The rescuer (Luna)

Ses pieds font mal à force de marcher. Ça fait combien de temps que Luna ne pense qu'à ça ? Trop sans doute, sans parler de la fatigue qui se fait ressentir dans l'ensemble de son corps et l'envie de faire une petite sieste là sur le bas côté de la route. Mais elle s'est déjà arrêtée tout à l'heure et si elle veut s'en sortir elle doit avancer. Elle ne sait même pas où elle est exactement. Sûrement en plein milieu de la campagne écossaise bien qu'elle n'en soit plus certaine tant tous ses sens sont désorientés, après tout Poudlard est en Écosse et elle n'a sûrement pas marché assez pour atteindre Londres, ni le moindre village dans lequel elle aurait pu se reposer. Les bras croisés autour de son buste dans un esprit de protection un peu idiot, elle peine de plus en plus à mettre un pied devant l'autre. Elle a tout un tas d'écorchures sur les mains et les bras, sûrement plein de bleus sur ses jambes fatiguées, et même son flan et son dos blessés lorsqu'elle était encore à Poudlard la lancent. Après un soupir, elle glisse ses deux mains sur son visage et jette un coup d'œil aux arbres denses sous lesquels elle refuse de s'abriter même s'ils la protégeraient du Soleil de juin. Elle a déjà eu sa dose, en terme de forêt.

Elle mentirait en disant qu'elle n'a pas eu la trouille lorsqu'elle a fui Poudlard et décidé de traverser seule la forêt interdite. Ça n'avait rien d'une balade sympathique, mais tout du cauchemar dont elle ne pouvait pas se réveiller. La vérité c'est qu'elle a même hésité à faire demi-tour tant l'angoisse était forte par moment. Non seulement la possibilité de rencontrer des créatures magiques et dangereuses – des synonymes, d'après Luna – la faisait paniquer, mais en plus son achluophobie lui a donné du fil à retordre. Son cœur battait à tout rompre, elle avait le souffle court et n'était pas aidée par le stress et puis toute la poussière qu'elle avait inhalée dans le château qui s'écroulait. Parfois il suffisait d'un bruit suspect pour qu'elle se mette à courir dans ces bois pourtant si sombres, qu'importe les chances immenses qu'elle avait de se casser la tronche dans cette foutue forêt. D'ailleurs, elle s'est vautrée tant de fois qu'elle a cessé de les compter. Mais à chaque fois, qu'importe les écorchures, les bleus et la peur, elle s'est relevée. À chaque fois, elle reprenait sa marche au risque de se blesser de nouveau. Parce que c'était toujours mieux que retourner à la maison. C'était toujours mieux que revoir sa génitrice, que le sous-sol, que les rats. Finalement, la forêt semblait moins terrifiante lorsqu'elle réfléchissait à pourquoi elle la traversait. Alors elle s'est accrochée à ça, à tout ce qu'elle fuyait, pour se convaincre que c'était la meilleure chose à faire. Elle a aussi beaucoup pensé à Kaelia et à Papa qui lui manquent terriblement. Ils auraient voulu qu'elle fasse ça, qu'elle essaie d'être heureuse, elle en est sûre. Et elle se l'est répétée encore et encore, jusqu'à voir le bout du tunnel – ou plutôt de la forêt.

Le périple lui a tout de même semblé interminable, d'ailleurs elle n'aurait pas été étonnée si en sortant de la forêt la nuit avait été noire alors qu'elle s'y était enfoncée bien avant midi. Mais non, le Soleil était haut dans le ciel et elle s'est mise à marcher. Pour combien de temps, elle n'en sait rien, déterminée à ne pas s'arrêter avant d'avoir trouvé de l'aide. De l'aide moldue car c'est la seule qui vaille la peine. Mais pour l'instant, pas un seul village à l'horizon, seulement une route qu'elle suit depuis ce qui lui semble aussi être une éternité. Une route et des voitures, des motos, des scooters, dont les moteurs vrombissent et lui permettent de garder un petit peu d'espoir malgré tout. Même au milieu de l'Écosse, elle ne peut pas être dans un endroit si perdu que ça, si ? Non, il doit forcément y avoir des gens quelque part, et pas seulement dans leurs véhicules.

