Des trous dans la tête (Tiberius)

Le soleil de fin d’été était déjà haut dans le ciel de ce milieu de matinée lorsque j’ouvris un oeil plus que paresseux sur l’intru qui venait de me réveiller.
Depuis le début des vacances, j’étais devenu pour ainsi dire un oiseau de nuit. Les températures estivales avaient été tout bonnement infernales dans les rues de la capitale anglaise, et les opportunités qu’offrait la ville de nuit avaient tôt fait de me séduire, me faisant troquer ma vie de gamin diurne par celle du mioche indiscipliné que j’étais bien souvent. Et durant ces longues semaines, mes journées et mes nuits s’étaient trouvées ponctuées de rencontres et de festivités, m’offrant des découvertes plus folles les unes que les autres. Pourquoi est-ce que les gens se privaient de tout ça ?  Ca n’avait aucun sens de passer son temps à travailler et à s’inquiéter pour des futilités. Lorsqu’on a qu’une vie, il faut la vivre à fond. C’était peut-être ce qu’avait voulu faire Aconia d’ailleurs, avant de se retrouver sur la mauvaise pente. Et à vouloir tout concilier, elle s’était admirablement loupée jusqu’à finir à compter les niffleurs dans un lit d’hôpital pour la fin de ses jours. Avais-je peur de finir comme elle ?  A vrai dire je ne me posais même pas la question.

Cette soirée-là avait sans nul doute été mémorable. Du moins… assez pour que finalement je n’en garde qu’un souvenir très flou, et une sacrée gueule de bois. La luminosité qui me fit plisser les yeux et mon corps impitoyablement courbaturé me firent comprendre que j’avais passé le reste de la nuit -ou du petit matin ?- dehors. Par Merlin… j’avais mal partout, et affreusement soif… et devant moi, dans un clair-obscur aveuglant, se découpait la silhouette massive de l’importun qui m’avait happé hors de mon sommeil. Je laissais échapper un grognement inintelligible en guise de réponse, ne comprenant moi-même pas un tiers de ce qu’il me racontait. Et je m’apprêtais à me retourner sur mon banc pour lui tourner le dos lorsque sa poigne de fer m’agrippa à l’épaule pour me faire basculer de mon lit de fortune.
VLAM. Tant sonné qu’éveillé, je laissais m’échapper un « Putaaaain ! » vaseux et protestataire. C’était qui cette brute ?  Si c’était des mornilles qu’elle voulait, elle pouvait toujours se brosser, j’avais sans doute déjà tout dépensé en alcool ou poudre de mandragore, et à coup sûr tout était déjà consommé à en juger par mon état.

Sauf que le gaillard ne semblait pas décidé à en rester là, et me saisit par le bras pour me redresser et m’entraîner à sa suite. Moi, je me protégeais tant bien que mal de ce fichu soleil qui m’aveuglait, et au bout de trois pas je fus pris d’une terrible nausée. De celles qui ne préviennent pas, impérieuses, et inarrêtables. L’instant d’après, je déversais le contenu de mon estomac sur le pavé, esquivé admirablement par le type qui me maintenait sur pieds.

« T’as beaucoup trop forcé, gamin… » soupira-t-il alors que je commençais à plus distinctement percevoir mon environnement.

Il ne me fallut pas beaucoup de temps pour reconnaître le manteau si spécifique des Tireurs d’élite du Ministère, brigade dont mon oncle était le chef, et vers lequel le sorcier m’entraînait très probablement à défaut de m’amener dans une cellule de dégrisement.
Le gars en question, je l’avais déjà vu plusieurs fois, d’ailleurs, à force de voir les gars de mon oncle. Mais en cet instant, j’étais bien incapable de remettre un nom dessus. C’était quoi déjà…?  Jimmy ?  Bobby…?
Le trajet en compagnie du tireur, appelons-le Rudy, ne se fit pas sans mal. Sa patience, qu’il perdait peu à peu, était plutôt admirable compte tenu de mon état. Et je me doutais que si je n’avais pas été le neveu de son patron, il m’aurait traité avec beaucoup moins d’égards.

