Il traîne les pieds sur le bitume et ses bras pendent le long de son corps, se balançant au rythme de ses pas. Le dos légèrement voûté, Alex avance à l’allure d’une fourmi derrière Maddy, son regard flou traduisant l’extrême fatigue qui l’assaille. Il a dormi comme une masse cette nuit mais il aimerait bien se recoucher pour dormir encore une journée complète. La barre de céréales avalée ce matin l’a calé mais ne sera jamais suffisante pour lui redonner toute son énergie. Quelques jours auparavant, le centre de conversion l’a rendu à ses parents après un traitement à base d’électrochocs. Pour lui faire oublier qu’il aime les garçons. Ça a peut-être marché parce qu’actuellement, une seule pensée obsède le jeune Poufsouffle : dormir. Il est si fatigué qu’il s’endormirait à même le trottoir si Maddy s’arrêtait pour attendre un bus.
C’est en allant faire des courses pour sa mère qu’Alex s’est perdu, échoué sur un banc du centre commercial. Évidemment, ses parents le pensaient guéri et parfaitement apte à reprendre le cours de sa vie mais même un aveugle aurait compris que le jeune garçon était ressorti du centre à l’état de zombie. Sans compter les indéniables traces de brûlures qui coloraient encore ses tempes. Maddy Hartley avait été son ange gardien envoyée par… non, c’était certainement pas le dieu de ses parents qui lui avait envoyé un ange. Ce même dieu condamnait tout ce qu’il était. Alex ne savait plus quoi penser de sa religion ni même de la religion en général. Valait-il mieux prier les dieux des sorciers ? Croire à la force de la destinée ? Oui, c’était peut-être le mieux à faire. La Poursuiveuse était donc un signe du destin pour lui montrer qu’il pouvait s’en sortir, trouver du réconfort et voir disparaître tout jugement à son égard. Car la première chose que la sorcière avait vu, c’était un garçon en détresse, le reste, elle s’en moquait éperdument. Tout comme elle se moquait de l’avoir enlevé à ses parents. Ou d’avoir “oublié de le ramener chez lui” ? C’était sans doute plus doux comme explications. Toujours est-il qu’étant incapable de subvenir aux besoins d’un adolescent, la brune s’était rendue à l’évidence qu’elle avait besoin d’une aide un peu plus expérimentée sur le sujet.
C’était la deuxième fois que l’étrange duo empruntait le chemin du pensionnat Syndrigasti et pourtant, Alex ne reconnaissait pas la route. Il faut dire que son cerveau ayant subi tant de chocs, il n’était pas en mesure d’analyser correctement ce qui l’entourait. L’échange entre Maddy et la directrice de l’établissement s’était soldé par une belle dispute et un sentiment d’amertume. Dans un premier temps, Alex avait cru qu’on le redéposait dans un centre de conversion similaire à celui qu’il avait connu. Un vent de panique lui avait donné l’envie de fuir mais le fait d’y trouver Emma, sa camarade de Poufsouffle, l’avait rassuré. Elle lui avait parfois parlé de ce havre de paix où elle vivait, élevée par une mère qui n’était pas vraiment la sienne. Loin de ses parents qui ne savaient pas comment l’aimer. Le jeune garçon commençait tout juste à accepter l’idée d’un tel refuge quand Maddy l’avait récupéré, furieuse. Trop sonné pour comprendre, Alex l’avait suivie sans protester, sans même demander pourquoi elle avait changé d’avis. Et voilà que ce matin, la Poursuiveuse faisait marche arrière. C’était bien trop difficile à saisir pour le cerveau embrumé du Poufsouffle. "Pourquoi j’dois y retourner alors que tu t’es engueulée avec la dame du foyer ?" Il ne se souvient déjà plus de son prénom. Il sait bien que Maddy n’arrivera pas à s’occuper de lui, c’est elle-même qui le lui a dit… mais c’était une nuit de paix qu’il avait passée chez elle. Sans cris, sans peur des représailles, un peu comme quand il est à Poudlard. Ça pourrait devenir marrant, cette coloc improbable, non ? A manger n’importe quoi comme des gosses et se coucher tard pour regarder des films, comme pendant les vacances. "Je ferai pas d’histoires, j’te promets. Tu sauras même pas que j’existe." Devenir invisible, il a appris à le faire depuis bien longtemps. Se faire oublier était le moyen le plus naturel pour éviter de se prendre des remarques désobligeantes et de se mettre en danger.