Le sommeil ne venait pas. Depuis que j’avais récupéré Logan des mains des aurors, en vérité. J’avais tout un tas de sentiments qui me passaient dans la tête. En colère contre moi de n’avoir rien vu. Angoissé de perdre mon petit frère. Un peu déçu, aussi. Je me sentais honteux d’avoir échoué, ainsi, à la seule et unique mission que l’on m’avait donnée. Protéger ma famille. Et quand je voyais le bracelet qui ornait la cheville de mon petit frère, je savais que j’avais lamentablement échoué. Et je m’en voulais. Terriblement. J’avais rien vu. Absolument rien vu. Et pourtant, je connaissais les signes des enfants battus. J’avais suffisamment subi ça, gamin. Je savais comme Logan se comportait quand il était gamin. J’aurais dû voir qu’il subissait la même chose, aujourd’hui. J’avais plus qu’un nom en tête, Samuel Singh. Et lui, je savais que si je le trouvais, je lui faisais la peau. Mon affectation à Poudlard, même si j’aurais préféré ne pas y aller, m’arrangeait quand même un peu. Pour être tranquille, et pouvoir enquêter sur Singh, sans avoir mon chef sur le dos.

J’avais accepté, cela dit je n’avais pas eu le choix, que si je ne faisais pas trop de nuit. Je l’avais bien remarqué le changement de comportement d’Aaron. La présence de mon frère sous notre toit, même s’il ne le disait pas, lui rappelait de mauvais souvenirs. Les nuits agitées qu’il avait en était la preuve. Il faut dire que la Marque qui ornait le poignet gauche de mon frère n’était pas un symbole anodin. Même si Logan n’avait rien d’un mangemort, et qu’il avait été contraint par son mec de la porter, pour Aaron, cela avait dû lui faire un effet douloureux. Et je m’en voulais de lui imposer ça. L’obliger à voir la marque tous les jours, lui faire revivre cette journée maudite, mais je ne pouvais pas abandonner mon petit frère. Pas cette fois. Je l’avais lâché une fois. Une seule toute petite fois, et il se retrouvait accusé d’activité répréhensibles par la loi. Je savais que je lui en demandais beaucoup à mon joueur mais choisir l’un des deux, reviendrait à me trahir moi. Ma famille, c’était toute ma vie. Logan et Aaron en faisait partis. Tous les deux.

Je l’ai senti se lever, comme souvent depuis que Logan était revenu. Je suis resté allongé, les yeux fermés. Cherchant la solution miracle à cette situation, bien qu’il n’y en ait aucune. Logan devait dormir, lui. Ou peut-être pas. Je le sentais stressé depuis qu’il était ici. Je sais que j’étais un peu dur avec lui, mais c’était pour son bien. Il était hors de question qu’il mette sa conditionnelle en danger. Et puis, avec les noms des mangemorts qu’il avait balancé, je doutais fortement qu’on le laisse vaquer à ses occupations sans représailles. J’avais la trouille qu’un de ses anciens « copains » le retrouve alors oui, j’avais un peu – beaucoup – réduit les horaires de sorties données par le ministère. Mais moi, il serait de temps dehors, moins il avait de chance de tomber sur un des mangemorts.

J’ai fini par me lever, je trouvais le temps long, au retour d’Aaron dans notre lit. Et ça, c’était étrange. Même si je le soupçonnais d’être descendu boire un peu, ressasser encore, il revenait toujours assez rapidement. Or là, l’horloge indiquait qu’il était plus de cinq heures. La nuit était encore bien présente. J’ai passé un tee-shirt, et je suis sorti de la chambre. Le couloir était calme, j’ai pas pu m’empêcher de passer la tête dans la chambre de Briséis. La gamine dormait sur les dos, les bras en croix, la tête collée contre son doudou, une vieille peluche que j’avais quand j’étais gamin. La seule que j’avais, d’ailleurs. Mon préférant que je joue aux échecs, que j’apprenne à compter et lire. Que je comprenne les responsabilités que je devais avoir. J’ai refermé doucement la porte et je suis descendu, en tee-shirt, caleçon, pieds nus, pour rejoindre la cuisine. Allumée. Il lisait la Gazette de la veille. Je l’avais même pas ouvert, celui-là. En même temps, c’était un résidu de torchon à l’intérieur. J’aimais pas les journalistes de la Gazette. Ils avaient la moitié des infos, ils racontaient ce qui les arrangeaient. Bref, que des conneries. Mais je me suis quand même demandé ce qui l’avait fait réagir ainsi. Le regard d’Aaron me sembla étrange, et son silence en dit long. Comme s’il cherchait à cacher quelque chose.