« Dis voir… Rudy… Tu voudrais pas me ram’ner chez moi plutôt ? » tentais-je alors qu’il me traînait d’ores et déjà dans le hall du Ministère sous le regard interloqué de plusieurs visiteurs.

Fallait dire que j’avais une sale mine, l’air débraillé, les cheveux en bataille, l’oeil rouge et la mine blafarde. La tronche d’un type qui a trop bu et mal dormi, en somme.
Rudy me corrigea vis à vis de son nom -l’information entra par une oreille pour ressortir par l’autre- avant d’énoncer quelque chose du style qu’en temps que mineur… blablabla.
Bref.

Passant à présent entre les bureaux des tireurs d’élites, dont certains dardaient un oeil tant amusé que dubitatif sur moi, Jimmy me bazarda sur un siège devant le bureau du chef des Tireurs d’élite, l’immensément grand et honorable Tiberius Ogden, dont le nom était inscrit en lettres d’or sur la porte vitrée.
Tommy toqua à la porte du bureau, attendant l’aval de son occupant pour ouvrir et s’y faufiler.

Un soupir quitta mes lèvres et je m’avachis davantage, mes iris embrumés étudiant alors la possibilité de m’échapper de ce bourbier par un quelconque passage dérobé alors que mes muscles, eux, ne demandaient qu’un peu de répit. Trop tard pour les uns comme pour les autres, car la porte s’ouvrit à nouveau.

« Saluuuut l’oncle ~ » soufflais-je d’une voix chantante et enrouée alors que sa chaussure passait le seuil du bureau.

Depuis que mon neveu était entré dans ma vie, -et par Merlin merci-, je ne pouvais point nier que celle-ci était de tout repos. Gwynn, avait un esprit totalement libertaire et à l’image de sa mère Aconia. Ma jeune sœur, que j’allais voir quotidiennement à Sainte-Mangouste ou dès que l’hôpital pour sorciers britanniques avait pour nécessité de me joindre, étant la dernière personne encore vivante pouvant me rendre à son chevet. Même si celle-ci ne me reconnaissait point ou plus, je me devais d’aller lui rendre visite. Bien que je pourrais aisément tirer les oreilles de son fils, pour ses quelques désertions à l’encontre de sa génitrice. Mais, qu’y pouvait-il ? Il gérait un trop plein d’émotions du haut de ses dix-sept ans et cela ne devait point être aisé tous les jours.

Surtout quand j’usais et abusais peut-être, de ce don qu’il arborait. Trouvant celui-ci magnifiquement mélancolique. Ma Lavernia était du même avis que ma personne, s’évertuant à trouver que le gamin n’avait point une vie facile et qu’heureusement, j’étais encore là pour lui tenir la bride. Même si parfois, j’étais bien à des lieues de penser qu’il ne m’écoute. J’étais une forme d’autorité paternaliste avec mes hommes, mais je pouvais décemment avouer que j’avais du mal avec mon neveu parfois. Alors qu’il était pour le moins adorable et qu’il avait son caractère. Fier là aussi, qu’il eut été envoyé à Serpentard. Dans la meilleure des Maisons. Tandis que je jetais un œil aux commentaires d’Hephaïstos Hopkins sur un formulaire et sur une affaire en cours, je me décidais à me rendre à la cafétéria du Ministère de la Magie. N’ayant aucun rendez-vous de jugé primordial dans mon emploi du temps.

Lavernia étant silencieuse et ne me parlant point pour cette fois, je décidais d’aller me sustenter, ayant reculé ma pause pour ce fait. Mise à part l’alcool dont certains (et certaines) ne se priveraient point de me certifier que j’en ingurgitais en trop grande quantité, je devais quand même opter pour ce quelque chose de bien plus solide que réclamait par moments, mon estomac. Et, j’avais une légère préférence pour le carrot cake, préparé et servi avec délice. Cela était mon péché mignon, tout comme certaines nourritures provenant d’autres pays du monde. Évidemment, il était à noter qu’avec la quantité de travail que je pouvais avoir sur les épaules, je ne montrais point à mon cher et tendre neveu, mes talents culinaires. Mais je me rattraperais. En temps voulu.

