• • • J’étais allongé sur mon lit. Ma chambre donnait sur la cour du château de Polignac. J’avais toujours trouvé ce nom hyper pompeux. Et pas du tout à la hauteur de ce qu’il représentait. Digne héritier du domaine, je me devais de connaitre tous les types de raisins, comment on le récoltait, comment on s’occupait des vignes… le livre, il me gonflait. Mais ma mère m’avait demandé de le lire. « Pour faire plaisir à ton père » m’avait-elle dit. J’avais eu envie de le donner à mon petit frère. Lui, il l’aurait dévoré. Etienne était le fils parfait, mais notre père ne s’en rendait pas compte. C’était moi l’ainé. Moi qui devais reprendre le domaine, mais moi… moi, j’voulais devenir Détective Privé comme Hercule Poirot. J’en avais rien à faire des vignes. « Armand-Louis ! » Je détestais quand il m’appelait ainsi. Mais tous les ainés de la famille avaient « Louis » dans leur prénom. Armand-Louis, Jean-Louis, Théodore-Louis, Louis-Armand… et j’en passe. « Oui Père ? » J’ai quand même répondu. Mon père est entré dans la chambre. « J’aimerais que tu viennes couper les vignes avec moi cette après-midi » J’ai retenu le soupir que s’est logé au fond de ma gorge. « Je dois voir Benjamin » « Tu le verras demain, allez debout ! » « Demandez à Etienne de venir avec nous, je suis sûr qu’il sera content ! » « Ce n’est pas à Etienne que je le demande mais à toi ! » « Ok » « Armand ! » « Pardon Père. Je viendrais » J’ai détourné le regard de la porte quand il l’a fermée.

J’ai soupiré. Longuement. J’ai posé le bouquin de mon père sur mon lit et je me suis levé. Il était dix heures du matin et si je ne pouvais pas voir Benjamin cette après-midi, j’irais maintenant. Ce n’était certainement pas mon père qui allait m’empêcher de voir mon meilleur ami. Je suis descendu, saluant les employés du château et du domaine. Et qu’on me donnait du Monsieur Armand-Louis. Heureusement Benjamin, lui, il m’appelait Armand. Juste Armand. J’ai chaussé mes baskets. La seule paire que mon Père avait bien voulu acheter. Il préférait les mocassins hyper chers qui convenaient mieux à mon rang. Comme si j’en avais quelque chose à faire ? En plus les mocassins c’était hyper inconfortables. Je préférais de loin les baskets. Surtout pour aller jouer dans la grange de Benjamin. Ses parents, ils étaient agriculteurs, ils avaient une immense ferme avec des poules, des vaches, des chevaux aussi. Ils faisaient du lait. Je me souviens qu’on avait fait la traite des vaches une fois. On s’était bien marrés. « Tu reviens pour manger, Armand ! » « Oui, m’man » Je suis parti en courant. J’ai traversé la ligne de sarment, où les employés coupaient les branches mortes, et arrangeaient celle qui restait.  

J’ai mis dix minutes pour rejoindre la ferme de Benjamin. Y'avait qu'avec Benjamin que j'étais bien. « Pourquoi tu lui dis pas ? » « Je fais que ça, mais il m’écoute pas… En plus, Etienne il aimerait trop être à ma place… et moi je serais bien plus tranquille » « Viens voir le sapin qu’on a fait pour Noël… On l’a fait hier soir » Leur sapin, il était immense. Tout décoré, en fouillis. Ça m’a fait tellement envie. Oh bien sûr, on en avait un de sapin. Mais unicolore, tout bien rangé, rien qui dépassait. Ennuyeux à mourir. Je faisais toujours une branche fouillis. Ma mère appelait ça, la branche Armand. Mon père trouvait ça désespérant, mais il avait fini par la laisser. « Je crois que je vais avoir un nouveau baudrier » « Trop classe ! Moi j’vais sûrement avoir un livre sur l’œnologie… Demain on va au Pic du Loup ? » « T’es fou, on va jamais y arriver tous seuls ! » « Allez… on essaie et si on arrive pas on rentre… mais ça me fait trop envie ! » « Tu sais que ton père va te tuer ? » Je sais pas pourquoi j’ai regardé l’heure sur ma montre. « Surtout quand je vois l’heure ! J’ai loupé le déjeuner ! »