J’ai fait le tour de la table, sans rien dire. Je me suis fait un café. Une grande tasse de café. Je me suis penché vers Aaron pour l’embrasser sur la tempe, mais mon geste a été stoppé par la photo en gros plan sur la double page ouverte sur la table. J’en ai lâché la tasse, qui fort heureusement était déjà posée sur la table, pour attraper le journal et lire l’article. Comment diable avaient-ils eu cette photo ? Et le pire, au-delà du fait de voir ma gueule dans les gros titres, que je détestais ça – parce que cela ne regardait absolument personne à part Aaron et moi – c’est que la Gazette avait publié une putain de photo – dont je ne me souvenais même pas d’avoir agi ainsi – qui avait été prise quelques minutes après le drame. Ils n’avaient donc aucun respect pour ce qui s’était passé là-bas ? J’ai roulé le journal en boule. Ça y’est ils m’ont énervé. J’ai jeté le couloir dans un coin de la cuisine. « Comment ils l’ont eu cette photo ? » ai-je grogné, sèchement. « Et demandez l’avis aux gens avant de publier leur merde, ça leur arrive ? »

Qu’est-ce qu’il pouvait m’agacer quand il répondait comme ça. Si, cela avait de l’importance. J’aimais pas qu’on s’occupe de ma vie privée. Ni de la sienne. Cela n’appartenait qu’à nous. Cela ne regardait personne d’autre, et surtout pas des fans enragés, en manque d’amour. Cela m’insupportait que l’on puisse étaler notre vie privée comme ça, surtout dans ce torchon que pouvait être la Gazette du Sorcier. Je sais, pourtant, que cela lui faisait du mal. Mais j’assumais pas ce que j’étais, je ne l’avais jamais assumé. Depuis que j’étais adolescent, et que j’avais compris que les femmes ne m’attiraient pas, que ce fut mon meilleur ami qui avait mon attention.

J’avais pas eu ce genre d’éducation, et mon père s’il le savait, j’crois que j’aurais passé plus qu’un mauvais quart d’heure, parce que pas assez masculin d’aimer les hommes. Je voulais pas qu’on sache. Cela ne regardait que moi ce que j’étais. Pas les autres, pas les fans. Le pire, c’est que j’arrivais même pas à me souvenir d’avoir embrasser Aaron ce soir-là, au Picses. Cela faisait un an et demi que l’on était ensemble, et cela faisait un an et demi qu’on se disputait pour ça. Parce que ça m’agaçait qu’il veuille le hurler sur tous les toits, ça m’agaçait qu’il passe pour un don juan avec une conquête différente chaque soir. Qu’est-ce que cela pouvait faire qu’il soit avec quelqu’un ou non ? Les gens ne pouvaient-ils pas juste s’intéresser à leurs histoires, et pas à celles des autres ? Et j’en avais rien à faire qu’il soit d’une personnalité publique. « Je trouve ça juste dégueulasse qu’ils fassent leur beurre sur ce drame ! » ai-je répondu sèchement. « Il y a eu des morts bon sang ! Et eux… j’ai même pas de mot… » Je trouve ça parfaitement hors propos, inadapté à la situation. Et donnant peu de considération aux victimes de l’attentat.

Et puis, si cela pouvait éviter d’étaler ma vie privée devant tout le monde, j’admets que cela m’arrangeait aussi. Je me suis retourné vers Aaron, reposant le journal sur la table. « Je vois pas en quoi, vouloir garder sa vie privée, privée, est un problème » ai-je renchéri, grogné serait plus juste. Ça ne regardait personne. Absolument personne. Et cela m’agaçait fortement qu’il ne le comprenne pas. En plus, je doutais fortement qu’ils passent à autre chose. Ce n’était pas la première fois que l’on parlait « des coups d’un soir » comme il disait, d’Aaron dans la Gazette du Sorcier. Si vraiment, ils se lassaient, ils auraient arrêté depuis bien longtemps. « Je n’aime pas qu’on parle de ma vie privée dans les journaux, et de la tienne non plus. » ai-je repris, en finissant par m’asseoir sur une des chaises. « Cela ne regarde personne. » J’ai bu une grande gorgée de café avant de reposer la tasse un peu brutalement sur la table. « Et puis quoi, notre mariage aussi va être étalé dans la presse ?! » J’ai envoyé valser la tasse d’un revers de main.