La moto qui pile non loin d'elle n'est qu'un bruit parmi d'autre dans son esprit épuisé, par contre ce à quoi elle réagit c'est à son prénom. « Luna ? » La petite brune relève la tête, et de voix qu'elle connaît elle passe à un nom. Ezekiel. Quand elle espérait de l'aide moldue, elle ne pensait pas à lui, c'est sûr. À l'image d'Imany et des quelques personnes qu'elle côtoie dans le monde sans magie, il la pense moldue, et c'est bien pour ça qu'elle aime autant les voir : avec eux, pas de magie. Mais maintenant, pour lui expliquer la vérité... Elle est tellement fatiguée. « Qu’est-ce que tu fais là ? Pourquoi t’es habillée comme ça ? » Ce qu'elle croit lire dans ses yeux lui fait peur. Et s'il la rejetait pour ce qu'elle est ? Et s'il la détestait pour ça ? Elle n'a pas choisi, elle, d'être sorcière. Elle aurait bien voulu être comme Papa – elle n'aurait pas eu à aller à Poudlard, ni à côtoyer tous ces sorciers, ni à utiliser la magie alors qu'elle l'exècre. Mais non, elle est une sorcière, une sorcière complètement paumée dans son uniforme de Serpentard dont elle a abandonné la cravate dans la forêt. « J'suis désolée. » D'être un monstre, de te l'avoir caché, d'avoir trahi ta confiance. Mais pour l'instant, elle n'a pas la force de s'expliquer, c'est à peine si elle arrive à rester debout et à parler alors qu'elle a la gorge sèche et est très probablement déshydratée. « S'te plaît, aide-moi, » qu'elle demande en ouvrant ses deux mains écorchées vers lui. C'est pas le genre de gamine à demander de l'aide Luna, mais là elle est à bout. Elle n'a pas bu depuis des heures, elle a mal partout et son flan s'est sûrement remis à saigner à force de marcher. Même son visage doit être en piteux état, elle s'est griffée en tombant dans la forêt bien trop de fois. Elle n'en peut plus. Et au fond elle ne veut pas mourir, même si elle est une sorcière et qu'elle se déteste souvent pour ça.

L'apparition d'Ezekiel à bord de sa moto a tout du miracle, ou plutôt du mauvais coup du destin. Même embrouillé, l'esprit fatigué de la jeune fille s'inquiète à l'idée de devoir lui expliquer ce qui lui est arrivé. Le boxeur est un moldu et a toujours pensé qu'elle aussi, parce qu'elle n'a jamais rien fait pour lui faire penser le contraire. Parce qu'elle voudrait en être une, en réalité. Mais elle n'en est pas une : elle est une foutue sorcière avec de maudits pouvoirs magiques. Des pouvoirs dont elle ne peut pas se débarrasser et qui l'ont même conduites dans une prison idolâtrée chez les sorciers : Poudlard. Ce château qu'elle exècre, rempli d'inconscients de tout âge et de toute fonction – élèves, professeurs, rares sont ceux à faire exception à la règle. Elle ne voulait pas y aller, mais elle n'a pas eu le choix : aux yeux de la loi, l'autorité de sa génitrice prime sur ses propres désirs. Sans parler de la peur que lui inspirait ce monstre lorsqu'elle avait onze ans – une peur qui s'entretient, à grand renfort de punitions dans le sous-sol.