J’étais prêt à me rendre à cet endroit, où je devrais me mélanger au peuple, moi Tiberius Ogden. Moi, qui n’aimais point cela, malgré ma position haut placée et ses standards avérés. Je n’avais point pour habitude de rester trop longtemps à converser, préférant la quiétude feutrée de mon bureau et le goût ambré de mon Whisky. Aussi Pur-Feu que dans la normalité, finalement. Cependant, les Dieux dans leur cruelle mansuétude n’acceptèrent point de m’offrir pareil délice. Car à la porte de mon bureau, des coups furent portés. Timides et timorés au tout début, puis bien plus véhéments ensuite. Avais-je le choix de refuser ? Il semblerait que non. Que la réponse était définitivement dans la négative.

Derrière la porte de mon bureau se trouvait l’un de mes hommes, à l’air patibulaire et bien peu engageant. Que se passait-il ? Néanmoins, je ne pus décemment occulter le léger froncement de sourcils qui apparut sur mes traits, quand je compris l’objet de la venue de mon employé. Mon neveu : en chair et en os. Ou plutôt à moitié, là. Si j’en croyais son attitude désinvolte. Qu’avait-il encore bien pu produire de dommageable pour que l’un de mes subordonnés s’évertue à me le ramener ?

Sûrement des prouesses, j’en étais intimement persuadé.

- Je vous ramène votre neveu patron. Le sous-entendu derrière ses palabres était plus que tangible. « Il a encore brillé par des idioties ».
- C’est bon Tommy. Tu peux nous laisser. Je crois que je vais avoir une petite discussion avec cet avorton. Et de prendre le dit avorton par l’épaule, tout en l’entraînant dans mon antre. Alors que l’employé nous salua et qu’instinctivement je plaçais devant mon invité un verre d’eau et une potion anti gueule de bois. Ayant un stock conséquent dans mon propre bureau. Tu vas me boire ceci mon petit gars. Et après seulement, on parlera entre quatre yeux. Pas avant. Je passais évidemment sous silence, l’évocation de ce dessert que je prédilectionnais. Pas tant que mon neveu ne sera point en mesure d’énoncer quelques syllabes cohérentes.

- Qu’a-t-il encore fait ? Si ma femme Lavernia s’y mettait aussi, où allions-nous ? Et pour répondre à son interrogation : je n’en avais point la moindre idée.

Qui aurait cru que, par un beau matin d’été, les bureaux du Département de Justice Magique pouvaient être si ensoleillés ?  Pour mes yeux fatigués, ça brillait autant que l’antre d’un Niffleur, et ça me donnait un de ces mal de crâne…!
Abandonné dans les chaises face au bureau de mon oncle, je me tassai un peu, fourbu, mais non sans observer d’un oeil plissé les éventuelles issues de secours. Ces dernières me paraissaient si lointaines que c’en était décourageant. Puis de toute façon, Jimmy s’effaçait d’ores et déjà pour laisser sortir le maître des lieux de son antre. Je ne relevais pas le terme “d’avorton”, sans doute assez mérité, et me décidai de le saluer d’une voix tant éraillée qu’enjouée. Ouais, je devais encore avoir une sacrée dose d’alcool -si ce n’est d’autres trucs ?- dans le sang.

Imposant par sa stature, le chef des tireurs d’élite du Ministère ne sembla pas s’émouvoir de ma flagrante politesse, préférant me saisir avec une poigne impérieuse par l’épaule, me forçant à me lever -et me maintenant debout- et me traînant jusque dans son repère. Un véritable îlot de paix où la lumière se trouvait fort heureusement bien plus tamisée.

