A hauteur d'hommes - Nicholas Moore

Finalement, l'été s'en était allé. Chassé par l'automne, avec son chaos de feuilles mortes ballottées par le vent. et Ophelia Moore s'était sentie semblable à une de ces pauvresses, emportées par le Destin, incapable de maîtriser sa trajectoire.

Elle n'avait pas envoyé de dossier de candidature universitaire. Chacune de ses pensées avait été tournée vers son jumeau. Chaque instant angoissé, chaque geste pour tenter de le sortir du marasme, pour repousser les Ténèbres qui dévoraient son cœur. Elle s'était senti si impuissante ! Comme une bête qui se noie.

Elle avait crié, silencieusement, symboliquement, et Parrain, mais aussi Fillan, avaient répondu à son appel. Comme pour réaffirmer qu’il y avait dans ce monde des hasards doux, et non de simples errances cruelles.

Elle n'y avait pas cru. d'abord, que leur aide finirait par aider. Oh, elle avait prié et espèré avec désespoir, bien sûr ! Mais comme ses tendresses n'étaient pas parvenues à ramener son frère, une part d'elle-même sanglotait chaque soir, sans un bruit, offrant ses larmes à Séléné, pensant que tout était perdu.

Et puis... un jour d' automne, Nicholas avait quitté sa chambre. Il avait assuré que les Ténèbres étaient parties, et qu'il se sentait prêt à intégrer l'université.

Ophelia avait ressenti une émotion complexe.qu'elle aurait peiné à décrire. Une forme de doute auquel le soulagement ne voulait laisser place, peut-être. Elle n'eut, de toute façon, pas loisir de s'interroger réellement.

Dans un mouvement d'équilibrage de l'univers, le monde ait soudain réalisé que la jeune Ophelia n'avait émis aucun souhait universitaire, n'avait déposé aucune demande d'apprentissage, et était, de fait, une feuille morte, échouée au sol.

Tandis que le vent soufflait, sauvage et rude, elle avait passé de nombreuses heures, regard baissé, secouant sa chevelure blonde lorsqu'on l'interrogeait, incapable de produire un seul mot exprimant un quelconque désir d'avenir. Après quelques remarques plus douloureuses, venant de leurs parents, elle avait versé quelques rares larmes, mais moins que cet été, et qui étaient passées aisément, car les motifs derrière cette tristesse étaient bien moins importants.

Comme par le passé, le salut était venu de Parrain.

Parrain, qui se lasserait un jour de cette inutile colombe, mais qui, une fois encore, avait tendu une main bienveillante à la jeune fille.

A présent que les arbres tendaient vers le ciel leurs branches décharnées, comme de longs doigts sombres, Ophelia Moore avait bénéficié d'un stage à titre très exceptionnel. D'observation. Du moins en théorie.

Elle avait une carte, sur laquelle avait été tracé son nom, ainsi que les mots "Préparatrice stagiaire". On lui avait remis un uniforme , et chaque matin,elle se présentait au bureau de son Parrain, pour suivre ses indications concernant la journée à venir. Elle s’acquittait de ses missions avec discrétion, en essayant autant que possible de ne pas commettre trop d’erreurs, de ne pas prendre de place.

Elle mangeait dans une petite pièce qui servait de salle de repos, et que tous semblaient avoir oublié, peut-être de par sa localisation éloignée, au fond d’un couloir excentré. Elle appréciait ce petit refuge silencieux, dont l’unique fenêtre donnait sur une cour intérieure où avait été planté un cyprès. Dans un meuble poussiéreux, s’étaient échoués quelques livres, qu’elle consultait parfois, en mangeant, à petites becquées, des sandwichs au pain de mie et à l’oeuf.

C’est dans cette petite pièce qu’elle se trouvait, lorsque vint jouer, à la lisière de sa conscience, une présence aimée et familière, et pourtant étrangement différente.

« ...Nicholas… ? Tu es là… ? »

Elle projeta, dans leur Lien, l’image de la petite pièce, du couloir qui y menait, du chemin pour la rejoindre, parce qu’ils étaient un Tout, deux moitiés qui appartenaient l’une à l’autre, et dont il était absolument contre-nature qu’elles soient séparées.

