Ouvrage de référence [PV Louis Selwyn]

J’ai tourné la molette du briquet – j’aimais bien les objets moldus. La flamme oscillait devant le coin du parchemin que je tenais dans l’autre main. Encore une lettre qui n’arriverait pas à son destinataire. Eden ne recevrait plus jamais de lettres. Et cela m’attristait. J’aimais tant la voir danser, les volants de sa robe qui tournait au son de la musique jouée au piano par son petit frère. Et aujourd’hui, je n’avais plus rien. Qu’un immense appartement vide. Vide de cris, de bagarre, de rire, de gouter. Vide d’âme. Je détestais retourner là-bas. Et mon bureau au sein du ministère ressemblait plus à une chambre d’adolescent qu’à un bureau de directeur. Et je n’en avais rien à faire. Je préférais être ici. Le silence du département m’apaisait, cet endroit où je n’avais aucun souvenir d’eux me faisait du bien. Le département des mystères m’apaisait, là où il angoissait certains.

Le parchemin commença doucement à brûler. La lettre que je venais d’écrire ne serait jamais envoyée. Où irait-elle ? Eden n’était plus là. Plus jamais je ne pourrais lui dire à quel point je l’aimais. Ma chère Eden, puisses-tu être en paix là où tu es. C’était tout ce qui m’importait. Les coups secs à ma porte me firent grogner. Je n’aimais pas être dérangé lorsque j’écrivais à Eden. Sans quitter des yeux le parchemin qui se consumait lentement entre mes doigts, j’ai autorisé l’entrée au nouvel arrivant. « Monsieur Le Directeur, il y a quelqu’un à l’accueil qui veut vous voir… une certaine… Mary Birte ? C’possible ça ? » J’ai souri « C’est Kirte. Mary Kirte. Merci Eddy, je vais la rejoindre. » J’ai secoué le parchemin pour éteindre la flamme. Posé délicatement sur le bureau, je me suis levé. Mary était la fille de Catherine O’Neill. On avait fait une partie de nos études ensembles. Avant que je ne parte à l’ESM pour ma formation de langue-de-plomb. Une potionniste et un alchimiste, cela ne pouvait que procurer des étincelles. Sa fille en était sa digne successeuse.

J’ai fermé la porte de mon bureau qui s’est verrouillé automatiquement. Il se déverrouillait au moment même où je posais la main sur la poignée. Il ne réagissait qu’à ma présence. Le département des mystères regorgeait de temps de mystères que nous n’avions pas assez de toute une vie pour les découvrir. J’avais dû le faire en moins d’une journée lorsque j’avais pris mes fonctions. Et je n’étais pas sûr de les avoir tous retenus. J’ai souri Eddy dans les dédales des couloirs du département, me disant qu’il prenait une étrange voie pour sortir d’ici. « Vous savez Eddy qu’en tournant à gauche, on serait déjà sorti d’ici ? » « Bah, j’ai tourné à gauche, Monsieur le directeur » Comment un sorcier si peu latéralisé avait pu se faire engager dans ce département ?! « Vous avez tourné à droite, Eddy… » Il a stoppé ses pas observant ses deux mains. Un long soupir. « Je me trompe tout le temps. » Devais-je rire ou pleurer ? Je n’en savais rien. On a quand même fini par sortir du département. Les salles d’audience étaient vides, le couloir était silencieux et semblait être hors du temps. C’était un peu étrange. La voix dans l’ascenseur nous indiqua lentement les étages, un par un. Le département des mystères était enfoncé si profondément dans le sol que l’on mettait presque dix minutes pour remonter à la surface. Arrêt rapide au second étage pour y voir entrer le Directeur Bones. Lui, je ne l’aimais pas. Je n’aimais pas sa façon de lécher les bottes des hauts gradés, de ne pas protéger ses hommes, d’être pète-couille avec tout le monde – et surtout avec les aurors et les tireurs d’élites. Bonjour poli entre nous. Nos échanges se limitaient à bonjour, au revoir. Sauf lorsqu’il venait se perdre chez moi. Et cela me faisait marrer à chaque fois lorsque je le retrouvais dans la salle des douze, cherchant désespérément la sortie – que tous ses pairs trouvaient facilement. On est sorti tous les deux dans le hall, il a pris la direction du bureau de la Ministre. Je me suis arrêté à l’accueil, un grand sourire fiché sur les lèvres. Mary, cela faisait une éternité que je ne l’avais pas vu. Il faut dire que depuis le décès de ma famille il y a deux ans, je fuyais un peu le monde des vivants.

