S'il vous plait, dessine moi un mouton [Juliet/Camille]

Les veilles de Noël, c’était toujours la folie au magasin. Tout le monde venait chercher les cadeaux de dernières minutes, ça hurlait, ça se bousculait parce qu’il n’y avait plus qu’un seul exemplaire de ce modèle… et j’en passe. Cela me donnait mal à la tête. Et heureusement que Charlotte, elle était là, avec son calme olympien et sa joie de vivre. Elle réussissait à contenter tous ceux qui entraient dans la boutiques, mêmes les plus agressifs. Moi, je la laissais faire. Souvent. Sauf aujourd’hui, où je m’étais retrouvé avec cette grande blonde à qui j’expliquais en long en large et en travers que non, je ne possédais pas le dernier parfum de luxe de Mr Yves Saint-Laurent. Déjà, parce que j’étais pas une boutique de parfum, mais une boutique pour enfants, et de deux parce que les cosmétiques moldus ne se vendaient que chez les moldus. Cela dit, je trouvais qu’elle avait bon gout. J’aimais beaucoup la fragrance des parfums Saint-Laurent. Il m’a fallu du calme, une envie contrôlée de lui bouffer la carotide et une bonne demi-heure pour la faire admettre que le seul parfum que je vendais, c’était l’eau de parfum, saveur bombabouse. Je suis une boutique de Farces et Attrapes, moi, madame.

Je l’avais bien remarqué la gamine qui attendait dans l’allée, avec son paternel. J’avais surtout reconnu le paternel. Parce que sa tête était relativement connue, même si depuis qu’il avait pris sa retraite on ne voyait plus trop sa tête dans les journaux. Cela devait lui faire du bien, d’ailleurs de ne plus être dans toutes les chaumières à la page des faits divers. Et puis, au fond de moi, je savais que je le connais d’ailleurs mais je n’arrivais simplement pas à remettre le lieu. J’ai fini par prendre congé de la cliente, pour accueillir la gamine avec un grand sourire. Le prénom il m’a tilté tout de suite. Elle n’aurait même pas eu besoin de finir se phrase que je savais qui elle était. En plus d’être la fille de l’ancien Chef des Aurors, Dimitri Potter, Juliet était la filleule qui avait reçu mon cher manuscrit. Le Petit Prince me manquait mais en voyant la gamine, je savais que j’avais fait le bon choix que de le léguer à ce parrain un peu perdu. « Je suis si content de te rencontrer, Juliet » lui ai-je répondu, sans cesser de sourire.

« Venez, on va dans l’arrière-boutique » Ici, ça couinait de trop. L’ouie d’un vampire était dix fois plus développée que celle d’un humain normal. Cela m’arrivait même parfois de mettre des bouchons d’oreille pour apaiser un peu le brouhaha que j’entendais continuellement. « Cela faisait longtemps que je n’étais pas venu ici » lança le père de famille. C’est là où j’ai compris où je l’avais déjà vu… en compagnie de sa progéniture, quand celui-ci venait, gamin, renflouer ses valises de farces en tout genre. Le gamin, à la fin, il venait tout seul sans son père, mais la première fois qu’il avait poussé la porte du magasin, il avait à peine dix ans. « Ça n’a pas changé… ». Etrangement, je savais qu’il parlait de moi. Il savait ce que j’étais. Certes, ce n’était pas un secret, j’étais enregistré au ministère de la magie depuis très longtemps, mais je ne le criais pas sur tous les toits non plus. « Seule la clientèle change… j’peux vous proposer du thé ? » ai-je demandé, en les faisant entrer dans l’arrière-boutique. On y serait bien plus au calme. « Dis-moi Juliet, tu l’as aimé le livre ? » J’espérais que oui, même si étrangement je n’avais aucun doute là-dessus. « Je le redis, mais je suis vraiment très heureux que tu sois venue me voir… tu me fais un beau cadeau de Noël » J’avoue, j’étais hyper ému qu’elle soit là. J’ai servi les trois tasses de thé, en les invitant à s’asseoir sur les tabourets présents autour de la table haute.  

Je ne pensais pas qu’elle viendrait, la gamine. Mais cela me faisait réellement plaisir. Mon manuscrit, il avait besoin de vivre, passer de mains en mains, et pas que des miennes. Je le connaissais par cœur, et je n’avais qu’à fermer les yeux pour m’en rappeler, mais connaitre la personne qui avait eu la joie de le récupérer, oui, cela me faisait du bien. Parce que rien qu’en voyant la gamine, des étoiles dans les yeux, bah je savais que j’avais fait le bon choix que de lui transmettre. Laissant la boutique aux mains de Charlotte, pour les conduire tous les deux dans l’arrière-boutique. J’voulais plus de calme pour discuter avec la petite. Le brouhaha me faisait mal aux oreilles, même lorsque je mettais des bouchons d’oreilles. Cela me fatiguait, et puis, ils méritaient mieux qu’une conversation sur un comptoir.