Un long soupir las, témoignage d'une fatigue accumulée durant tant de mois, pour celui qui portait dès à présent la charge de la descendance Moore. L'ancien Serpentard, après une période d'affliction, était semble-t-il, revenu à la surface. Afin de reprendre de l'oxygène et de revenir au réel. Même si, au fond de lui-même, se terrait une peur bien réelle. Et si ... tout cela n'était point terminé ? Et si, les Ombres étaient à même de revenir lui grignoter l'âme et lui pourrir le cœur ? Comme lorsque sa petite amie avait été enlevée et qu'il n'en dormait plus la nuit. Imaginant le pire. Craignant, l'annonce. Guettant avec une profonde anxiété les nouveaux titres de la Gazette du Sorcier.

Or, tout ceci n'avait été que des jérémiades éphémères, parce qu'il avait été temps pour lui d'opter pour un avenir qui le conforterait dans son choix de carrière. Les lamentations avaient été effacées, au profit d'un futur qu'il devrait se créer. Et, sa copie conforme ? Où en était-elle ? Qu'avait-elle choisi ? Quelles études avaient dès lors eu raison de son appréciation ? Nicholas Moore, n'en savait rien. Car, bien trop enfermé dans ses propres ténèbres, pour s'être préoccupé de sa jumelle. En cela, il s'en voulait. Ardemment. Comment avait-il pu agir ainsi ? Sans se soucier de cet être qui était son monde ?

Sa Marraine, l'aurait traité d'idiot et il ne l'aurait pas reprise.
Ou, Monsieur Zeitmann l'aurait qualifié d'enfant gâté et stupide, et là encore, il n'aurait point modifié ses palabres. Parce que la vérité était là. Elle était cruelle. Ignoble à avaler. Laissant à l'ancien Serpent, un goût de fiel dans la bouche et dans le cœur.

Cependant, il y avait là, la possibilité de faire amende honorable. Car, le Directeur de Sainte-Mangouste et Parrain de son Ophelia, avait obtenu pour elle, un stage. Une forme d'envol qu'avaient prôné les parents des jumeaux Moore. Même si l'ancienne Poufsouffle, n'était qu'un timoré souffle dans toute leur vie. Mais, pour celui qui était l'Héritier, cela lui était plaisant de la savoir entourée. Laszlo Zeitmann serait à la fois sévère mais juste. Et, ferait en sorte d'octroyer à la jeune femme, des clés pour que celle-ci puisse s'élever. Avec un sourire, le brun terminait de se vêtir. Conscient qu'il allait rendre visite à sa jumelle. Malgré les céphalées, qui survenaient parfois. Et cette sensation diffuse que ses émotions fluctuaient.

Peut-être que cela n'était qu'une vague impression ? Qu'il s'inventait des histoires, pour lesquelles, il était devenu un peu trop adulte pour les croire ? Ou bien ... était-ce réel ? La manière, dont les Médicomages et les Infirmières de Sainte-Mangouste l'observaient, alors qu'il leur passait devant, son regard couleur d'obsidienne, déterminé au possible. À la trouver, elle. Et, au moment d'y penser ... une idée fugace. Une image plutôt. Qui s'insère dans son esprit et dont il sait pertinemment la provenance.

Une grimace.
Car, jamais le Lien n'a été aussi douloureux qu'en cet instant.
Jamais.

- ... Ophelia ?

À cet endroit. Deux sentiments. Deux sensations. Était-il encore légitime d'aller la voir, dans cette pièce exiguë ? Lui, qui avait failli sur tous les plans. Un frère minable. Un jumeau absent. Mais, cela serait encore bien pire, s'il n'y allait pas, n'est-ce pas ? Alors, ses jambes l'y conduisirent à cette pièce. Alors que son esprit, lui, vagabondait étrangement. Ne sachant aucunement si Tout était Un. Ou Un était Tout.

- Salut. Tu vas bien ? Et de pénétrer dans la dite pièce, avec une ombre de sourire sur le visage, comme dans le cœur.