« Ma chère Mary, viens je vais te faire découvrir le meilleur café du ministère ! » me suis-je exclamé en lui attrapant délicatement la main. « Quel bon vent t’amène dans cet endroit austère ? » Le ministère n’était pas des plus accueillants, de part sa statue qui ornait le hall, par les gens qui y évoluaient – tous à faire la tronche comme s’ils venaient d’enterrer leur chien – par le bruit incessant des murmures qui donnaient mal à la tête.

Mary je la connaissais depuis qu’elle était née. L’avantage d’avoir connu sa mère au cours de mes études. Je l’aimais bien la gamine, même si parfois cela me rappelait un peu de trop l’absence de mes enfants. Eden et Lincoln me manquaient tellement. Et depuis qu’ils n’étaient plus là, j’avais arrêté de vivre. Mais ma vie valait-elle la peine d’être vécu sans eux ? Et ma Lizzie… je donnerais tout pour la retrouver. La seule femme que j’avais aimé et que j’aimerais. Pourtant nous avions eu un mariage arrangé, elle et moi. Nous faisions parti de familles de sang-pur tous les deux, et c’était d’usage courant de marier les héritiers. Mes parents avaient choisi pour moi, et Elizabeth Ollivander était entrée dans ma vie. Et même si le mariage arrangé ne m’avait guère plu, lorsque j’avais rencontré Lizzie pour la première fois, je savais que je ne voudrais plus la quitter. J’en étais tombé amoureux dès que je l’avais vu. Et aujourd’hui, son absence me rendait malheureux chaque jour. Et je donnerais tout pour la revoir, les revoir, encore une fois.

Cela faisait une éternité que je n’avais pas vu Mary. Depuis la mort de ma femme et des mes enfants, je reconnais que je m’étais un peu retranché dans mon département. Le seul endroit où j’y étais vraiment bien. Je n’avais aucun souvenir d’aucun des trois dans les méandres des mystères. Je m’y sentais apaisé, contrairement à notre appartement, où tout, absolument tout me rappelait ma femme, ma fille ou mon fils. Et j’angoissais, rien qu’à l’idée d’y retourner. Je crois que je mourrais dans mon département. J’étais devenu comme lui, je crois. Mystérieux et un peu terrifiant. Cela m’allait bien. Je crois. J’ai souri à Mary. J’ignorais si j’étais réellement en forme. Je savais donner le change, surtout. Physiquement, cela allait. Toujours. Pour le reste. Eden, ma belle Eden, puisses-tu me sourire encore une fois. « Cela tombe bien, la cafétéria du ministère fait les meilleurs thés du pays » ai-je répondu. Ou peut-être pas. Cela dépendait surtout du degré de tolérance. Mais était-ce la chose la plus importante le gout du thé ou du café, n’était-ce pas plutôt de passer du temps avec une personne que j’appréciais et que je n’avais pas vu depuis longtemps ?

Je l’ai conduite jusqu’à la cafétéria du ministère. Il n’y avait que trois personnes à l’intérieur. Bones qui discutait avec Greene – et vu la tête du chef des aurors, je crois qu’il aurait préféré être ailleurs qu’en compagnie de son Directeur. Je ne pouvais que le comprendre. Et un employé du cinquième étage, un journal à la main, ouvert à la page des sports. En gros plan, une photo d’un joueur de Quidditch, probablement au vu du maillot qu’il portait, mais ce qui a retenu mon attention c’est la photo à côté. Si le joueur, je ne le connaissais pas, sa présence sur la page des sports restait d’une logique imparable mais celle de l’auror à côté, ça c’était bizarre. Pourquoi, diable, Cilian Londubat avait-il sa photo dans la page des sports ? Je connaissais pas personnellement les aurors, mais je trainais suffisamment dans les couloirs du ministère, et eux aussi pour que leurs têtes me soient familières. J’avoue j’ai regardé vite fait le titre de l’article quand on est passé devant. « Aaron Davies, n’est plus un cœur à prendre ». Mouais. Je ne vois pas le rapport avec la photo de l’auror. Et ce n’était pas aujourd’hui que j’allais le chercher.

On s’est assis à une table près de la fenêtre. Dehors le temps était maussade. Peut-être qu’Eddy avait oublié d’arroser la salle météo. Elle se trouvait dans la salle circulaire, celle aux douze portes. Elle était cool cette pièce, et c’est elle qui décidait de quel temps il allait faire mais parfois, elle pouvait être un peu caractérielle. Et si on oubliait de l’arroser, elle donnait un temps maussade. Café et thé devant nous, je l’ai observé sortir l’énorme ouvrage, d’un œil intéressé. Moi, quand il s’agissait de livres – surtout sur les potions – j’étais toujours très attentif. J’ai attrapé l’ouvrage pour l’ouvrir. « Tu me connais si bien » ai-je répondu. J’ai refermé le livre. « Avec ça, je ne vais définitivement plus sortir de mon bureau » ai-je lancé, en rigolant. Je n’en sortais déjà pas beaucoup mais avec un tel livre, il était clair que je n’allais pas mettre le nez dehors avant un bout de temps.