La remarque de la gamine me fit sourire. Effectivement, au-delà de le connaitre dans les journaux pour son poste au ministère, le paternel, je l’avais vu, être trainé – c’était le mot – par son fils ainé. Fils ainé qui avait fini par revenir tout seul, ou en compagnie de son meilleur ami. Et ils n’arpentaient qu’un seul rayon, celui des farces et attrapes. Et pour tout dire, j’avais plutôt intérêt à ne jamais en manquer, et à me renouveler. C’est qu’ils étaient exigeants. « Si on te le demande, tu répondras que tu n’en sais rien » a répondu le père à sa fille, sur un ton un peu rieur. J’crois que ça devait le changer de venir ici, pour autre chose qu’acheter des farces pour les camarades de classe de son fils. Mais au fils des années la clientèle changeait, cela me plaisait de rencontrer d’autres personnes. C’était toujours un peu grisant de voir que même avec le temps la boutique attirait toujours du monde. Les différentes générations s’y retrouvaient, et trouvaient de tout – je m’étais quand même bien diversifier pour plaire au plus grand nombre, mais le maitre mot restait quand même farces & attrapes, parce que les enfants, c’étaient les Rois ici. Et que tout leur était permis.

Le thé servit, j’ai pas pu m’empêcher de lui poser la question. J’voulais savoir. J’en serais triste s’il ne lui avait pas plu, même si je ne lui en tiendrais pas rigueur, tout le monde pouvait ne pas l’aimer. Mais j’ai accueilli ses paroles avec un large sourire, sincère, dévoilant mes canines un peu trop longues, les yeux pétillants, et un peu ému. « Tu n’imagines pas à quel point cela me fait plaisir d’entendre cela ». Moi, il m’avait tellement aidé que je lui vouais une admiration sans faille. Le dernier souvenir qu’il me restait de mon meilleur ami, ça m’affectait énormément de savoir qu’il plaisait autant à quelqu’un d’autre. « Il faut dire que c’est un magnifique livre » a lancé Dimitri Potter. « Je l’ai lu quand il est sorti » a-t-il repris, comme pour justifier ses dires. J’admets que cela me surpris qu’un sorcier au sang-pur puisse avoir un livre d’un écrivain moldu et français dans sa bibliothèque mais je trouvais ça vraiment génial. « Antoine, au début, ne voulait pas le faire paraitre… il le trouvait trop… enfantin, et trop absurde ». Il aurait eu tellement tort de ne pas l’éditer. « Il a eu raison de ne pas s’écouter, alors ».

J’ai souri à ses mots. Oui, elle parlait beaucoup mais était-ce un défaut. Ma fille aussi, pouvait débiter cent paroles à la seconde. Elle s’était un peu calmée depuis qu’elle avait grandi mais petite, c’était un moulin à paroles, et elle ne s’arrêtait que lorsqu’elle dormait. Elle était un peu fatigante, quand j’y repense. « Non, il ne m’a rien dit de tel… il m’a juste dit que tu aimais énormément lire, et qu’il voulait un cadeau dont tu te souviennes… je crois qu’il a tapé juste », lui ai-je répondu en lui faisant un clin d’œil. J’ai pris une gorgée de thé, avant de sourire, cherchant la meilleure réponse. Pour des sorciers de sang-purs, il était vrai que l’avion n’était carrément pas le moyen de transport le plus courant. Il faut dire que le transplanage effaçait tout le reste. Je l’avais pris souvent l’avion, j’avais même volé dans le coucou d’Antoine à nos heures perdues, mais le transplanage restait mon moyen de transport préféré.

Je me suis tourné vers son père brièvement, avant de reporter mon attention sur Juliet. « Mais ton père n’a pas pu t’expliquer ? » « Elle ne me l’a pas demandé » a-t-il répondu. S’il avait lu le livre, j’étais sûr qu’il savait ce que c’était un avion. « Mais vous savez, cela fait longtemps que mes enfants, ils ne boivent plus mes paroles, elle ne m’aurait pas cru si je lui avais dit ce que c’était » reprit-il, avec un sourire un peu moqueur. Sourire entendu avec lui. J’crois qu’on allait bien s’entendre lui et moi.  « Un avion… c’est un moyen de transport moldu… ça fonctionne un peu comme les balais volants, mais si nos balais fonctionnent avec la magie, les avions, eux besoin de technologie moldu pour y arriver… » ai-je lancé. J’ai pris une nouvelle gorgée de thé – il n’avait pas beaucoup de saveur, comme tous les aliments humains que j’ingurgitais. J’ai fait venir à moi un morceau de parchemin et un crayon, pour lui dessiner un avion. « Ça c’est un avion. Et c’est grâce à ses ailes qu’il est capable de voler… mais c’est de la physique moldue, je suis pas sûr que cela t’intéresse. »