Cela faisait 6 jours que j’avais repris le travail. J’évitais au maximum MJ Greene, j’avais toujours l’impression qu’il me reprochait d’avoir agi comme je l’avais fait. Je sais que je n’aurais jamais dû, mais cela avait été plus fort que moi, et ça l’était encore. Il s’agissait de mon petit frère, et je voulais tout faire pour qu’il puisse dormir sur ses deux oreilles. Si, un jour cela serait possible. Je m’en voulais tellement pour ce qui lui était arrivé, et j’aurais tellement voulu que cela se passe autrement. Qu’il ne rencontre jamais ce connard de Singh. Il avait déjà eu une enfance trop courte, écourté par l’éducation de notre père. Et même si j’en avais pris pour lui, notre père ne lâchait pas l’affaire. Et voilà qu’il avait aussi sa vie d’adulte d’éclatée, fragmentée en morceau à cause de ce putain de mangemort. Ses coups qu’il avaient pris, ses pensées de mort qu’il avait. Et moi…. Moi, j’avais rien vu. Je me détestais pour ça.

« Vous êtes encore là, vous ?! » J’ai sursauté à la voix qui s’est adressée à moi. J’ai levé les yeux vers mon chef qui se tenait dans l’encadrement de mon bureau. Il m’observait avec cet air suspicieux. « Quoi ? » « Je vois que vous êtes toujours autant aimable » J’ai haussé les épaules. « Que puis-je pour vous, chef ? » ai-je repris. « Vous devriez rentrer chez vous, Londubat ». Je l’ai observé s’éloigner dans le couloir. Le dossier ouvert devant moi, je savais qu’il allait me poser tort, mais s’il pensait que me mettre à pied allait m’empêcher d’enquêter, il se fourrait le doigt dans l’œil. Singh c’était mon affaire, celle de personne d’autre. Je refusais que ce soit un autre auror qui mette son sale nez dans les affaires de mon petit frère. Cela ne regardait personne, et certainement pas mes collègues. J’ai regardé l’heure. Il était presque vingt-et-une heure. Cloitré dans mon bureau pour faire de l’administratif, dixit Monsieur le Chef des aurors, j’arrivais quand même à pas partir à l’heure. Je crois qu’au fond, ça m’angoissait de rentrer. J’avais peur pour mon petit frère, peur qu’il ait fait une connerie.

J’ai fermé le dossier pour l’enfermer dans le tiroir de mon bureau. Impeccablement rangé, contrairement à celui de mon coéquipier. Même à Poudlard, il arrivait à avoir un bureau mal rangé. Cela dit, il était au ministère en début de semaine, pour une de ses affaires. Le seul terrain que j’avais fait depuis des lustres. Et sûrement le dernier avant un moment. Le chef, il m’en voulait encore pour ce que j’avais fait avec l’enquête contre Singh. Comme si personne n’aurait réagi comme moi, s’ils avaient été à ma place. Pas un seul auror aurait laissé faire sans broncher. Pas un seul.

Je suis passé devant le bureau d’Ivy. Depuis un mois, elle et son crétin de mari habitaient la maison à côté de la nôtre. Et si j’étais ravi d’avoir ma meilleure amie pas loin, la présence de Lestrange me dérangeait. Et dire que j’allais être le parrain de son fils. C’était encore une idée à la con de ma meilleure amie, ça. Elle accouchait bientôt la miss Ivy. Elle avait enfin arrêté le travail. Quand moi, je l’avais repris. Etrangement, ça me rassurait qu’elle soit chez elle, pendant que je n’y étais pas. Au moins, s’il se passait quelque chose avec Logan. Elle pourrait me tenir au courant.

Ça m’angoissait un peu d’être parrain. Même si je savais m’occuper d’un gosse, Briséis, ça faisait un an que je m’en occupais à plein temps. Mais la cohabitation avec le paternel me faisait un peu flipper. Je l’aimais pas. Il ne m’aimait pas. Et on allait devoir s’entendre pour son rejeton. Parce que le gamin, il avait pas à subir les mésententes des adultes, mais putain… il s’agissait de Lestrange. Ce connard qui avait pourri la vie de mon mec, la mienne aussi. J’ai transplané à l’entrée du village, pour faire le reste en marchant. En ce moment, mon monde il s’écroulait un peu, et je savais pas comment faire pour l’arrêter. J’ai fini par arriver devant la maison. J’ai à peine eu le temps d’enlever mon manteau qu’Aaron me tombait dessus. J’ai arqué un sourcil un peu surpris. Il s’inquiétait toujours quand j’étais au travail. Moi aussi, je m’inquiétais quand il était au sien. Mais là, y’avait autre chose. Je le trouvais un peu trop exalté, pas assez en colère que je rentre tard. Ouais, y’avait quelque chose. J’ai enlevé une chaussure. La posant sur son reposoir, bien alignée avec le bord. Ses paroles m’ont fait oublier d’enlever la seconde.