Je suis parti en courant pour rejoindre le domaine, qui ne m’a jamais paru aussi loin. Père devait, sans doute, déjà être dans les vignes, à s’occuper des sarments. Il allait m’écorcher vif d’être en retard. Je courrais sur l’allée en sable qui menait au château. Et c’était en cet instant que j’aurais bien aimé savoir me déplacer en transplanant. J’avais appris ça dans mes livres de sorcellerie. Ça faisait un an que j’étais entré à Poudlard. Un an que j’avais découvert que j’étais un sorcier. Et cela me faisait un peu bizarre. Surtout de devoir garder tout ça pour moi. Seuls mes parents, Marie et Etienne savaient. Pour tout le monde, j’allais dans une école de commerce prestigieuse anglaise. Je ne revenais qu’aux grandes et aux petites vacances. J'étais revenu la veille, ppour passer Noël au domaine. En arrivant dans la cour, j’ai bousculé quelqu’un « Pardon M’sieur » avant d’être stoppé net dans ma course par une gamine blonde qui me fixait étrangement. « Tu cherches quelqu’un ? » lui ai-je demandé.

• • • Les réceptions sont de mise dans le domaine de Vermandois. Notamment à l'époque tant appréciée de Noël et de ces artifices ô combien singuliers et magnifiques. Néanmoins, en ce qui concerne Fiona de Vermandois, celle-ci est soumise à un emploi du temps rude qui ne lui laisse aucunement l'opportunité de profiter de Fenella de Vermandois, sa Vélane de fille. Cette dernière, est alors soumise aux bons soins d'Aristide de Vermandois, un père aimant et attentionné. Travaillant au Ministère des Affaires Magiques, au sein du Bureau de Surveillance. Cependant, le père de famille n'a de cesse de jeter une œillade préoccupée à sa descendance, âgée d'à peine huit ans et dont le don n'a de cesse de s'accroître au fil du temps.

Mélangé au sien. Parce que lui aussi, fait partie de ces rares hommes dont la génétique incombe le fait d'être une Créature quelque peu répudiée par le genre humain. Or, que sa chère Fenella soit répudiée de la sorte par tout un chacun lui est inadmissible. Mais, à quoi bon renier cette Nature, qu'ils partagent tous les trois et dont la future Comtesse est tributaire ? Alors que la petite Vélane est assise dans le grand salon, occupée à lire à son père, les grandes périodes de l'histoire de la magie, ce dernier émet un souhait. Celui de lui changer momentanément les idées, profitant que son épouse soit absente car présente pour une future filmographie de sorcellerie muette.

- Ma très chère fille. S'agenouillant face à la petite blonde qui sourit instantanément à cette figure paternelle qu'elle aime, elle vient tendre ses bras pour qu'il puisse la prendre dans les siens. Un rire de ce père aimant et attentionné. ... souhaiterais-tu que l'on sorte ? Afin de nous promener ? Rien que tous les deux ?
- Oui, Père ! Avec plaisir Père !
- Mets ton joli manteau bleu ciel et je viendrais nouer les lacets de tes jolies bottines. Un baiser tendre sur le haut du crâne où se trouvent des mèches blondes aussi douces que de la soie. Allez, zouh.

S'étant prestement parée de son manteau, la petite demoiselle attend l'homme de sa vie afin qu'il puisse faire ce qu'il lui a proposé préalablement. Tendant sa main, la petite Française y glisse la sienne, tandis qu'ils commencent à faire quelques pas. Le regard bleuté appréhendant tout cet univers qui semble à la fois si familier et si méconnu. Avec un rire, elle se laisse prendre dans les bras du Comte de Vermandois, celui-ci ne souhaitant aucunement qu'elle se blesse ou que cette promenade improvisée en vienne à l'épuiser prématurément.
Jusqu'à ce que l'Employé du Ministère des Affaires Magiques repose momentanément la petite Vélane sur le sol, pour que cette dernière puisse voir toute cette étendue qui va bien au-delà de leurs iris à tous les deux.

Ce domaine, il comporte des vignes. Magnifiques et à perte de vue. Immenses. Le domaine de Polignac. Pourquoi ne point venir acheter quelques bouteilles de vin, afin de célébrer les joyeusetés festives, qui ont lieu prochainement ?  Cela est le fond de pensée du grand homme aussitôt bousculé par un jeune garçon pour le moins intrépide. Faisant en sorte que la petite blonde, s'accroche momentanément au pantalon couleur gris ardoise de son très cher père. Bien peu rassurée que son interlocuteur la hèle directement.

