The sound of silence | Zachariah

Assis sur un banc de pierre sculptée, la notion du temps m’avait filé entre les doigts alors que mes iris se laissaient aller à la contemplation des ossements, brunis par le temps, d’un colosse d’antan. J’avais occulté tant la nuée d’oiseaux empaillés volant, figés, au-dessus de moi, que la masse bruyante des visiteurs du musée. Il ne restait plus que ce géant du passé, immortalisé dans un déplacement lourd et paisible, se trouvant en contrebas, au milieu de ce palais de pierre. Cette dernière, ciselée en des motifs et représentations, marquait le savoir-faire qu’avaient pu avoir les moldus, autrefois. Avant d’abandonner ce génie au profit de bâtisses de béton et blocs uniformes.

Ce titan d’une époque passée, il me questionnait sur bien des choses. Car j’avais beau critiquer les moldus pour leur architecture, je devais bien reconnaître que leur connaissance du monde dépassait sans aucun doute celle des sorciers. Sorciers qui se glorifiaient de connaître et cacher à la face du monde une parcelle de ce qui le composait, tout en fermant les yeux sur le reste. Une ostracisation qui n’était que délétère en termes de connaissances, poussant au renfermement dans un monde qui allait toujours plus vite et plus loin. Pour ma part, j’avais toujours été curieux. Et si on s’accordait à me dire malicieux et joueur, c’était occulter ce qui avait pourtant forgé la majorité de mon enfance : cette soif d’apprendre. J’en avais dévoré, des bouquins… tant chez les sorciers que les non-mages. Et je pouvais pas dire que j’avais tout compris à l’époque, loin de là, mais cette petite caboche avait emmagasiné des choses, et entretenu cette curiosité et soif de découvertes. Alors en cet instant, face à ce colosse silencieux, je ne pouvais m’empêcher de m’interroger… est ce que la magie aussi avait côtoyé cette époque lointaine ?  Certaines de ces créatures en avaient-elles été dotées sans qu’on ne le sache ?

Peu à peu, le brouhaha ambiant s’était amoindri, sans que je n’y prête particulièrement attention. Curieux, je l’étais, et c’était bien pour ça que j’avais atterri une fois de plus en ce lieu qui ne m’amenait qu’à rêver. Mais débrouillard, je l’étais plus encore. Et j’avais évidemment profité de l’entrée d’un groupe de vacanciers étrangers pour me faufiler sans payer. Fatalement, je n’avais pu éviter quelques contacts au cours de mon intrusion… c’est qu’en ce mois de juillet, le Museum d’Histoire Naturelle était bondé. Cette dame blonde mourrait dans un accident de la route, fauchée alors qu’elle traversait un passage piéton… un choc violent, qui l’aura emporté avant l’arrivée des secours. Ce jeune homme trépasserait des suites d’un cancer, de ce que j’en comprenais, à juger de l’odeur de tabac l’accompagnant… ses derniers instants seront dans la torpeur sur un lit d’hôpital, branché à des machines, maigre, blafard, cireux… et avec un trou dans la gorge. Ce p’tit vieux là partirait d’un arrêt cardiaque dans son sommeil. Une belle mort. J’avais l’habitude, ça ne me choquait pas, même si ces visions impromptues, non désirées, pouvaient être surprenantes et agaçantes. C’était comme se faire toucher quelque chose de glacial sans y être préparé.
Mais assis sur ce banc, dans cette bulle, plus aucun contact ne s’était fait depuis un moment. Et constatant enfin que la foule s’était plus qu’amoindrie, j’étirais mon corps ankylosé, sortant de ma torpeur. Pour moi aussi il allait être temps de mettre le large.

Parce que j'avais été élevé dans les préceptes de la Main de Saint Michel, et notamment dans ceux de Sir Tremblay, je devais me plier à quelques lubies venant de sa part. En plus, d'être un Chasseur émérite plus qu'aguerri, je devais aimer l'Art et le Beau. Discipliner mon esprit. Faire en sorte d'avoir des raisonnements concrets sur ce que m'inspirait ce monde et ceux, que je traquais. Ces Créatures impures, qui n'avaient pas vocation à demeurer sur cette terre et c'était un réel plaisir que de les éradiquer. Quitte à ce qu'elles rejoignent les Enfers. Parce que là, se trouvait leur juste place.

Mais, mon mentor avait toujours bon de me montrer ce que je devais voir et apprécier. Et, en plus de savoir manier des armes blanches à la perfection, je pouvais disserter de longues heures sur telle période picturale, sans aucunement me tromper. La seule faiblesse que je pouvais avoir, c'était de pas m'être intéressé à ce qui pouvait provenir de nos ancêtres. Biologiquement parlant. Je savais juste que des géants faits de griffes et de gueules acérées avaient peuplé notre planisphère mais sans plus. Je voyais à quoi ça pouvait ressembler et je savais aussi qu'une putain de météorite avait mis fin à leur règne. D'ailleurs, on serait jamais venus au monde, non ? S'il était resté des dinosaures, prêts à nous gober comme de vulgaires morceaux de viande ...