Je crois j’ai senti le sol se dérober sous mes pieds. Même si je ne pourrais pas lui interdire – il faisait ce qu’il voulait – mais… n’avait-il pas déjà subi assez d’horreur en tant que membre de l’Ordre du Phénix ? Il en faisait encore des cauchemars. Quasiment toutes les nuits. Et là ? Non. Non. Non. Ça, ce n’était pas possible. Entre la trouille de perdre Logan, et maintenant… J’ai ouvert la bouche mais aucun son n’en sortit, incapable de m’enlever de la tête, le jour où on l’avait récupéré avec Ivy. L’un des pires moments de ma vie, et je ne voulais pas que cela recommence. « Je… tu… mais… ». Je savais même pas quoi lui dire. J’avais tellement de chose à déballer, ma frustration, ma colère, l’angoisse que j’avais en ce moment. Et lui, il me balançait ça. Je me suis collé contre la porte d’entrée. « Ok ».

Je ne savais pas quoi lui dire. C’était son choix, non ? Même si, pour moi, je ne le sentais absolument pas prêt à retourner à l’Ordre. Les cauchemars étaient toujours présents, bien plus depuis que Logan était venu s’installer à la maison. Mais, je n’avais pas le droit de lui interdire, si Aaron jugeait qu’il était prêt. Mais je dois dire qu’il m’avait un peu cloué le bec. Je savais qu’un jour, il reviendrait. Mais je ne m’étais pas attendu qu’il revienne aussi vite. J’ai toujours tout gardé pour moi, c’était ainsi que j’avais été élevé. Aujourd’hui, j’avais envie d’exploser. Je me sentais bouillonner de l’intérieur. J’ai eu envie d’éclater de rire. Si ça allait ? Poudlard avait explosé. Le Picses aussi. La vie de Logan avait implosé. Je m’étais pris un coup de couteau dans le bide. J’avais été mis à pied, fait lamentablement échouer une enquête – et j’étais prêt à continuer – Aaron voulait reprendre les missions. Et lui il me demandait si ça allait. J’ai secoué la tête de droite à gauche à chacune de ses questions.

J’crois que j’aurais préféré que mon chef m’engueule. Ou peut-être pas. J’avais collé mes mains dans mon dos, toujours scotché à la porte d’entrée. Non, ça n’allait pas. Ça n’allait plus depuis longtemps. J’avais envie d’envoyer tout valser, hurler ma frustration et ma colère à tous ceux qui étaient là. Mais je résistais. Parce qu’ils avaient besoin de moi. Logan pour reprendre confiance en lui. Aaron pour ne plus avoir peur. Ils comptaient tous sur moi. Et moi, je comptais sur qui ? Pendant un instant, j’ai eu envie que mon paternel soit encore là, juste pour qu’il m’aiguille sur ce que je devais dire, et faire. Un petit rire sortit du fond de ma gorge. Ce que j’en pensais… Rien et tout à la fois. Qu’il n’était pas prêt à y retourner. Qu’il allait encore faire des cauchemars, compter sur moi pour l’apaiser – même si cela ne me dérangeait pas. Mais que je n’avais pas le droit de lui interdire. Il était majeur, en pleine conscience de ce qu’il voulait. Et je n’étais personne pour lui dire non. Voilà ce que j’en pensais. Que j’aurais préféré qu’il n’y retourne jamais. Que j’allais m’inquiéter encore plus qu’avant. Que je ne lui lâcherais jamais la grappe quand il partirait en mission – et j’étais même capable de les faire, toutes, avec lui. Juste pour être sûr que rien de ce qu’il avait vécu ne se reproduise. Oui, ça me faisait flipper qu’il puisse revenir aux réunions, aux missions, tout ce qui faisait que l’Ordre était l’Ordre.

J’ai inspiré lentement. « Qu’est-ce que tu veux que je te dise ? » ai-je lancé, en me décollant de la porte, et en me dirigeant vers le salon – ma chaussure toujours au pied gauche. Je savais comment aller finir la conversation. En hurlant, sûrement. Chacun son tour. Comme deux adolescents qui se disputent la même fille. « Tu veux entendre quoi ? » Je me suis retourné brusquement vers lui. « Que je suis d’accord ? Mais que je le sois ou pas, ça ne changera rien. Ta décision tu l’as prise, j’ai pas mon mot à dire. » Il était loin, le temps où je pouvais interdire quelque chose à quelqu’un. Quand mon frère était encore qu’un gamin, oui. Et encore, je lui avais rarement interdit quelque chose. Comme à sa sœur d’ailleurs.