- Tu me sembles bien pressé mon garçon. Un sourire destiné au jeune premier, avant de reporter ses iris bleu cobalt sur sa très chère fille. Cette petite demoiselle, elle se prénomme Fenella. Et, elle est timide. Un autre sourire. Idéalement, je souhaiterais amortir ma cave à vins. En achetant les vins renommés de votre domaine, jeune homme.
- Bonjour. Un seul mot, prononcé par la future Comtesse de Vermandois qui sera bien plus autoritaire et bien moins timorée à l'avenir.

• • • Elle avait l’air timide la petite fille, et ça me faisait sourire. Son père, cependant il semblait gentil et vachement réconfortant pour sa fille. « Pardon m’sieur, j’dois aller aider Père à faire les vignes » que j’ai répondu, un peu grincheux. J’aimais pas ça, faire les vignes. J’préférais aller me faire l’ascension du mur d’escalade de Cassis. On y allait à vélo avec Benjamin et notre défi, celui qui arriverait le plus vite en haut. On était à égalité, mais j’avais bien l’intention de l’écraser. Définitivement. Qu’il reconnaisse, que ouais j’étais carrément meilleur que lui. « Salut Fenella, moi c’est Armand » Ça sonnait tellement mieux à mes oreilles, Armand.

J’ai froncé les sourcils. C’est Père qui allait être content d’avoir le monsieur comme client Et puis, surtout ça allait l’occuper toute l’après-midi, et il allait peut-être oublier que j’avais loupé le déjeuner, et que j’étais pas venu l’aider à couper les vignes pour les préparer pour le printemps. Fallait être précis avec les vignes, chaque mois y’avait quelque chose à faire. Et le domaine était grand, une fois les vendanges faites, il fallait s'occuper des sarments, couper les branches qui ne servaient plus, garder la meilleure, pour qu’elle reparte l’année d’après. C’était un travail si fastidieux, que je ne sais pas comment mon petit frère faisait pour aimer ça. Lui, qui avait la chance de n’être que le cadet, il n’avait pas à s’inquiéter de ça. J’aurais tellement aimé être le cadet à sa place. Et lui, l’ainé. On serait bien mieux dans nos rôles respectifs. Lui, le bon élève qui boit les paroles de mon père. Et moi, le mauvais élève qui préfère jouer à traire les vaches de son pote, plutôt que de chercher une échappatoire pour ne pas devenir le futur Comte de Polignac. Armand-Louis, Compte de Polignac. Ça faisait pas un peu… genre… grave ampoulé ?

« Père, il est dans les vignes, vous voulez que j’aille le chercher ? » ai-je demandé au père de Fenella, sans quitter sa fille des yeux. Elle me faisait un effet étrange, que j’arrivais pas à expliquer. Comme si j’étais attiré à elle, alors que j’la connaissais même pas, et que surtout moi j’préférais de loin Benjamin. Mais ça, personne le savait, pas même Benjamin. J’voulais pas qu’il me déteste à cause de ça, alors j’disais rien. « Armand-Louis ! » Ah bah non, il était pas dans les vignes. « Tu as une heure de retard ! File dans ta…. » Il a été coupé par la présence de Fenella et son père. J’crois que ça va me sauver d’une engueulade en règle. Il a sorti son sourire d’apparat, comme à chaque fois que des clients étaient sur le domaine. « Bonjour Monsieur, je peux vous aider ? Pardonnez mon ainé, il a tendance à n'en faire qu'à sa tête, il ne vous a pas trop importuné ? » a-t-il lancé au père de Fenella. J'ai haussé les épaules, en lui faisant une grimace dans le dos. Discrètement, j’ai attrapé le bras de Fenella pour l’éloigner des deux paternels, parce que la conversation elle n’allait pas être super intéressante. J’crois qu’elle avait l’âge de ma sœur, huit ou neuf ans, et peut-être que je la faisais flipper à lui prendre le bras comme ça. Je l’ai lâché d’un coup. « Excuse-moi… tu veux boire quelque chose ? ». Je lui ai fait un grand sourire, alors que mon père vantait les mérites du vin rouge. Perso, j’préférais le blanc. J’crois que je devrais pas le dire ça… avec Benjamin, une fois on était allés dans les caves et j’crois qu’on avait gouté à tous les fûts gigantesques qui s’y trouvaient et oui, le blanc c’était le meilleur. Surtout l’Uby. Pt’ête que finalement, j’pourrais faire un bon négociant en vin, moi. Même pas en rêve, moi, j’veux devenir comme Hercule Poirot. J’avais juste pas décidé si je voulais être flic côté moldu, ou auror côté sorcier. « J’aime bien ton prénom… tu veux pas venir à l’intérieur ? ».