Il répondit à son appel mental, à travers leur lien, à travers cette fusion immuable des âmes qui prouvait à chaque pensée qu'ils étaient un tout. Depuis son refuge secret, elle eut un sourire, un soulagement net, et commença dès lors à préparer la pièce pour l'accueillir.

Chasser la poussière de la chaise restante, tenter d'user d'un sortilège pour la remettre de guingois. Diviser son déjeuner pour lui en offrir la moitié, et, à pas discrets, quitter la petite pièce pour aller lui chercher une tasse ainsi que de l'eau chaude. Au passage, le cœur battant, elle subtilisa une couverture abandonnée sur un chariot, trouvant dans la perspective de l'arrivée de son frère la capacité à être soudain audacieuse, voire à s'affranchir de quelques règles.

Venait-il la voir ? Lui rendre visite pour s'assurer qu'elle aille bien ? Leur lien ne le lui permettait pas de le savoir : quand bien même elle l'aurait espéré, les mois qui avaient passé lui avaient montré qu'une part de Nicholas pouvait demeurer insaisissable, s'il était la proie des ombres.

Qu'importait, au fond ? Il était là, il était une présence familière dans cet univers qui restait encore étranger. Elle se réjouissait de le savoir tout proche, anticipait avec bonheur la perspective de le voir, de passer avec lui une heure, de tromper agréablement l'habituelle solitude.

Quand il parut, elle eut un sourire, et ses yeux s'éclairèrent comme ils ne s'éclairaient jamais d'ordinaire. Sur le pas de la porte de son refuge, elle l'attendait le cœur battant, attendant de pouvoir un instant se réfugier dans ses bras, retrouver la proximité des origines, celle qui était la plus naturelle.

« Mieux. Bien mieux. »

A présent que tu es là, voilà ce qu’elle n’eut pas besoin d’énoncer, qui était contenu dans tout son être, alors qu’elle le guidait jusqu'à la chaise disposée en face de la sienne. Dans leur lien, un bonheur, pulsant vague après vague.

« Veux-tu déjeuner avec moi ? Je n'ai pas fini... »
"Partageons ?"

Elle avait deux sandwichs de pain blanc, qu’elle lui offrirait tous les deux si sa faim était grande. Pour accompagner cela, quelques biscuits aux pépites de chocolat, qui seraient parfaits à présent qu’elle avait trouvé des boissons chaudes. Mille petites attentions pour lui témoigner, encore, à quel point elle était heureuse de le retrouver, sans l'avoir attendu. Et malgré l'étrange tension qui semblait l'habiter, qu'elle remarquait soudain, et qui tout à coup l'inquiétait.

«  ... Nicholas... ? »

Le regard clair venait de se troubler, alors qu’elle le regardait, préoccupée. Se faisait-elle des idées ? Ou avait-elle raison de frissonner et de redouter d’autres ombres, qui lui voleraient encore une part de ce qu’était son frère, son autre moitié d’âme, son reflet ?

«  ... te portes-tu bien? venais-tu me voir... ? »

Qui était la personne la mieux placée pour comprendre Nicholas Moore, que sa jumelle Ophelia Moore, elle-même ? Parce qu'ils partageaient ce quelque chose qui transcendait le Tout. Qui faisait en sorte qu'ils pouvaient s'affranchir de barrières tangibles pour se comprendre. Parce que leur Lien, témoignait de tout cela. De cette propension à se connaître sans se parler. À pouvoir saisir les désirs de l'Autre, sans que celui-ci ne les énonce distinctement. C'était cela qui importait et c'était alors cela qui était le bien le plus précieux.

Mais ... ce bien, n'avait-il point été putréfié par les Ombres, elles-mêmes ? N'avait-il point été sujet à une détérioration que l'Héritier Moore n'était pas en mesure d'arrêter ? Ou, peut-être, ne le souhaitait-il pas en fin de compte ? Car, cela était peut-être bien plus aisé pour se punir, finalement ? Parce que sa copie conforme devait tellement être triste, de se sentir inconsidérée comme elle l'a été par le grand brun. Alors que ce n'était pas voulu et que ce n'était aucunement souhaitable. L'ancienne Poufsouffle, était une partie de son Cœur, voire son Cœur lui-même. Et ... comment vivre sans ?!

