Le parking (Libre)

Il a fallu des années à Maddy pour parvenir à faire la part des choses entre ses origines moldues et sa haine féroce à l'encontre de là d'où elle vient. Elle a tant souffert dans ce monde qui ne l'a jamais acceptée comme elle est, que ce soit à propos de la magie coulant dans ses veines ou de son homosexualité, qu'en fuguant de chez elle et en rejetant ses géniteurs elle a aussi rejeté leur monde. Elle passait tout son temps parmi les sorciers, décidant que c'était là qu'elle appartenait et nulle part ailleurs – née-moldue refusant d'être considérée autrement qu'une sorcière, ne tirant pendant des années aucune fierté de provenir d'un monde intolérant ayant failli la tuer. L'amalgame était facile : elle en voulait à ceux qui l'avaient traitée comme un monstre à soigner durant des années – ses parents – et à tous ceux qui pourraient penser comme eux – les moldus. Même lorsqu'il avait été question de trouver un travail sans être dotée du moindre diplôme si ce n'est ses ASPIC aux notes assez moyennes, elle s'est tournée du côté sorcier de la capitale et a été serveuse dans des bars servant du jus de citrouille plutôt que du jus d'orange. C'était sa rébellion à elle, sa façon de nier là d'où elle vient.

Aussi étrange que cela puisse paraître, c'est son renvoi des Faucons de Falmouth qui lui a servi d'électrochoc à ce sujet. Cette trahison aussi violente qu'injuste l'a poussée à réaliser que les moldus n'étaient pas les seuls connards que la Terre porte : les sorciers ont aussi de très bons candidats dans ce domaine, Wellington en tête de liste. Ainsi, il y a cinq ans, la brune a petit à petit renoué avec ce monde qu'elle avait rejeté en bloc depuis sa fugue, au point d'avoir même passé son permis l'été dernier – en partie parce qu'elle voulait pouvoir se déplacer facilement dans le monde moldu afin de voir souvent Alex. La brune a aussi rencontré des moldus avec qui elle s'est bien entendue et est parfois même devenue amie. Il y a notamment eu Aurore, une serveuse sympathique avec qui elle a fait un concours de shots dès leur rencontre – elle avait fini son service, et Maddy n'avait pas entraînement le lendemain, pourquoi se priver ? Aurore est chouette, et elle est tellement bavarde que la sorcière n'a pas mis longtemps à connaître toute sa vie – elle préfère ça plutôt que des questions dans l'autre sens, n'aimant pas qu'on fouine dans sa vie privée. Originaire de Birmingham, Aurore passe plusieurs mois de l'année à Londres pour son travail. C'était le cas du mois de septembre durant lequel Maddy et elle se sont revues, la brune acceptant même de l'amener à la gare pour son départ le 2 octobre.

Le parking de la gare King's cross est désert lorsque la née-moldue y retourne pour récupérer sa voiture. Ses baskets ne font pas beaucoup de bruit alors qu'elle se dépêche de la rejoindre, n'ayant pas envie de s'attarder ici plus longtemps. Elle compte bien se rendre à Syndrigasti pour déjeuner avec Alex ce midi et profiter des derniers jours qu'il passe à Londres avant la rentrée – oui, elle appréhende un peu son retour au château même si elle aurait tendance à le nier. Le drôle de son qu'émet la voiture au démarrage fait grogner d'agacement Maddy qui décide cependant de l'ignorer et sort de la place où elle était garée malgré le bruit tonitruant qu'elle fait à chaque mètre parcouru. C'est là qu'elle remarque qu'une femme se trouve au milieu de la route et, n'ayant envie de tuer personne, et s'arrête le temps que l'inconnue s'éloigne. Le problème ? Lorsqu'elle embraye de nouveau, le moteur fait le pire bruit qui soit puis la voiture en entier s'éteint. C'est une blague ? La joueuse de Quidditch sort la clé puis la remet en place et la tourne – une fois, deux fois, trois fois... en vain. Alors elle sort de la voiture, l'air passablement – non – agacée. « Vous savez pas réparer un moteur de voiture, par hasard ? » qu'elle demande directement à l'inconnue tout en contournant sa voiture dans le but d'ouvrir le capot. Dire bonjour ? Elle a mieux à faire là tout de suite.