J’ai repris mon parcours mon salon, avant de bifurquer vers la cuisine. J’ai faim. J’ai ouvert le frigo. « Non, j’ai pas envie que tu reprennes les missions de l’ordre. » J’ai refermé le frigo pour ouvrir le placard. « Oui, je pense que t’es pas prêt » J’ai attrapé une tablette de chocolat, j’ai englouti une ligne complète. Je me suis retourné vers lui, m’appuyant sur le bord du plan de travail. « Tes cauchemars t’en as toutes les nuits depuis que Logan est ici… » Fallait pas être sorti de l’ESM pour faire le rapprochement. Même si Logan n’avait rien d’un mangemort, il portait la marque – même si je lui avais appris à la planquer, elle restait insidieuse. Et oui, cela faisait de l’effet sur Aaron. J’ai enfourné une seconde ligne entière dans la bouche. « Voilà ce que j’en pense. »

Je venais de me prendre un coup de massue sur la gueule. Pourtant, je savais que je ne pouvais pas l’empêcher de faire ce qu’il voulait, mais je n’aurais cru qu’il voudrait reprendre son action au sein de l’ordre du phénix aussi vite. Il y avait deux choses qui me faisaient peur. Le vide et perdre quelqu’un de cher. Et je connaissais les deux peurs, je les avais vécues. L’une et l’autre. Voler sur un balai à Poudlard m’avait totalement terrorisé. Et j’avais perdu mon meilleur ami. Je ne voulais pas en perdre un second. Pas lui. Et même s’il savait se battre et se défendre, je ne pouvais pas m’empêcher de penser au plus funeste des avenirs, et ça, ça m’était totalement ingérable.

Mais qu’y pouvais-je réellement ? Que je sois en accord avec sa décision ou non, je n’allais pas l’enfermer à vie dans la maison. Il faisait bien ce qu’il voulait et que je lui dise non, il y retournerait. Même s’il n’était pas prêt. Rien que son comportement depuis que Logan était entré dans la maison, parlait pour lui. Mais Aaron Davies était majeur, et n’avait d’ordre à recevoir de personne, et encore moins de moi. Et je n’allais clairement pas lui en donner. Il était gentil Aaron, mais j’en prendrais pour mon grade si je faisais ça – et je ne pourrais même pas le lui reprocher.

Mon avis, il était clair. Non, je n’avais pas envie qu’il retourne à l’ordre. Non, je n’avais pas envie qu’il risque encore sa vie. Mais je ne pouvais que comprendre son choix. Il était comme moi, il avait besoin d’action le joueur. Ses cauchemars, il les aurait encore longtemps. Le miracle, je l’ai longtemps cherché et je le cherchais encore. J’ignorais qui s’en était pris à lui, alors retrouver un poignard sans en connaitre le nom du propriétaire, c’était compliqué. Mais ça me faisait mal de le voir comme ça, parce qu’il ne méritait tellement pas ça. Je détestais l’injustice et cette maltraitance que l’on faisait subir à ceux qui n’étaient pas du même sang. J’avais englouti une troisième barre de chocolat. J’avais besoin de faire baisser la tension. J’ai attrapé sa main pour l’empêcher de se frotter son torse, et l’attirer contre moi. « Je sais ».

Moi aussi, je me sentirais inutile si les rôles avaient été inversés. Moi aussi, j’aurais voulu reprendre ce combat. J’aurais détesté voir les autres aller se battre, taper du mangemort, pendant que moi j’aurais été cloitré à la maison. Alors, je pouvais que le comprendre. Mais j’admets, j’aurais voulu qu’il reste encore un peu ici. Bien au chaud. Là, où j’étais sûr qu’il ne lui arrive rien. Bon, cela dit, lorsqu’il mettait son joli postérieur sur son balai, il pouvait tout lui arriver. J’crois que j’avais encore plus peur lorsqu’il faisait du Quidditch que lorsqu’il pouvait se battre contre un mangemort. Parce qu’au moins avec le mangemort, j’pouvais tout faire pour l’aider. Sur son balai, moi, je servais à que dalle.