L'ancienne Jaune et Noire était de ce fait, bien plus heureuse depuis qu'il avait fait son apparition, dans ses quartiers. Dans cette pièce secrète, où elle l'avait fait mander, grâce à leur Lien. Or, depuis qu'il avait été avalé par les Ténèbres et que ces dernières se refusaient à recracher l'ancien Serpentard, ce dernier avait l'impression d'être une marionnette. Le jouet, d'un machiavélique et sadique personnage, qui s'amusait de cette peine dont il ne parvenait pas à se soustraire.

- Entendu. Un seul mot, qui faisait montre de cet intérêt aussitôt dévoré par la culpabilité. Je veux bien déjeuner avec toi. Et tant mieux, si tu n'as pas fini. Partageons. Après tout, comment lui refuser à elle ? Cela lui était quasiment impossible et, malgré toute cette noirceur dont il pouvait faire preuve, il ne le souhaitait pas.

Assis sur la chaise, dont son acolyte de toujours et son âme plus que jumelle en avait débarassé l'assise, le jeune homme brun eut un léger sourire à l'évocation de son prénom sublimé par une interrogation. Elle savait. Il était sûr, qu'elle savait. Comment pouvait-il en être autrement, après tout ? Ils étaient liés. Et, même si d'ordinaire, il adorait cet état de fait ... ici ... il le haïssait.

- Je ... Une inspiration vive, alors qu'il se penchait en avant pour venir prendre doucement les mains de son interlocutrice dans les siennes, les caressant du bout de ses pouces. Je suis désolé Ophelia. Désolé, de t'avoir fait souffrir avec mon absence alors que je sais, que tu m'aimes. Plus que tout. Je me sens coupable et j'avais peur. Peur de venir te voir ... Une toux soudaine. Parce que non, il ne se sentait pas bien.

Mais son sentiment diffus et silencieux lui, ne se modifierait jamais : jamais, il ne voudrait être ailleurs que sans sa jumelle. Ça, c'était certain. Vraiment.

Ce déjeuner simple, elle eut voulu qu’il soit un festin ; parce que son jumeau méritait bien cela, lui qui venait ainsi la retrouver, égayer ses heures de labeur, comme aucune personne sur terre ne serait capable de le faire. Le visage pâle et délicat de la jeune femme s’était éclairé dès qu’il avait paru sur le seuil de la pièce. Le réalisait-il ? L’effet qu’il avait sur elle, le bonheur qu’il générait au plus profond de l’âme de sa sœur ? Comme si, par sa simple présence, elle était enfin libre d’être parfaitement complète, et non un éclat de faïence ébréché ?

Lui(même avait eu un sourire, en s’installant face à elle. Il lui avait offert sa tendresse de frère, la douceur de ses caresses, et la lumière ne brillait que plus fort. La lumière, et la compassion, alors qu’il présentait des excuses qui n’étaient pas nécessaires, sans prononcer un mot mais de la plus intime et privilégiée des façons, d’une manière qui ne leur appartenait qu’à eux : à travers leur lien de Dictamens.

Elle secoua la tête avec empressement, cherchant son regard, de ses yeux clairs :

"Tu es là, c’est tout ce qui compte. Et je suis là. Tu n’es coupable de rien, il n’y a rien à pardonner, je t’assure- Je t’aime. Tu es toujours à ta place- avec moi-"

Qu'il ait eu peur de venir la voir relevait de la folie, car même dans leurs heures les plus sombres, elle n'avait ressenti que de l'inquiétude et de la tristesse, aucun ressentiment. Et comme était grande sa joie, à présent qu'il la rejoignait, à présent qu'il transformait cette petite pièce oubliée en un nouveau royaume !
...La joie fut brisée par la toux qui secoua son jumeau. La douleur et le malaise affluèrent à travers leur lien. Elle se figea, un pressentiment affreux l'envahissant.

"Nicholas ?"

Les mains frêles échappèrent aux siennes, pour venir se poser avec délicatesse sur son front, tandis que son coeur battait la chamade.