Sans surprise, les difficultés qu'a sa voiture à démarrer mettent Maddy d'excellente humeur au point d'en oublier de se montrer polie lorsqu'elle interpelle une inconnue sur le parking. Pour sa défense, elle considère le fait de ne pas l'avoir écrasée alors qu'elle se trouvait au beau milieu du passage comme une politesse. Peut-être même que sa caisse n'aurait eu aucun souci à rouler si elle n'avait pas dû s'arrêter pour cette femme, alors elle devrait s'excuser plutôt que de la regarder comme ça. Pourtant, elle devrait sans doute se calmer face au regard autoritaire qui est posée sur elle, mais ce dernier a l'effet exactement inverse : il l'agace profondément. Pas du genre à se laisser impressionner, et encore moins enguirlander par une personne qu'elle ne connaît ni d'Eve ni de Patrick – oui elle crache sur la religion jusqu'au bout, la Hartley déshéritée –, elle ne se démonte pas et soutient le regard de l'inconnue qui semble décidée à lui faire une leçon de morale. « Bonjour avant toute chose, non je ne sais pas et même si je savais je n’aurai pas envie de vous aider vu votre impolitesse. Je crois que j’ai vu un troll plus loin, allez voir si lui sait et essayez de dire bonjour et s’il vous plait avant toute chose. » Agacée, Maddy ne tilte même pas sur la mention d'un troll en territoire moldu – l'expression est courante à ses yeux et elle ne fait pas le lien, trop occupée à fusiller du regard celle qu'elle a déjà couvert de noms d'oiseaux dans sa tête. « Mais que c'est spirituel, » claque sèchement Maddy d'un ton ouvertement moqueur, avant d'émettre un sifflement admiratif parfaitement hypocrite. Oui, elle se fout de sa gueule, mais l'autre l'a totalement cherché. Et puisqu'elle ne lui est d'aucune utilité, la joueuse de Quidditch ne se gêne pas pour l'ignorer, contournant plutôt sa voiture pour se placer au niveau du capot qu'elle ouvre sans ménagement. « Bordel c’est votre engin qui fait ce boucan ? » Mais qu'est-ce qu'elle raconte encore ? La question lui fait tourner la tête dans sa direction, tout ça pour constater qu'elle a l'air sur ses gardes comme si elle s'attendait à ce qu'un quintaped sorte de derrière une voiture et lui fonce dessus pour la bouffer. « Vous avez jamais ouvert le capot d'une voiture ? » En réalité, elle n'a aucune idée de si c'était réellement ce bruit qu'a entendu l'inconnue, mais elle s'en fout. Elle a d'autres chats à fouetter que la paranoïa d'une nana qui a préféré lui faire la morale plutôt que de lui filer un coup de main. « Putain si vous flippez au moindre bruit de bagnole, on se demande ce que vous foutez ici, » raille-t-elle d'un air agacé, sans pour autant la regarder puisqu'elle est trop occupée à observer en détail le bloc moteur de sa voiture dans l'espoir de repérer un peu de fumée qui lui indiquerait quel est le souci. Enfin peut-être. Elle n'est pas mécano, merde...

