendre compte. Y’avait des signes qui trompaient pas vraiment. La manière dont il restait tout de même en retrait, malgré cette apparence joviale qui était née sur ses traits enfantins. Y’avait ce quelque chose de plus « sombre » et de pas très joli qui émanait de lui. Ouais, il avait peut-être eu des merdes dans sa vie. Et ça me faisait serrer les mâchoires, parce que c’était injuste. Même si je savais pas encore son prénom et qu’il s’était pas présenté officiellement.

Dans mon âme, y’avait mon instinct de protecteur qui faisait son cheminement. En plus de mon boulot d’Auror, j’étais responsable de la sécurité des ces têtes pensantes qui étaient le futur du monde sorcier. Comme quand j’en parlais à Blondie, tout le monde se devait d’être sauvé. Peu importe les pouvoirs ou sans. Tout ce qui importait, c’étaient ces êtres qui foulaient le sol de la Terre. Et, ceux qui étaient sans défense étaient quant à eux, les plus vulnérables. Et ce petit chat sauvage, ce petit Womatou, il en faisait clairement partie. J’eus un large sourire lorsqu’il m’annonça son prénom sans pour autant entrer dans des détails insipides. En même temps, j’avais fait pareil. Alors, je pouvais pas m’attendre à plus, non ?

- Enchanté Thomas. Mains dans les poches, je suivais mon petit guide avec intérêt, parce que mon estomac s’était rappelé à moi et que je pouvais décemment plus l’ignorer. Les odeurs étaient folles. Attirantes. Alléchantes. Et, ouais, fallait que je nourrisse le dragon dans mon ventre. Moi qui restais tout de même très friand de tout ce qui était dégoulinant de cheddar et de gras …

Fronçant légèrement mes sourcils, je l’observais en silence le petit Womatou. Avec cette confirmation qu’il avait peut-être jamais mangé à sa faim ? Parce qu’il contemplait tout. Ne savait pas où poser ses prunelles et surtout, il était tendu. Trop tendu. De peur de se faire surprendre alors que j’étais là et qu’il risquait rien. Si jamais, on tombait nez-à-nez avec l’un de ses professeurs, je lui sortirais une banalité affligeante : j’avais faim et j’ai demandé à ce gosse que je raccompagnais à son dortoir, s’il avait pas des petits tips. Suffisait que je souris et que mes iris ambrés pétillent pour que ça fonctionne. Je prendrais tout sur moi, j’étais pas élève de toute façon et je perdrais pas de points ou je ferais pas face à une retenue. Donc …

- Tu me conseilles donc des scones avec de la marmelade ? J’obtempérais pour ce choix plus qu’éclairé. Me saisissant d’un petit gâteau anglais que je mettais en bouche et d’une cuillère en bois, pour ouvrir le pot. … tu veux quoi toi ? J’avais donné un large coup de crocs dans le scone qui était alors à moitié dévoré tandis que je le tartinais de marmelade. T’as tout ton temps Thomas. Prends ton temps. Puis, si un de tes profs débarque, je dirais que j’avais une fringale nocturne et que j’ai pas hésité à te demander. On me dira rien. Même si je paraissais sympathique et éternellement adolescent, il suffisait que je sois bien moins souriant, pour que mes interlocuteurs prennent peur. Meredith, -même si elle me faisait plus peur-, en avait déjà fait les frais.

Il était évident, au regard des coups d'œil rapides et éclairés, que ce n’était guère la première fois que Thomas venait en ces lieux. Le petit Gryffondor savait où regarder, où chercher pour trouver ce qu’il y avait de plus intéressant dans les grandes cuisines de l’école de sorcellerie. Toujours aux aguets, le jeune sorcier semblait cependant craindre l’arrivée de perturbateurs. Qu’il s’agisse d’un elfe, le concierge, ou encore un professeur. Plus d’une fois il avait manqué de se faire prendre lors de ces escapades culinaires, mais si jamais ce n’était arrivé jusqu’à ce jour, il lui était en outre plusieurs fois arrivé de rentrer bredouille. En même temps… c’était bien la première fois qu’il tombait sur un garant de l’autorité externe au personnel de l’établissement. Et ceux là, les gens comme Nollan, c’était des criminels qu’ils attrapaient habituellement. Autrement dit… il devrait adapter son niveau de combines pour parvenir à ses fins les prochaines fois. Car, clairement, Tommy doutait que tous les tireurs et aurors se montreraient aussi compréhensifs que l’était actuellement leur collègue.