J’ai levé les yeux vers Mary. « Alors… comment va notre jeune maman… et la petite Kathleen ? » Je savais qu’elle avait donné naissance à sa petite fille quelques mois plutôt.

En observant Mary, et sa joie de vivre, je me disais que cela faisait bien longtemps que je n’avais pas souri ainsi. Et surtout que je n’étais pas sorti de mon antre depuis presque autant de temps. J’étais bien que dans mon département. Je devenais peut-être aussi fou que lui, c’est ce que l’on disait de moi. « Aussi fou que son département » Cette phrase s’entendait souvent dans les couloirs du ministère. Je crois que ça m’allait bien. J’aimais bien garder une part de mystère et puis, soyons franc, j’aimais la solitude. Ma solitude. Pouvoir penser à mon Eden. Imaginer un nouvel avenir avec ma Lizzie. Et écouter jouer mon Lincoln, juste en fermant les yeux.

Je crois qu’elle n’allait pas être déçue, ou peut-être un peu. Cela dépendait des gouts de chacun. Moi, je l’aimais bien mais ma nièce disait toujours « t’as aucun gout tonton », alors peut-être que c’était vrai. J’aimais bien le calme qui régnait dans ce lieu de pause. On pourrait discuter tranquille sans le brouhaha incessant qui y régnait d’habitude. J’ai fait la commande de deux thés à la serveuse derrière son comptoir avant de nous asseoir à une table. « A vrai dire, je l’évite souvent cette cafétéria, car James a raison, elle est bien trop bruyante… » Et j’aimais pes le bruit. « Mon département est bien plus calme. Tu devrais dire à ton cher mari de venir faire un tour en bas, pour sa tranquillité ». Enfin s’il avait le courage de venir jusque-là. Peu de gens aimaient descendre au département des mystères. Pourtant, nous étions accueillants. Mais nous avions une réputation douteuse, absolument pas à la hauteur de ce que nous étions, mais c’était ainsi. Fallait faire avec.

Le livre que j’avais devant les yeux, je voulais le lire tout de suite. Pourtant, je me suis retenu cela n’aurait pas été très accueillant pour la pauvre Mary, si elle se retrouvait fac à un lecteur, trop absorbé par sa lecture pour lui faire la conversation. Mais il était clair que dès que je serais de retour dans mon bureau, je n’en ferais qu’une bouchée de ce livre. Dès que cela parlait d’alchimie et de potions, je n’entends plus ce qu’il se passait autour. « Si je pouvais me cloitrer dans une bibliothèque et ne plus jamais en sortir, je crois que je serais le plus heureux des hommes… » Ou presque. Eden aimait bien lire, elle aussi. Elle adorait l’alchimie, comme moi. Et on aurait fait des étincelles tous les deux. Mais je ne désespérais pas de trouver la formule pour fabriquer des arbres en chocolat. « Je te donnerais mon avis, sois-en assuré… mais je suis sûr que je peux te dire qu’il va me plaire… tu ne t’ennuies pas trop toute seule dans ta grande maison ? » Certes, elle n’était pas seule, Kathleen était là, mais la petite n’était qu’un bébé qui ne parlait pas. Je me souviens les premiers mois avec Eden, même si je n’avais d’yeux que pour elle, étaient un peu frustrant de ne pas pouvoir échanger avec elle.

« Tu m’en voies ravi. Avec une mère comme toi, elle ne peut que sourire. Toi aussi tu souriais beaucoup quand t’étais petite. » Eden aussi souriait. « Elle risque de vous fatiguer le jour où elle apprend des mots » ai-je répondu, en souriant. Avant de me fermer, un peu. Pas que je ne voulais pas aller chez Mary et son mari, loin de là. C’est juste que j’avais énormément de mal à sortir du département des mystères. Mais sûrement que je ferais l’effort. Pour la gamine face à moi. Parce que je l’aimais bien la petite. Et qu’il était peut-être temps que je sorte de ma tanière. Ou peut-être pas. « Je viendrais oui. Tu reprends quand le travail ? »    