Ezekiel lui demande ce qu'elle fait là et pourquoi elle porte cette tenue, mais elle ne sait pas quoi répondre. Est-ce qu'il reconnaît l'uniforme de Poudlard ? Est-ce qu'il la déteste déjà pour ça ? Elle espère que non, vraiment, parce qu'elle est à bout de forces et ne se sent plus capable de continuer ainsi. Elle a besoin d'aide, elle a besoin qu'il l'aide parce qu'elle doute de tenir encore longtemps en restant seule. Et elle en réclame, terrorisée à l'idée de mourir quand bien même elle l'ait déjà envisagé pour mettre fin à cet enfer. Son regard en est devenu implorant, parce qu'elle a soif, qu'elle a faim, qu'elle est fatiguée... Le moteur de la moto s'arrête alors de vrombir, puis le brun en descend et sort de son sac à dos une bouteille d'eau. À peine la lui tend-il qu'elle s'en saisit de ses deux mains tremblantes. « M-Merci... » articule-t-elle avant de la porter à ses lèvres et d'en boire deux grandes gorgées, ne prenant même pas le temps de savourer la sensation de l'eau dégoulinant dans sa gorge tant elle mourrait de soif jusque là. « Viens par-là, assieds-toi. » Sans protester, elle le suit jusqu'à un rocher sur lequel elle s'assied, avant de reprendre une gorgée d'eau plus petite cette fois.

Assise, la brune libère une de ses mains pour frotter ses joues et son front couverts de sueur et de poussière. Bon sang, elle donnerait tout pour s'endormir sur l'épaule d'Ezekiel là maintenant – elle y parviendrait sûrement en un claquement de doigts tant la fatigue tiraille tout son corps. « Qu’est-ce qui t’es arrivé ? » Comment lui raconter ça ? Comment lui expliquer que son école de magie a explosé alors qu'elle passait un examen, qu'elle s'est enfuie car elle ne supporte plus cette prison magique et qu'elle a traversé une forêt empli de créatures magiques ? Elle ne peut pas. Elle ne sait pas comment faire, quoi dire, quels points occulter pour qu'il ne l'abandonne pas ici comme une malpropre. Heureusement, le sang sur ses vêtements fait diversion et attire l'attention du brun. « Enlève ta tunique, montre-moi ça… » Elle s'exécute en silence, espérant naïvement que ça n'amène pas de nouvelles questions. Et elle peut constater avec lui que la plaie n'est pas bien jolie : si elle a été fermée par un médicomage lorsqu'elle était encore à Poudlard, elle s'est entretemps rouverte. Ce n'est pas beau à voir : si elle ne se videra sans doute pas de son sang ainsi, il y a cependant des risques que cela s'infecte si rien n'est fait. Foutue école de fous. « Comment tu t’es fait ça ? » « Je crois qu'une pierre m'est tombée dessus. » Elle n'est même pas sûre, elle se souvient seulement d'avoir été assise par terre aux côtés de sa meilleure amie et d'avoir senti une vive douleur au niveau de son flanc. Elle n'y a pas pensé – à ce moment-là, elle ne pensait qu'à Kae.

Peut-être qu'elle devrait lui en dire un peu plus. Essayer de lui expliquer ce qu'il s'est réellement passé aujourd'hui. Mais elle ne sait pas comment faire sans avoir à lui avouer qu'elle lui a caché sa nature de sorcière pendant presque un an. Elle a l'impression de l'avoir trahi et elle se déteste pour ça – sans pour autant savoir ce qu'elle aurait bien pu faire d'autre, dans cette situation. « Quand tu seras prête, on reprendra la route pour se rapprocher d’un village et trouver un téléphone pour appeler tes parents si tu veux. » À cette proposition, la brune serre les dents. Puis elle secoue la tête de droite à gauche. « Non, ça sert à rien de les appeler. » L'un est mort et l'autre est un monstre, à quoi bon ? La petite brune boit une nouvelle gorgée d'eau. Elle ne sait pas ce qu'elle est censée dire dans une telle situation. Elle ne veut pas embêter Ezekiel mais elle a terriblement besoin d'arriver vite à Londres où elle connaît quelques personnes qui pourrait l'aider – ce qui n'est pas le cas de cette maudite campagne écossaise. À pieds, cela lui prendrait une éternité. Et qui accepterait de l'y amener si ce n'est lui ? « Si tu m'amènes à Londres, je me débrouillerai et je t'embêterai pas plus, promis. » Elle dit cela comme si elle savait parfaitement quoi faire et où aller une fois là-bas, ce qui est absolument faux.