Mise de mauvaise humeur par sa voiture qui fait des siennes, Maddy n'est absolument pas aidée par la femme à qui elle a eu la stupide idée d'adresser la parole. Sur tout un parking vide, elle a eu le malheur de tomber sur une abrutie finie qui préfère lui faire une leçon de morale plutôt que lui filer un coup de main. Elle ne doit même pas avoir dix ans de plus qu'elle, pourtant à l'entendre elle semble en avoir soixante. Chiante. Alors, dans toute l'insolence qui la caractérise, la poursuiveuse ne se prive pas pour se moquer ouvertement d'elle et l'envoyer bouler. Lui dire bonjour ? Ô, elle ne va pas s'emmerder à le faire alors que l'autre essaie de lui apprendre la vie. « Waah je suis impressionnée par votre capacité à manquer de respect aux autres et à croire qu’ils vous aideront. Votre stupidité est sans pareil. » Cette fois, l'ancienne Poufsouffle ne prend même pas la peine de tourner la tête vers son interlocutrice, se contentant de lever les yeux au ciel avant de reprendre son inspection du bloc moteur. Pas de fumée, aucun indice pour savoir ce qui cloche, gé-nial. Pour sûr, c'est l'autre idiote qui lui porte la poisse. En plus elle a la trouille au moindre bruit de voiture, c'est absolument ridicule. Elles sont sur un foutu parking ! Elle s'attendait à y trouver quoi ? Des lapins qui sautillent et des chats qui ronronnent ? Alors oui, encore une fois Maddy la raille sans honte, irrespectueuse à souhait – mais estimant que c'est l'autre qui l'a bien cherchée. Elle se fout d'entendre sa langue claquer contre son palais en signe d'agacement : elle aussi elle peut le faire, ça n'apporte rien à la discussion. Cette femme n'apporte rien à la discussion. Ni à la situation, d'ailleurs, puisqu'elle ne l'aide pas non plus avec sa pauvre bagnole. « Je vais vous laisser dans ce grand parking seule avec votre voiture qui va sûrement vous pété à la gueule, parce que je doute sincèrement que qui que ce soit vous vienne en aide. » Cette fois la poursuiveuse tourne la tête vers elle, mais ce n'est sûrement pas pour la retenir et encore moins pour l'excuser. « Vous avez pas fini de parler sérieusement ? » claque-t-elle sèchement, ouvertement agacée. L'inconnue parle trop, c'est immensément pénible. Déjà qu'elle doit se la jouer mécanicienne alors que ce n'est pas son domaine, si en plus il y a un foutu perroquet moralisateur qui piaille à côté d'elle elle ne va pas y arriver. « Je vous souhaite malgré tout une bonne journée. » « Ouais c'est ça, bonne journée, » rétorque-t-elle, pestant presque, avant de se tourner de nouveau vers son capot relevé. Bon, où en était-elle ?

Tentant de vérifier l'état de la batterie du mieux qu'elle le peut, Maddy se dit que ce serait tout de même bien plus pratique avec un Lumos pour voir un peu mieux ce qu'elle fait dans ce parking sombre. Mais lorsqu'elle tourne la tête pour vérifier que l'inconnue, qu'elle suppose être une moldue, est partie et ne pourra donc pas la voir avec sa baguette, elle a la surprise de découvrir qu'elle est... revenue vers elle ? Mais qu'est-ce qui lui prend ? Les yeux ronds, la poursuiveuse l'interroge en silence de son regard perplexe. « Je reviens surtout parce qu’un feu mettrait en danger des innocents, pas pour vous. Vous avez foutu quoi avec cette voiture pour qu’elle semble sur le point d’exploser comme ça ? » La née-moldue roule des yeux. Putain ce qu'elle lui tape sur les nerfs celle-là. « J'ai freiné pour pas vous écraser, figurez-vous. Puis quand j'ai débrayé pour repartir elle n'a pas voulu démarrer. » Le tout après avoir émis un bruit d'agonie version voiture, bien sûr. Elle suppose que c'est le moteur le problème car une batterie fait rarement de pareils sons avant de rendre l'âme, mais difficile de le vérifier dans l'obscurité du parking et avec une moldue à côté d'elle. « Vous êtes sûre que vous ne voulez pas retourner à votre plan initial et me laisser avec ma voiture qui va me péter à la gueule ? » Ça l'arrangerait bien, elle, que celle qu'elle suppose être dépourvue de magie se casse pour qu'elle puisse utiliser sa baguette tranquillement. « Promis s'il y a un feu, je penserai à dire bonjour aux gens avant de les prévenir, » ajoute-t-elle avec le sourire le plus faux qu'elle a en stock. Est-ce qu'elle espère qu'à être suffisamment insupportable, elle va réussir à faire fuir de nouveau l'inconnue ? Exactement.