Me retrouvant cette fois échoué sur l’un des fauteuils de cuir faisant face au bureau de Mr Ogden, je m’affalai un peu alors que ce dernier plaçait devant moi des éléments qu’il jugeait sans doute nécessaire à ma survie : de l’eau et une potion à la couleur douteusement verdâtre. Mais pas ce joli vert propre à la Wiggenweld, nan… un truc qui tirait plus sur le kaki brunâtre, et dont la vue me donnait presque la nausée. Mes iris se déportèrent alors vers une forme brumeuse et indistincte se trouvant dans un coin de la pièce et qui, somme toute, paraissait m’observer. Meh… à tous les coups ça devait être la fameuse tatie. C’était bien ma veine.
Mon attention, très incertaine, fut de nouveau happée par les propos de mon oncle. Une fine grimace se dessina alors sur mes lèvres alors que je me massais une tempe. Boire ce truc…?  Plutôt crever. Mais Tiberius avait ce genre de ton sans appel, celui propre aux hommes qui avaient l’habitude de donner des ordres et que ces derniers n’avaient d’autres choix que d’être respectés. Bordel…
Toujours avachi, prêt à fusionner avec le cuir du fauteuil, je tendis le bras pour m’emparer du verre d’eau et le descendre d’une traite. Manquant ensuite de le lâcher dans le vide au lieu de le reposer sur le bord du bureau -mais je m’en suis aperçu à temps.

« Là… on peut p’tet parler entre trois z’yeux du coup nan ? » tentais-je de négocier.

Ca me semblait pas si idiot, puisque j’avais bu la moitié de ce qu’il me demandait. A moins qu’il faille faire entre deux yeux, puisqu’il s’agissait de la moitié de quatre. Mystère à élucider…

« Ou deux…? »

De toute façon, c’était biaisé puisque Tatie semblait dans les parages, même si je ne la distinguais pas particulièrement nettement.
Tentant de faire passer la pilule, j’ignorai royalement la potion douteuse se trouvant à côté du verre vide. Je n’avais pas demandé à être traîné ici de toute façon, tout ce que je voulais c’était terminer ma nuit.

J’avais fait la promesse à ma chère et tendre sœur, -et j’étais homme de parole-, de m’occuper de son fils Gwynn. Ce qui en soit, était une gageure de tous les instants. Le jeune homme n’avait point de réels repères paternels, si ce ne fut moi, son oncle. Désigné comme étant son tuteur légal face à cette Loi, que je me devais de faire respecter. Avec ma personne, mes hommes obéissaient et ne sortaient point des sentiers battus. Tout comme je leur octroyais ma pleine confiance, je voulais qu’il en soit de même pour mon neveu. Même si celui-ci, avait de fortes tendances à la désobéissance et à l’envie de prendre la poudre de cheminette. Je m’en étais très bien aperçu, je n’étais aucunement dupe de ce satané comportement.

Or, mon affection pour lui, transcendait mon envie de sévir. Je lui offrais déjà une punition avec ce breuvage dégueulasse, qu’il devait ingérer. Ce qui, de mon point de vue, s’avérait être toujours une satanée épreuve après une gueule de bois. Avec un sourire que je camouflais derrière un air impérieux, je le vis toutefois être à la lisière de faire tomber ce flacon, concocté spécialement pour cette occasion. Et, il n’avait clairement pas que de la boisson alcoolisée dans son organisme, j’en soupçonnais même des substances avérées qui avaient le pouvoir à elles seules, de parasiter l’âme. Et, j’en savais le jeune homme assis en face de moi assez coutumier de cet état de fait.

Lavernia, m’en voudrait sûrement de ne point corriger cette trajectoire, étant donné que j’étais bien le seul et unique adulte que mon interlocuteur écoutait. Quand lui-même, le souhaitait.