Luna a bien conscience que ses réponses évasives et partielles n'aident pas son mentor de boxe à comprendre la situation, mais elle est persuadée que c'est le mieux qu'elle puisse faire pour l'instant. Terrifiée à l'idée qu'il la laisse en plan s'il réalise qu'elle est une sorcière, elle utilise le peu d'énergie qu'il lui reste pour faire travailler ses méninges et ne répondre qu'aux questions qui n'exposent pas trop sa nature monstrueuse. Elle lui a menti depuis le jour de leur rencontre et même si c'était un mensonge par omission – elle a simplement omis de mentionner ses pouvoirs magiques et sa scolarité dans une école de sorcellerie – elle sait que s'il vole en éclat tout ce qu'ils ont construit ensemble pourrait s'effondrer. Ce n'est pas ce qu'elle veut : Ezekiel est son ami, son mentor à la boxe, elle ne veut pas le perdre à cause d'une magie qu'elle n'a pas choisi de posséder.

Pourtant plus les questions s'accumulent et plus elles sont difficiles à éviter, d'autant plus que sa propre fatigue joue contre elle et la rend moins vigilante. Lorsqu'il lui demande comment elle s'est ouvert le flanc, elle lui raconte la vérité et le regrette presque aussitôt – comment expliquer qu'une pierre l'ait blessée alors qu'elle arpentait une route moldue seulement entourée par des arbres et des forêts ? « T’étais où ? Comment ça se fait qu’une pierre te soit tombé dessus ? » À nouveau, elle envisage de lui en dire plus puis se résigne à cause de la peur qu'il l'abandonne à son sort et que tout soit terminé entre eux deux. Elle ne veut pas le perdre, encore moins alors qu'elle est toute seule et elle a désespérément besoin qu'il l'aide. « Je sais plus... » murmure-t-elle d'une voix fatiguée qu'elle n'a même pas à feindre tant elle se sent épuisée.

Avoir traversé la forêt interdite et en être réchappée par elle-ne-sait-quel miracle l'a éreintée tout autant que sa traversée sans fin de la campagne écossaise : elle n'a rien bu ni mangé depuis sa fugue, si ce n'est l'eau que lui a donné Ezekiel en tombant sur elle, et elle est à bout de forces. Elle voudrait juste rejoindre Londres où elle se persuade qu'elle saura quoi faire, sans doute parce qu'elle se dit que ça ne peut pas être pire qu'à Poudlard ou chez sa génitrice. Mais son ami propose plutôt de la conduire dans un village où elle aura accès à un téléphone et pourra appeler ses parents, ce qui est une idée absolument horripilante pour Luna. Être retrouvée par sa génitrice est bien la dernière chose qu'elle souhaite, et son père n'est plus de ce monde depuis des années, alors les appeler est parfaitement inutile. « Comment ça, ça sert à rien de les appeler ? » « Ils sont plus là. » Son père est véritablement mort et enterré, et Luna considère qu'elle n'a plus de mère depuis ce jour. La femme qui l'a élevée enfant a été remplacée par un monstre qu'elle n'a dès lors plus considéré comme une figure maternelle, d'où sa facilité à affirmer qu'ils ne sont plus là. Ezekiel comprendra sans doute qu'ils sont morts, ce qui risque de l'étonner car durant les dernières vacances la jeune boxeuse ne dormait pas dans la rue, bien qu'elle n'ait pas réellement pris la peine de lui expliciter sa situation familiale depuis qu'ils se connaissent.