C’est donc vers les scones que le petit anglais dirigea l’américain. Un plat typique, mais une valeur sûre. Il acquiesça donc, derechef, lorsqu’on lui demanda confirmation. Il n’en fallut pas plus pour que l’adulte se saisisse d’une des pâtisseries avec appétit. Il proposa même à l’enfant de se servir à son tour, et sans doute perçut-il l’hésitation et le désappointement dans le regard du plus jeune, car il lui offrit même un alibi.
Incrédule, Thomas l’était. Plus qu’avec un garant de l’autorité, le jeune sorcier avait la sensation d’être en présence d’un adolescent à la fois gourmand et protecteur, ce qui était un peu déstabilisant. Ses iris arrêtèrent malgré tout leur course sur une brioche, dont il prit une part. Se passant néanmoins de confiture, il picora des morceaux de taille raisonnable qu’il amenait à sa bouche. Attentif à ce qui se passait autour de lui, il vint cependant s’asseoir sur un tonnelet reposant non loin de l’endroit où se trouvait l’auror. S’il s’agissait de sa garantie pour être en sécurité en cas d’arrivée d’intrus, autant rester proche de lui.

Peu à peu, son attention se porta davantage sur le sorcier. Il y avait de la curiosité dans le regard bleuté, et le jeune rouge et or semblait peiner à retenir les questions qui s’amassaient dans son esprit. Alors il observait, réfléchissait, analysait tout en picorant son frugal butin.
Jusqu’à ce que l’une d’elle franchisse le seuil de ses lèvres.

« Vous êtes un auror ? Ou un tireur ? »

N’étant guère issu du monde sorcier, Thomas peinait encore à bien discerner les spécificités des uns ou des autres. Il lui en était venu que les aurors, par leur nom, s’opposaient aux ténèbres et de ce fait à la magie noire -un concept encore vague pour l’adolescent-, là où les tireurs… faisaient quoi au juste ? Ce nom lui rappelait terriblement celui de militaires, ou une référence aux armes à feu. C’était ceux en charge de combattre des chasseurs moldus, de ce fait ?
Ce n’est pourtant pas sur ce sujet que s'appesantit le jeune Gryffondor, enchaînant presque immédiatement avec une autre question.

« Vous en avez déjà affronté ? » demanda-t-il, avant de préciser ce qu’il avait réellement en tête. « Des chasseurs. »

Car c’était immanquablement la raison de sa présence ici, n’est ce pas ? Les chasseurs. Ceux qui avaient su atteindre ce qu’on qualifiait d’incartable et de caché aux yeux des moldus. Sauf que dans l’esprit de l’enfant, la réflexion allait fatalement bien plus loin. Des chasseurs, il en connaissait plusieurs. Et il les haïssait, les craignait… c’en était devenu viscéral. Mais parmi eux se cachait un visage ressorti d’outre-tombe. Un père qu’on avait prétendu mort, mais qui était toujours là, bien actif. Et qui, lui aussi, était toujours un chasseur. Un fantôme qui avait fait jaillir bien trop de questions sans réponses, comme sorti tout droit d’un rêve, ou d’un cauchemar, et qui avait disparu l’instant d’après. C’était il y avait tout juste quelques semaines, et l’enfant n’avait dès lors plus de nouvelles. Au point de parfois douter de la réalité de ce qu’il avait vécu ce soir-là. Alors peut-être qu’il y avait quelque part dans ces sorciers qui affrontaient les chasseurs quelqu’un qui pourrait lui dire que, oui, Ethan Winchester était toujours en vie. Mais comment s’en assurer sans qu’un lien ne soit établi entre eux ? Ca, Thomas n’en avait pas la moindre idée.

Si je devais analyser avec plus d'intérêt le petit bonhomme qui était avec moi, mon instinct me soufflait, -et il se trompait généralement pas-, qu'il avait l'air de connaître cet endroit comme sa poche. Il était clairement pas à son premier coup d'essai. Parce qu'il savait, sans se tromper, m'aiguiller pour que je puisse trouver ce qui serait idéal pour me sustenter. À l'inverse, il était pas serein. Une peur sûrement viscérale de se faire prendre alors que mon statut au sein de Poudlard, lui garantissait une certaine sécurité. Il avait rien à craindre, mais y'avait des conditionnements contre lesquels, on pouvait aller contre.

Je me laissais guider alors vers les scones. Conscient que je taperais un croc dans l'une des spécialités britanniques que moi, Américain, je détestais. Mais, la pâtisserie était assez appétissante pour que j'y succombe. Me rendant compte, que c'était appréciable. À la fois délicat et délicieux. Ça ressemblait pas à ce que je pouvais grignoter à Ilvermorny, mais ça ferait l'affaire. Pour cette fois, du moins. Avec un large sourire, je mordais dans ce gâteau typiquement anglais, remarquant que l'adolescent était quelque peu perturbé.