C’était con, mais entre Logan qui me parlait pas, et Aaron qui repartait en guerre. J’avais l’impression que tout m’échappait, ce pour quoi j’étais né. Ce pour quoi j’avais été élevé. Comment j’pouvais les protéger s’ils n’en faisaient tous qu’à leur tête ? Si Logan m’avait parlé plutôt, si j’avais reconnu les signes – putain, j’étais si en colère contre moi – jamais il ne se serait retrouvé avec un bracelet à la cheville. Et si Aaron décidait de reprendre les missions de l’ordre, j’pouvais faire quoi pour le protéger à part y aller, toujours avec lui ? Pour être sûr qu’il lui arrive rien. Pourtant, au fond de moi je savais qu’il était parfaitement capable de se défendre. Mais c’était plus fort que moi. Aaron c’était l’homme de ma vie, je pouvais pas imaginer ma vie sans lui. Et s’il reprenait l’Ordre, cela arriverait. Mais cela serait injuste que de l’empêcher d’y retourner. Je serais indigne de lui si je l’enfermais ici. Mais, je reconnais qu’en ce moment, je prenais beaucoup sur moi. Y’avait un trop plein et je craignais juste le jour où ça allait sortir. « Tu sais, personne te reproche de ne plus venir ». C’était vrai. Personne ne lui en voulait – et puis qu’ils essaient juste de faire une réflexion, mon poing pouvait vite partir. « C’est juste que… » J’ai peur pour lui, comme j’avais peur pour Logan. Je crois que je stressais encore plus depuis hier, depuis qu’on lui avait enlevé son bracelet. J’aurais voulu qu’il le garde encore un peu, comme ça je savais toujours où il était et s’il était en vie. Sans le bracelet, je n’en savais plus rien. Et ça m’angoissait.

J’étais peut-être un peu idiot, mais j’avais été élevé pour ça. Protège les tiens Cilian. Mon père me répétait cette phrase tellement de fois par jours, qu’elle était gravée en moi, désormais. Et Logan avait trahi tellement de personnes lorsqu’il avait été attrapé par les autorités. Les noms des mangemorts qu’il avait donné, n’allaient certainement pas en rester là. Je savais sa tête mise à prix. Et puis, ses intentions suicidaires qui n’arrangeaient en rien sa sécurité. Que des données sur lesquelles je ne pouvais absolument pas agir. Même si je me mettais à le surveiller vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Je m’en remettrais pas si Logan faisait une connerie, ou si les mangemorts finissaient par lui tomber dessus. Et si Singh revenait ? Et s’il repartait avec ? Logan, il était si naïf, et il croyait en tout. Tout ce qu’on pouvait lui raconter, il acceptait. Singh le connaissait, et j’étais persuadé qu’il savait exactement quoi dire pour que Logan abandonne tout et retourne avec lui. J’avais juste envie de le tuer ce type. Comme ceux qui s’en étaient pris à Aaron et que je n’avais, encore, jamais retrouvé. J’avais l’impression d’être un auror de pacotilles, incapable de mener une enquête correctement. Tout m’échappait, et ça m’angoissait de ne plus être maitre de la situation. Plus maitre du destin d’Aaron. Ni de celui de mon petit frère. Je me sentais en colère contre moi de n’avoir rien vu, rien compris. J’avais juste l’impression que tout s’écroulait à mes côtés, et que je m’enfonçais sous des centaines et des centaines d'eau. Et qu’aucune rame n'arriverait à m’en sortir. Et je lui dirais quoi, moi, à la petite s’il arrivait quelque chose à son père ? J’ai essayé de chasser cette idée de mon esprit. Je ne voulais pas y penser, mais rien d’autre ne venait. « Je ne veux pas qu’il t’arrive quelque chose » ai-je murmuré, sans le lâcher de mon étreinte.  

Je n’aimais pas quand il se frottait le torse. Je n’aimais pas lire dans ses yeux la souffrance qu’il ressentait. Parce que ça me rappelait sans cesse que je n’avais rien fait pour empêcher ça. Pas la hauteur. J’étais plus à la hauteur depuis que mon père avait disparu. Avant, j’étais attentif à tout ce qu’il se passait autour de moi et aujourd’hui ? Aaron s’était fait torturer – et il en porterait les traces à tout jamais. Logan s’était fait enrôler chez les mangemorts – parce que j’avais pas vu les signes qu’il portait. Je me sentais tellement… inutile. Un peu bon à rien aussi. Je me sentais complètement démuni face à la situation. A tout ce que mon frère vivait, parce que j’ignorais comment faire pour l’aider à s’en sortir, à ne plus avoir ses idées noires et stupides. Cela me faisait de les voir ainsi, tous les deux. Logan parce qu’il n’avait pas eu l’enfance qu’il aurait dû avoir, que son adolescence n’avait pas été celle qu’il aurait pu espérer – j’étais pas son père, je savais pas élever des gosses, encore moins des ado – et qu’il n’avait pas commencé sa vie d’adulte comme il l’aurait dû. Et j’m’en voulais beaucoup pour ça. Et Aaron parce qu’il avait pas mérité de se faire torturer ainsi, juste parce qu’il n’était pas du même sang que les autres. Mais cela en faisait-il un moins bon sorcier pour autant ? C’étaient ces connards de puristes, de mangemorts, d’anteawichs qui ne l’étaient pas.