- Je préfèrerais entre deux yeux Gwynn. Mon accent Gallois ressortait assez aisément quand j’insufflais des ordres à mon assistance ou quand j’étais disposé ; -comme en cet instant-, à faire valoir de mon autorité « paternelle ». Bois, l’entièreté de ton breuvage et après, j’escompte à ce que nous discutions. Entre hommes.

Même s’il demeurait encore un adolescent sous mon regard olive, il n’en était pas moins un homme. Encore jeune certes, mais un citoyen qui devait respecter certaines règles qui lui étaient imposées. Surtout en vivant sous mon toit et en évoluant à mes côtés. Peut-être, n’étais-je pas le meilleur dans ce domaine pour l’éduquer ? Mais, si je n’avais point été là … que serait-il devenu ? Je préférais faire abstraction de ce questionnement alors que ma femme, elle, ne se privait aucunement de croiser les bras sous sa poitrine avec un air des plus courroucés à l’encontre de ce membre de la famille, qu’elle n’avait pas le loisir de le connaître.

Seulement en tant qu’esprit éthéré, toutefois.

- Tu dois sévir mon Tiberius. Sinon, il va te faire tourner en bourrique. Elle avait entièrement raison. Tandis que je fronçais les sourcils, attendant que la potion fasse effet chez mon vis-à-vis et qu’il serait de bon ton, d’en venir à quelques interrogations.
- Qu’as-tu fait de ta nuit ? Où étais-tu ? Et ne me mens pas, ce ne serait pas dans ton intérêt, Gwynn Ogden. Même si, à sa tête, je voyais bien qu’il priait tous les dieux de notre folklore pour la terminer, entre des draps chauds, sa précieuse nuit.

J’avais totalement la cervelle retournée, la tête à l’envers, tout en étant bien incapable de dire si mes idées étaient particulièrement brillantes ou totalement décalées. Réfléchir me donnait mal au crâne, et boire un verre d’eau n’avait absolument rien changé à la sensation pâteuse que j’avais dans la bouche. Et si on m’interdisait la possibilité de rejoindre un lit douillet, je connaissais à trouver la possibilité de m’assoupir dans ce fauteuil de cuir plutôt séduisante. Faut dire que l’endroit était hautement plus confortable que le banc en pleine rue d’où on m’avait quelque peu brutalement tiré.

Je hissais un coup d’oeil vers l’oncle, cette simple action me demandant déjà bien plus d’énergie qu’elle n’aurait dû, et ne manqua pas de m’esclaffer à sa réponse. Parce que si on passait de quatre yeux à deux, c’était presque un début de victoire, de mon humble avis. Hilare, je l’étais pour pas grand chose, encore sous l’emprise de ce je ne sais quoi que j’avais pu ingurgité et qui, en cet instant, me rendait tout autant malade. Mais la réponse qui suivit me fit ravaler mes rires, troquant mon sourire pour une grimace contrie en constatant que le grand Tiberius ne comptait pas céder autant qu’il me l’avait laissé espérer.

« D’accord, d’accord… » abdiquai-je d’un ton las. « Mais faudra pas que Buddy se plaigne s’il doit nettoyer le tapis. »

Je me saisissais alors, non sans mal, de la fiole, égarant le bouchon qui roula sous le bureau de mon oncle sans même que je m’en aperçoive. Mon regard embrumé scruta avec scepticisme le contenu que j’allais devoir m’enfiler sous peine de… de quoi d’ailleurs ? Je relevais un oeil vers l’officier Ogden, qui voulait discuter une fois la fiole ingurgitée, alors que moi… j’voulais juste qu’on me foute la paix. J’avais quoi à y gagner à boire cette chose infâme ? Mais le regard de mon tuteur resta impérieux, malgré ces quelques courtes secondes d’échange silencieux. Je laissais alors filer un soupir, avant de porter cette fiole de malheur à mes lèvres et en avaler le contenu d’une traite. Non sans un haut-le-cœur accompagné d’une franche grimace. Infâme ! Et je n’avais même plus d’eau pour faire passer ça ! Clairement, si je n’avais pas eu un tant soit peu de respect pour mon oncle, j’aurais recraché la fin sur son beau tapis. A la place de quoi, je bazardai la fiole vide sur son bureau, et me tassai un peu plus dans le fauteuil en laissant s’échapper un juron.