Ne voyant pas d'autre solution, Luna affirme que s'il l'amène simplement à Londres elle saura se débrouiller ensuite mais cette dernière phrase semble faire vriller le boxeur dont le visage se fait plus dur. « Non, je te déposerai pas à Londres tant que tu m’auras pas répondu. Pour la dernière fois, d’où tu sors cette tenue et d’où tu sors tout court ? » S'il ne crie pas, il est tout de même devenu bien plus sec et cet agacement soudain inquiète beaucoup la petite brune qui a peur de voir ses hypothèses se réaliser. Il va la laisser là. Elle se fige et ne répond pas, obsédée par l'idée de perdre une des rares personnes en qui elle avait réellement confiance – à force il ne va lui rester personne, Kaelia lui ayant été arrachée il y a si peu de temps encore. « Je t’engueulerai pas mais dis-moi ce qui se passe. Si je dois te ramener à Londres sur ma moto, j’ai le droit de savoir. » Il a raison, c'est injuste de le laisser dans l'ignorance alors qu'il lui rend service, mais elle n'arrive pas à se défaire de l'idée que si elle lui en parle il ne la ramènera pas parce qu'il comprendra qu'elle est en réalité une menteuse et un monstre. « J'peux pas... » souffle-t-elle d'une toute petite voix, alors que dans son esprit tout s'entrechoque au point qu'elle a envie de pleurer. Elle ne sait pas quoi faire ni dire parce qu'elle a parfaitement conscience que chaque mot qu'elle prononcera pourrait avoir des conséquences désastreuses. « T’as faim ? » Il sort une barre de céréales de son sac et elle hoche la tête, s'en saisissant aussitôt qu'il la lui tend. Ses heures de marche l'ont indéniablement affamée. « Merci, » murmure-t-elle en ouvrant l'emballage. Elle croque une première bouchée qui semble lui donner du courage car, une fois qu'elle l'a avalée, elle entrouvre les lèvres pour parler de nouveau. « Je... » Je t'ai menti, je suis une sorcière, je me suis réfugiée dans le monde moldu parce que je déteste la magie mais elle coule dans mes veines malgré moi. Non, elle ne peut pas dire ça. Pourtant elle commence à comprendre que sa méthode du silence et de l'évitement ne mène à rien : il ne la conduira nulle part si elle ne lui parle pas. « Je voulais pas que... que tu m'en veuilles, » parvient-elle à avouer en gardant obstinément le regard baissé sur ses mains. Elle ne veut pas le perdre alors que les personnes à qui elle tient encore réellement se comptent sur les doigts d'une seule main et qu'il en fait partie. « J'suis désolée, j-je voulais pas te mentir... » souffle-t-elle, plus proche que jamais de craquer et de tout lui avouer. Ils ont bâti leur relation sur des mensonges par sa faute et elle se rend bien compte que ça ne peut plus continuer si elle veut qu'il l'aide, si elle veut survivre.

Le cœur battant la chamade, Luna se demande même comment elle arrive encore à faire des phrases claires . Enfin claires c'est sans doute discutable parce qu'à force de lui parler, Ezekiel semble tout aussi paumé qu'elle. Et pour cause, l'adolescente se montre volontairement évasive sur ce qui lui est arrivé et sur l'inutilité d'essayer d'appeler ses parents. Elle ne veut pas trop en dire par peur que son ami l'abandonne seule ici, au bord d'une route isolée sur laquelle on finira par retrouver son corps s'il ne l'aide pas. Il ne comprendra sans doute pas pourquoi elle lui a menti pendant tout ce temps. Comment lui expliquer que tout ce qu'ils ont partagé est bien plus important à ses yeux que tout ce qu'elle a vécu à Poudlard en cinq ans ? Comment lui dire que ce n'était pas son choix d'étudier avec les sorciers et qu'elle était prisonnière d'une école qu'elle déteste et dont elle rêve de s'échapper depuis si longtemps ? Comment être honnête sans passer pour une odieuse menteuse ? Elle n'en sait rien, alors elle ne tente pas le diable et ment – elle a l'habitude, de toute façon. Ses parents ne sont plus là, c'est une explication bien plus simple que son histoire familiale chaotique. « T’as pas de la famille, un ami ? J’sais pas, quelqu’un à appeler ? » « J'ai une amie à Londres mais je connais pas son numéro, » affirme-t-elle d'une voix désolée. Pourquoi l'aurait-elle retenu alors qu'elle ne comptait pas fuguer de chez sa génitrice avant ses dix-sept ans, sachant que la Trace l'empêcherait de lui échapper plus d'une poignée d'heures après qu'elle se soit rendue compte de son départ.