Y'avait une pléthore de questionnements, qui se terraient dans ses iris bleutés. J'en mettrais ma main à couper. Cependant, j'allais pas le brusquer. C'était à lui de parler, s'il le voulait. Moi, bien sûr que je répondrais à ses interrogations, s'il en avait. Prenant une gorgée de jus de citrouille pour faire passer le scone, je l'ai eue, LA question. Avec un tendre sourire, je plantais mon regard ambré dans le sien, avant d'éclairer ses doutes.

- Moi, je suis un Auror. Je lui offrais toujours un sourire rempli d'affection avant de continuer mon laïus. Si tu mentionnes l'autre terme ... tu la connais la différence ? Mon ton était doux, jusqu'à ce qu'il me cueille à nouveau. Balayant mes hypothèses et appuyant mes certitudes : car ouais, il en avait trop vu du haut de ses quoi ? Douze ans, à tout casser ? J'en ai déjà affronté, ouais. Autant en Amérique, qu'ici. C'est pourquoi, je suis présent ici, aussi. L'école de sorcellerie britannique avait besoin de protection, surtout ceux et celles encore innocents qui étudiaient à l'intérieur de ces murs qu'ils ou elles pensaient être saufs, même si parfois, je pouvais douter de mon job.

Mais pas quand je voyais une telle âme innocente à protéger des horreurs de la vie. Même si, je me disais que la sienne avait probablement très mal commencé. Elle était là, ma conviction. Elle était là, mon envie de sauver les autres. Surtout ceux et celles qui n'avaient rien demandé et qui étaient les dommages collatéraux de cette guerre à l'issue totalement dérisoire et incertaine. Moi, c'était ce gosse, que je me devais de protéger. Et, le reste. Toujours.

Rassuré, on ne pouvait pas dire que Thomas l’était totalement. L’adolescent était constamment sur ses gardes, vigilant, même dans des instants d’une grande simplicité en compagnie de ses camarades. Car il suffisait souvent de peu, d’un rien, un détail manqué, et tout pouvait tourner au drame. Alors le petit sorcier s’appliquait à toujours porter son attention sur les détails.

Face à ce garant de l’ordre, c’était dans sa gestuelle, sa position, mais également son accent. Or, si ce Nollan ne semblait pas être une menace -ses mots et ses gestes ne se trahissant pas l’un et l’autre-, celle-ci pouvait venir de l’extérieur. Un peu trop de bruit, une lumière, un éclat, un heurt, la moindre erreur pourrait donner l’alarme. Et quand bien même cet étrange protecteur lui affirmait qu’il le couvrirait le cas échéant, Thomas préférait encore éviter d’en arriver à cette extrémité plutôt qu’avoir à vérifier la sincérité des dires de l’adulte.

Adulte qu’il finit par questionner, tout en picorant sa brioche. A présent, son regard faisait des aller et venues entre la réserve de la cuisine dans laquelle ils étaient, et son singulier interlocuteur. Auror donc.

« Auror c’est… contre les sorciers, et tireur d’élite contre les chasseurs ? » demanda-t-il.

Ca semblait se tenir, dans la petite tête blonde. Deux sources d’ennemis, deux types d’unités pour gérer la situation.

Mais puisque la réponse n’était pas la bonne, celle-ci entraîna fatalement d’autres questions de la part du garçon. Une qui lui brûlait les lèvres, car elle impliquait de manière beaucoup trop directe un domaine qu’il avait cotoyé bien malgré lui. Et surtout… potentiellement quelqu’un qu’il avait perdu de vue.
Or, la réponse qui lui fut apportée généra chez le petit sorcier une certaine nervosité. Déportant le regard sur le côté, il balança légèrement ses jambes l’une après l’autre, ses talons rencontrant alors le fût sur lequel il était assis dans un rythme assez régulier.

Américain donc. Son intuition à ce sujet se trouvait confirmée par les dires de Nollan lui-même, qui précisa qu’il avait tant affronté des chasseurs dans le Nouveau Monde que l’Ancien. Sauf que la famille de Thomas, les Winchester, venaient justement de là-bas. L’Amérique. Où ils étaient chasseurs également depuis plusieurs générations, pour ce qu’en savait l’enfant. En cet instant, le garnement se trouvait soulagé de ne pas avoir mentionné son nom de famille.

« Et les derniers… c’était y’a pas longtemps ? » demanda-t-il en retour.

Volontairement, il resta flou dans ce qu’il entendait par “pas longtemps”, espérant quelque peu que son interlocuteur préciserait les choses par lui-même. Ne serait-ce savoir si c’était pendant ou après l’attaque de juin, ou même avant ou après la rentrée. En réalité, c’était cette dernière information qui importait le plus au petit sorcier, même s’il savait que la probabilité que cet auror soit tombé sur son père était plus que mince.