"...tu es glacé, Nicholas- Depuis quand ?"

Plus aucun mot ne fut prononcé. On n'entendait plus dans la pièce que la respiration inquiète, reflet de son mauvais pressentiment. Elle palpait son visage en vain, cherchait les symptômes, tentant de se rappeler les gestes des infirmières qu'elle observait, les questions des médicomages. Une inspiration soudaine la frappa : ses compétences étaient insuffisantes. Elle n'était qu'une stagiaire, une usurpatrice qui n’avait nullement mérité sa place.

"Parrain. Nous devons aller chercher Parrain-"

Un frisson glacial parcourait le dos d'Ophelia. Ce n’était pas une simple toux, une simple chute de température, voici ce que lui disait leur Lien. Sa main tremblante se crispa sur le front de Nicholas. Cherchant à se redresse, elle fit montre de trop de brusquerie, renversant sa chaise, sans même y prêter attention. Les ombres revenaient pour son frère, était-ce que cela qu’il s’agissait ? Jalouses de ce moment de lumière ? Le regard de la jeune femme se fixa sur la porte. Il fallait trouver de l'aide, vite. La peur serrait sa poitrine comme un étau, et ses jambes flageolantes refusaient de la porter.

Même si les Ombres, aussi tenaces soient-elles, dévoraient l'esprit de l'héritier Moore, celui-ci éprouvait alors une certaine Liesse, en retrouvant sa sœur. Sa jumelle. Sa moitié. Celle, qui parvenait à le comprendre comme personne, en ce monde. Après tout, n'étaient-ils pas une même âme issue d'un même corps ? Ne partageaient-ils point cette nature intrinsèque qui faisaient d'eux, ce qu'ils pouvaient être ? Parce que Nicholas Moore, saurait toujours où Ophelia Moore se trouvait. C'était inhérent à ce Lien qui les unissait. Comme le fait pur et simple de prétendre connaître l'humeur de l'Autre, si jamais ce dernier en venait à souffrir.

Et, qu'advenait-il du grand brun, qui lui, était soumis aux affres les plus impures ? Aux afflictions les plus certaines ? Mais néanmoins plus qu'intangibles ? Car, ces Ténèbres, elles ne se voyaient aucunement. Elles se 'vivaient'. Étouffant même, celui qui s'y trouvait être confronté. Or, il était strictement hors de question que l'ancien Serpentard en vienne à inquiéter sa copie conforme, même si son intuition venait de lui souffler qu'il était déjà trop tard. Bien trop tard.

- Je t'aime. Comment pouvait-il seulement en être autrement, après tout ? Malgré la peur et l'incertitude. Et, ce Mal qui n'avait de cesse de grandir et de se propager. Emplissant paradoxalement l'ancien Vert et Argent, d'un vide abyssal qu'il lui était peu aisé de combler.

Le regard noir, quant à lui, était las. Et, ne respirait aucunement la joie ou le bonheur. Juste une intense Mélancolie, dont il ne savait aucunement la provenance même si là encore, une petite voix insidieuse lui murmurait, qu'il le savait pertinemment. Et, qu'il aurait bien tord d'être aveugle à ce point.
Mais ... comment rassurer cette âme jumelle qui à elle seule, hurlait à la détresse ? Souhaitait qu'on la rassure ... alors que le jeune homme brun ne parvenait pas à le faire sur lui-même. Mais Ophelia, elle lui était plus qu'importante. Alors, il devait minimiser ce qui le consumait. Lui assurer, que tout allait bien dans le meilleur des mondes. Et que rien ne pouvait atteindre celui qui était destiné à perpétuer le nom des Moore, dans un futur prochain.

- Je vais bien. Ce n'est que passager. Mais la toux elle, attestait du contraire. J'ai dû me refroidir, cela passera. J'ai une santé de fer. Lui-même n'avait plus vraiment l'air de croire à son propre mensonge. Inutile d'aller chercher Parrain, je t'assure. Tant que ... Le Lien eut l'air de se rompre, comme une corde qui se serait trop distendue, des heures durant. Incapable de converser par ce biais, ce qui eut pour effet d'effrayer plus que de raison le jumeau Moore, qui paniqué, n'arrivait plus à parler comme il se devait. Comment était-ce seulement possible ? Pourquoi eux ? Pourquoi maintenant ?