Le département des Mystères portait si bien son nom. J’étais fier d’y travailler, et de le diriger. Je lui ressemblais, ou était-ce lui qui me ressemblait ? Ceux qui n’avaient pas le privilège d’y travailler ne pouvaient pas y entrer comme bon leur semblait. Heureusement, d’ailleurs. Il y avait bien trop de choses à protéger entre ses murs, et j’en étais le Gardien. Mais si j’y autorisais l’entrée, James Kirte pouvait parfaitement prétendre à passer les portes noires du département. Et puis, James n’était pas celui en qui nous ne pouvions pas placer notre confiance. C’était un jeune gars fort agréable et infiniment sympathique, parfait pour ma petite Mary. J’ai fait un sourire à ses paroles, si vraies. « Il suffit de frapper à la bonne porte » ai-je répondu, toujours un peu rempli de mystères. J’pouvais pas m’en empêcher. C’était pas chose aisée de trouver la porte de mon bureau, il y en avait beaucoup et l’on s’y perdait facilement, mais n’était-ce pas le propre du département de s’y perdre ? Mais pour James, j’pouvais parfaitement lui montrer le chemin. J’crois que ça me ferait plaisir de le voir, mais il était vrai que sortir de mon antre, était quelque chose qui s’avérait fort compliquée pour ma personne. Je n’étais bien que dans mon département, loin de tous. Le silence, le calme, et l’intense réflexion qui prenait mes entrailles dès que je pensais à eux.

J’aimais pas papillonner dans les étages du ministère, j’avais pas envie de faire bonne figure – même si j’y arrivais parfaitement en présence d’autre personne – j’voulais pouvoir ruminer en paix. Seul endroit, où je n’avais aucun souvenir ni de ma femme, ni de mes enfants. Seul endroit où j’y étais bien. Dans cette cafétaria, j’pouvais les voir évoluer dans tous les recoins, tant Eden et Lincoln étaient venus me voir au ministère. Et ça me pinçait toujours le cœur de venir ici. J’préférais de loin mon bureau avec des livres. Beaucoup de livres. J’avais toujours une soif d’apprendre, insatiable même après les années. Une bibliothèque ferait tellement mon bonheur. J’ai éclaté de rire à sa remarque. J’me voyais clairement allongé sur un lit de camp, un bouquin dans la main droite, et une bière dans la main gauche. Y’avait rien de mieux pour me faire plaisir. « Et un oreiller, c’est plus confortable » ai-je ajouté. J’devrais proposer ça à la ministre. M’installer la plus grande bibliothèque du ministère dans mon département, un lit et de quoi manger. Quitte à passer pour un fou autant le faire jusqu’au bout.

Plus personne ne m’attendait chez moi, de toute façon, j’pouvais bien rester aux mystères. J’aurais donné tous mes galions pour revivre ce que Mary était entrain d’apprendre. Revoir mon Eden à l’âge de Kathleen, mon Lincoln commencer à marcher. Ils me manquaient tellement. J’avais jamais jalousé ceux qui avaient cette chance, mais je ne pouvais pas m’empêcher de penser à mes deux enfants, partis bien trop vite. Je n’étais pas retourné voir un ballet de danse, même si depuis la mort d’Eden, je recevais toujours une invitation, bien trop douloureux de ne pas la voir sur scène, et d’en voir danser une autre à sa place.

Je lui ai fait un tendre sourire, compréhensif. Avoir son mari à ses côtés était une chance mais un soutient formidable, surtout dans cette aventure. Les bébés ça prenait du temps, même les plus clames d’entre eux. « Je suis content que tu puisses continuer tes études, mais ne te fatigue pas trop non plus… Kathy a besoin d’une maman en forme ». Lizzie, elle s’était arrêtée presque trois mois après la naissance des deux. Et elle m’avait toujours soutenu que ce n’était pas assez, même avec moi qui m’occupait des petits la moitié du temps. J’étais impatient de la rencontrer la petite, ça me rappellerait de bons souvenirs. Cela dit, je n’avais qu’à fermer les yeux pour me rappeler des mes enfants. De leurs premiers mots, et premiers pas. Première engueulade aussi, parce que l’un avait piqué le chouchou de l’autre. Eden pouvait ne pas être très prêteuse lorsqu’il s’agissait de son frère. « Lizzie n’attendait que ça, mais je reconnais que j’ai bien ri lorsqu’Eden a dit papa, en premier » Une sorte de mise en garde qu’elle pouvait elle aussi être un peu déçu. Le mot papa était – malheureusement pour les mamans – bien plus facile à prononcer que maman. Mais sait-on jamais, Kathy allait peut-être faire la joie de sa mère en premier. « Prends-le temps qu’il te faut, Lizzie disait qu’il n’y avait jamais d’urgence, que des gens pressés » Et elle avait parfaitement raison. L’important, c’était sa fille et sa santé, le travail n’était qu’accessoire, même si oui, elle devrait reprendre un jour.