J’avais pas lâché mon étreinte, comme si le simple fait de passer mes bras autour de lui allait lui faire oublier son idée absurde de reprendre les missions de l’ordre. Personne ne lui en voulait, parce que tout le monde comprenait ce qu’il avait vécu. Pourtant, je comprenais son envie aussi absurde soit-elle. J’aurais sans doute été comme lui si j’avais été à sa place. Parce que j’avais besoin de bouger, faire quelque chose, tout ce que le ministère m’empêchait de faire – bien que depuis notre nouvelle ministre nous avions bien plus de mouvements, nous les aurors. Cela en déplaisait à beaucoup mais les mangemorts ne comprenaient que ça. La violence. Œil pour œil, dent pour dent. C’était ainsi. Mais avec l’ordre, on allait encore plus loin et ça me plaisait. Mais l’imaginer lui, reprendre les missions, les attaques sournoises et les planques me faisait un peu froid dans le dos. Ici, je pouvais toujours veiller sur lui, mais en mission qui allait veiller sur lui ? A part moi. Je pouvais être un peu possessif lorsqu’il s’agissait des membres de ma famille, et je ne laissais que très peu de place pour les autres. Mais Aaron, il était à moi. Je ne voulais pas le perdre. J’avais failli une fois, et je m’étais juré que cela ne se reproduirait pas. Plus jamais. La mort de Lucian m’avait suffisamment fait souffrir, celle d’Aaron serait bien pire. Et ça, égoïstement, je n’avais pas envie de souffrir. « Justement, je serais bien plus serein si tu restais à la maison » fut la phrase qui resta coincée dans ma gorge. J’avais eu envie de la lui dire, parce que c’est ce que je ressentais. Mais cela aurait été si malhonnête de la lui balancer, comme ça. Je me suis contenté de lui embrasser le sommet de la tête, l’étreignant encore un peu plus, une main dans ses cheveux, l’autre sur ses épaules.

J’aurais, pourtant, tout donné pour que l’on n’est pas cette conversation. Que tout reste comme c’était depuis un an et demi. Je trouvais cela pas si mal, au fond. Je me demandais si je ne préférais pas, finalement, le voir sur un balai, à faire des acrobaties dangereuses, plutôt que de le voir sur les bancs de l’Ordre du Phénix. Ma main qui tenait ses épaules s’est dispersée jusqu’au plan de travail derrière moi pour récupérer une nouvelle barre de chocolat. La tension, elle voulait pas descendre et j’avais besoin d’un peu détente. J’ai enfourné la barre entière dans ma bouche, comme pour m’éviter des choses que je pouvais regretter. J’avais tendance à dire ce que je pensais, sans trop me soucier des autres. J’ai avalé presque tout d’un coup quand il a parlé, soudainement l’estomac rempli d’une chape de plomb. Comme si je venais de prendre conscience de ce dont on parlait. Je crois que jusqu’ici je n’avais pas réellement accepté, ou compris. Ou je ne voulais pas le comprendre, me disant qu’il repartirait en arrière, pour rester bien au chaud dans la maison. Mais partir ensemble, oh bien sûr je ne lui aurais jamais fait la proposition – même si j’en crevais d’envie – parce que je ne voulais pas le « saouler » comme il disait avec mes airs protecteurs. J’étais comme ça, et je n’allais pas changer de sitôt. Mais au fond, s’il y en avait un qui pouvait le protéger, c’était moi – même si en ce moment, je n’étais plus bon à rien.

J’ai acquiescé lentement d’un signe de tête. « Bien sûr, toi et moi » ai-je répondu. Je lui ai attrapé le menton pour lever ses yeux vers moi. « Mais après notre mariage » ai-je ajouté, avant de lui voler un baiser au coin des lèvres. Pour me laisser du temps pour encaisser, parce que oui, j’en avais besoin pour accepter.