À peine Ezekiel se durcit-il que l'adolescente se fige, réellement terrorisée par le fait qu'il se montre plus dur alors qu'il n'a même pas encore conscience de toutes les raisons qu'il pourrait avoir de la détester. S'il s'énerve déjà, alors que se passera-t-il lorsqu'elle lui aura dit la vérité ? Il va la laisser là, c'est sûr. Et elle, elle va mourir ici, de fatigue, de soif ou de faim – peut-être des trois, vu son misérable état. Le fait qu'il lui tende une barre de céréales la rassure un peu et elle en mange aussitôt une bouchée, son estomac bien vide depuis qu'elle a fui Poudlard – elle n'a rien mangé depuis le petit-déjeuner dans la Grande Salle durant lequel elle n'a pas tendance à se gaver. Trouvant un peu de courage dans le sucre qu'elle ingurgite, la petite brune tente de formuler des excuses avant de passer aux explications, comme si ça pouvait adoucir ce qu'elle va dire ensuite. Même si elle n'avait pas le choix, elle est réellement désolée et ne veut pas perdre un des si rares amis qu'elle a. « Je t’en veux pas, je cherche à comprendre, Luna. Ya pas de raison qu’on se fâche, on est copains pas vrai ? » Elle hoche la tête avant de croquer une nouvelle fois dans la barre de céréales, s'y accrochant comme si elle craignait soudainement qu'elle lui soit ôtée. Elle ne veut pas mourir ici, pas après avoir traversé l'enfer ses dernières heures, à Poudlard comme à travers la forêt puis la campagne déserte d'Écosse. « T’inquiète pas, j’comprends que t’aies eu peur mais tu peux tout me dire, pas besoin de mentir. T’as fait une connerie, c’est ça ? » « Non, je... » Elle ne termine pas sa phrase parce qu'elle est incapable d'y trouver une fin. Alors Ezekiel essaie de l'y aider, l'interrogeant de nouveau. « T’étais là-bas, pas vrai ? » Là-bas. Sans même avoir vu son ami aux abords du château puisque MJ l'a faite sortir du côté parc, elle sait qu'il parle de Poudlard. Alors elle hoche la tête et répond d'une voix étranglée. « Oui. » Et là, des larmes se mettent à rouler sur ses joues. Silencieuses mais intarissables, sa culpabilité se faisant trop étouffante pour qu'elle parvienne à la contenir. « J'suis désolée, j'voulais pas mentir. » Elle ne fait pas le lien avec les chasseurs qui étaient présents et n'a sûrement pas l'idée de se faire passer pour l'une d'eux : elle est persuadée qui sait ce qu'elle est, une foutue sorcière. « J'voulais pas être une sorcière, on m'a obligée à aller là-bas. » Dans cette école affreuse qu'elle détestait un peu plus chaque année. « Je veux pas y retourner, je suis pas comme eux. Je veux pas être comme ça. » Si ça ne tenait qu'à elle, ça ferait longtemps bien longtemps qu'elle aurait brisé sa baguette et se serait réfugiée dans le monde moldu où elle sait que sa place est. « S'il te plaît me laisse pas toute seule ici, je veux pas mourir, » supplie-t-elle alors qu'un premier sanglot lui échappe.