Je devais cependant reconnaître une certaine efficacité à cette potion de malheur, car plus les secondes et minutes s’écoulaient, moins j’avais la nausée. C’était également mon mal de tête qui s’envolait à tir d’aile, tout comme cette sensation de bouche pâteuse. Ma fatigue, elle, restait bien présente, parce qu’il était clair que j’avais bien trop peu dormi. Et je pouvais pas vraiment prétendre avoir les idées claires non plus, ayant encore sans doute un certain taux d’alcool dans le sang, entre autres choses.

Ce fut le moment choisi alors par le chef de la Brigade de la Police Magique pour faire ce qu’il savait le mieux : son travail. Non mais sérieusement ? Je glissais vers lui un regard désabusé.

« C’est un interrogatoire ? Je ne parlerai qu’en présence de mon avocat ~ »

Il ne manquait plus qu’un bon Lumos dans la gueule, et on y était.
Puis qu’est ce que ça changerait de toute façon, qu’il sache où j’étais la nuit précédente ?

« J’étais dans un bar. Ou p’tet deux. Ou trois. Peu importe. »

Parce que le fil de la soirée, je l’avais moi-même perdu. Passé un certain temps, il ne me restait plus que des flashs incertains, et du peu dont je me souvenais, je n’avais pas la sensation qu’il s’agissait du bar où j’avais démarré la soirée.

Il était aisé de constater, même sans être un fin limier comme je l'étais, que mon neveu était en proie aux affres les plus traîtresses. Son regard ne parvenait pas à se stabiliser sur un endroit de mon bureau, et au vu de ses quelques convulsions, la nausée était à la lisière de ses lèvres. Qu'avait-il pu bien faire ? Où avait-il été la nuit précédant son arrivée dans mon bureau ? J'avais fait une promesse à sa sœur et je comptais l'honorer mais mon neveu ne m'octroyait que peu de temps de repos pour y prétendre. Gwynn, bien que je l'aimais comme un fils, pouvait se montrer discourtois et en constante rébellion. Même si je la comprenais sans nul souci, j'étais responsable de cet adolescent.

Qui, du haut de ses presque dix-sept années en ce monde, me faisait vivre un véritable Enfer. Ou du moins, me le faisait côtoyer de très près. Cependant, je l'appréciais pour cette débrouillardise et sa propension manifeste à ne pas succomber à l'envie d'honorer mon pauvre tapis, de son dîner de la veille. Ou plutôt de la quantité d'alcools singuliers, qu'il avait dû ingurgiter. Il me rendra chèvre ou précipitera ma chute. À son humble choix, tout à son corps défendant.

- Devrais-je te remercier cher neveu ? D'épargner mon humble tapis ? J'eus un semblant d'hilarité, que je camouflais prestement à travers un regard olive, destiné à fixer le Serpentard sans nullement sourciller. Car, il était bel et bien un membre de cette société sorcière que je me plaisais à défendre, et il ne ferait pas exception quant à mon envie de lui octroyer un interrogatoire.

Attendant néanmoins qu'il ait bu la fiole que je lui avais tendu, -je n'étais point encore un opiniâtre personnage ; bien que cela ne devrait point trop tarder-, il me plaisait de voir que mon interlocuteur ne se délectait aucunement du contenu. Cela aurait été bien trop douceureux. Au moins, il pouvait remercier cette décoction efficace qui effaçait les maux irraisonnés de l'éthanol en un claquement de doigts.