Ophelia aurait souhaité ne ressentir qu'un flot de soulagement, pouvoir s'accrocher aux paroles de son frère, se nourrir de son amour pour trouver courage et apaisement. Mais son inquiétude persistait, redoublant à chaque nouvelle quinte de toux qui le secouait, et son cœur battait la chamade comme un oiseau en cage.

Nicholas était pâle et sombre, luttant pour garder le contrôle, menant un combat intérieur pour répondre avec assurance. Rien n'était vrai dans ces affirmations confiantes, chaque mot n'était qu'une prière espérant se concrétiser, comme si en s’incarnant, les mots avaient pouvoir de guérison, à la manière d’un sort de soin. Les mains tremblantes d'Ophelia caressèrent le beau visage fatigué de son frère, cherchant le moindre signe qui lui permettrait de comprendre ce qui se produisait, tandis que l'affolement la submergeait. Elle connaissait Nicholas, son esprit et son amour. Mais cette fois, une ombre planait sur ses yeux, une ombre qui grandissait, envahissait tout son être, menaçait de s'extraire de lui, d'envahir tout, tout ce qu'ils avaient, tout ce qu'ils partageaient, tout-

Un cri jaillit de sa gorge, un cri de douleur, d'incompréhension, de terreur.

Le Lien s'était brisé.

Le monde s'effondra, ne laissant place qu'à un vide abyssal, un silence glacial et oppressant.

C’était comme si tout s’était arrêté. Les sons, le temps, leur synchronicité.

« Non ! Non, non- Nicholas ! »

Jamais elle n'élevait la voix. Cette fois, seulement cette fois, sa voix s'éleva forte de panique et de peine, tandis que ses grands yeux bleus s'écarquillaient. Des larmes claires perlèrent au bord de ses yeux, menaçant de couler sur ses joues pâles. A présent, c’était elle, qui formait des prières, qui continuait d’essayer de lui parler silencieusement, tout en sentant confusément que ses messages se perdaient dans un abysse infini.

Nicholas était là, il était encore là, elle pouvait le toucher, ses yeux le percevaient, et pourtant il lui semblait qu’on le lui avait arraché. Comme s’il n’était plus qu’une image, un portrait. Sous ses doigts, il était glacé. Comme rongé déjà par l'ombre. Jamais elle n'aurait imaginé perdre en un instant son frère, son jumeau, son autre moitié. Jamais elle n'avait compris à quel point cela serait douloureux et terrifiant.

Dans les Ténèbres les plus violentes, on trouve, paraît-il, un apaisement. Le renoncement, la paix qui vient avec l'acceptation. Ou la force de se relever, de se lancer vers la lumière.

D'une façon qu'elle n'aurait jamais anticipée, au milieu de la panique, elle se découvrit une force nouvelle. Une flamme d'espoir s'alluma dans ses yeux, alimentée par l'amour inconditionnel. Que lui avait affirmé Meredith Hawthorne, tant de mois plus tôt ?

Il lui fallait lutter, pour protéger celui qui importait. Celui qui importait réellement. Elle avait besoin de lui, comme de son coeur.

Le souffle tremblant, elle usa de toutes ses maigres forces pour l'aider à se tenir sur ses jambes. Les larmes faisaient luire ses joues, mais elle tituba, avec lui, jusqu'au couloir. Elle qui pouvait à peine, dans son état, rester debout, trouvait là, une force supplémentaire. Elle qui avait perdu le Lien qui la reliait au monde gardait, dans ce contact physique précieux, la dernière chose qui la liait à sa moitié d'âme.

Elle luttait contre le Destin.

Ils devaient atteindre le bureau de Parrain. Ou… ou n'importe quel Médicomage confirmé. Ils le devaient, et parce qu'ils le devaient, elle soutenait Nicholas, entre deux sanglots, poussait des portes, et tentait d'appeler à l'aide, d'une voix étranglée.