- Il se pourrait bien que cela soit ton interrogatoire Gwynn Ogden. Et, ne fais point le fanfaron avec moi, je te prie. Si Lavernia avait été présente et bien vivante, comment aurait-elle géré ce petit avorton, bien trop ingérable, justement ?
- Sois au moins reconnaissant à l'Univers qu'il en vienne à t'écouter mon Tiberius.

Hum. Au moins cela.

- Peu importe ? Je ne crois point que cela était une réponse désinvolte à m'apporter ... Gwynn. Je demeure ton tuteur, et même si tu ne me penses point inquiet de ton sort, je le suis. Réellement. Un silence, alors que j'en venais à me frotter vigoureusement l'arête du nez. Il ne t'est rien arrivé ? Parce qu'en plus de l'alcool ingéré en grandes quantités, il y a bien autre chose. N'est-ce pas ? Et, il serait de bon ton, de ne pas me mentir. Un autre silence. Je n'ai point encore déjeuné, et il serait judicieux que tu m'accompagnes pour cela. En d'autres termes, tu n'as point vraiment le choix, très cher neveu. Je lui souriais néanmoins tendrement, histoire que dans son organisme, il y ait autre chose que de l'alcool et de la mandragore en excès.

Tout comme il n'était point encore certain de tenir sur ses deux jambes, je pressentais que mon cher et tendre neveu préférait une retraite dans une couche plutôt que d'avoir à subir l'un de mes pugnaces interrogatoires. Car, malheureusement -ou heureusement selon le point de vue du Ministère de la Magie-, je n'étais point connu pour mettre de côté une piste alléchante quand j'en voyais une. On me savait alors mordant et tenace, même si je n'étais point Auror. Ma catégorie était somme toute la meilleure, bien que je m'entendisse parfaitement avec Greene, -qui était mon meilleur ami, certes-, j'étais fidèle en mes convictions en ce qui concernait mon labeur.
Et aujourd'hui, cela ne ferait aucunement exception.

Alors que je voyais les lèvres fermées de mon interlocuteur, je pouvais percevoir toutefois que ses iris eux, n'avaient point perdu de leur malice. Qu'avait-il donc en tête pour me faire encore plus devenir chèvre à son contact ? Mon neveu avait ce quelque chose de vil diablotin qui lui collait un peu trop au teint en cet instant. Même si, pour la couleur de ce dernier, elle n'était pas vraiment glorieuse. Néanmoins, il avait épargné mon mobilier qui lui, n'avait initialement rien demandé.

- Je m'en fais. Espèce de petit avorton. J'aurais pu très bien rouler les r et le réprimander dans notre langue commune que nous partagions, mais force était de constater, qu'il n'en aurait peut-être pas saisi le concept. Je préférais de ce fait, continuer sur mon idée première. Aller au bout de ma pensée directrice même si, en face de me personne, le fils de ma sœur n'était pas décidément très coopératif dans l'exercice.

Après tout, qui le serait ? Probablement personne.
Et, il ne se souvenait pas vraiment de son excursion catastrophique comme il venait de me l'annoncer ? Oooooh, mon petit père ... tu ne vas point t'en tirer comme cela. Sache-le.
Faisant mine de l'écouter, -tout de même ; je n'étais pas un rustre-, j’omettais sciemment de rebondir sur sa volonté inébranlable de retourner se réfugier entre des draps pour le moins moelleux. La conclusion, serait trop belle.

- Je ne crois point que tu sois en position de me refuser quelque chose, très cher neveu. Je m'afficherais avec plaisir avec mon morveux de neveu, à la cafétéria. Un sourire en coin, alors que je me redressais pour venir placer une main sur son épaule. Allez. En route, très mauvaise troupe.

Parce que je ne souhaitais tout de même pas être un tuteur si horrible, en fin de compte :

- Si tu te comportes convenablement, il se pourrait même que je t'autorise à aller faire ... une sieste pour le moins réparatrice. Si et seulement si, bien évidemment. Il y avait un terme de ce contrat intangible et quelque peu tacite, qu'il se devait de respecter. Cela était ainsi et nullement autrement, de toute manière.