Du coup, je m'étais autorisé une sortie. Saluée par Sir Tremblay en personne, qui ne s'était pas privé de me rétribuer en pièces sonnantes et trébuchantes, pour un indice que j'avais réussi à glaner sur un étudiant d'une école privée londonienne, sans effusion de sang. Du moins, j'avais essayé. Des menaces verbales, qui s'étaient avérées probantes. Même si je m'attendais tôt ou tard à des représailles. J'eus d'ailleurs un rictus à cette idée, parce que c'était tout ce que j'attendais, moi. Mes proies préférées n'étant nullement de sortie, et ça me faisait chier.

Poussant un grognement en plein milieu d'une rue passante, je me décidais à empoisonner mon corps de nicotine. M'allumant une clope, chose magnifique s'il en était, j'en tirais une taffe. Aussitôt suivie par une autre. Alors que mon regard sombre, lui, avait repéré une silhouette. Au sein même de ce putain de Château qui mettrait un temps incommensurable à se reconstruire. Tout comme ces êtres impurs qui le peuplaient. Lui, je l'avais déjà entraperçu et c'était facile de me faire à l'idée que c'était l'un d'entre eux. Même si on était rapprochés en âge, ça restait un démon, au regard de ma Communauté. D'Aelys et de Sir Tremblay.
Jayden, même pas envie de le mentionner ce sale tocard.

M'approchant à pas feutrés, un sourire avenant scotché sur le visage, je tirais de la poche intérieure de ma veste noire au liseré rouge, mon paquet de clopes et mon briquet fétiche. Parce qu'il était hors de question, de laisser l'opportunité à ma cible de s'enfuir. C'était clairement pas dans mes prérogatives. Voyant qu'il s'étirait, pour se préparer à disparaître, je vins m'assoir souplement à côté de lui. Ça servait à rien que je me cache, de toute manière. L'approche 'amicale', était un jeu. Et, j'aimais ça, jouer.
C'était plaisant.

Sans un mot, je fis bouger mon paquet de clopes, pour que l'une d'elles sorte légèrement. Un petit sourire en coin et des prunelles noires rivées à l'énorme machin qu'il était en train de contempler. Autant partir là-dessus, non ?

- C'est quand même fou de se dire que des créatures pareilles ont pu vivre avant nous ou côtoyer nos ancêtres ? C'est ... fascinant. Une œillade en coin. Mes clopes toujours vers lui. T'en veux une ? À nouveau, un large sourire. Puis ... s'il se méfiait ou tentait une fuite en avant, c'était clair et net que j'allais le traquer. Juste que là, j'avais envie de fumer.

Si j’étais bien incapable de dire depuis combien de temps j’étais installé sur ce banc, mon corps, lui, parlait pour moi. Ankylosé, je m’étirais de tout mon long sans prêter attention aux éventuels regards. Après tout, les visiteurs étaient là pour les merveilles dont recelait le musée, pas pour poser un regard sur un adolescent qui s’étirait à s’en faire craquer les vertèbres. Sauf qu’il y en avait un qui venait de se poser à côté de moi, de visiteur. Un type de quelques années de plus, qui sentait le tabac à plein nez et me tendait un paquet. Quelque peu surpris, je dardais mes iris sur les clopes, puis sur le jeune homme qui engagea alors la conversation.

Un sourire amusé se dessina à mes lèvres à ses propos, parce que je m’étais pas spécialement attendu à être approché de la sorte. J’en étais même à me demander s’il n’était pas en train de me draguer -il n’aurait pas été le premier- même si le contexte et l’approche était somme toute particulière.

« Merci mec. » fis-je en me saisissant d’une des cigarettes.

Je ne fumais pas vraiment, ou que de manière récréative, et souvent en mêlant au tabac des substances dont la légalité était tout sauf avérée, mais jamais seul. Ca servait à rien de se défoncer seul. Cependant, cette fois-ci, le paquet totalement industriel ne laissait que peu de doute sur la composition des cigarettes qu’il contenait.

« On est loin de les avoir côtoyés, pour le coup… y’a plusieurs millions d'années entre eux et les premiers hominidés. Sinon autant dire qu’on leur aurait servi de p’tit déj’. » répondis-je d’un ton amusé.

Ouais fallait croire que les bouquins que j’avais lu avaient servi à quelque chose.

« Mais p’tet qu’on a des ancêtres “géants”. Quand tu regardes, tous les êtres vivants ont perdu en taille… entre le mégalodon et le grand requin blanc, le mammouth et l’éléphant, le smilodon et le tigre… ils ont beau être gros, ils sont ridicules à côté de leurs ancêtres. Peut-être qu’un jour on se découvrira un ancêtre démesuré nous aussi. »

Ce qui était bien mal parti, parce que de ce que j’en savais, la “Lucy” elle était pas bien grande. Ceci étant, j’avais aussi notion qu’il existait des demi-géants, ce qui voulait dire qu’il y avait assez de similitudes dans la génétiques entre l’humain et le géant pour que ça marche… alors si ça se trouve y’avait bel et bien un ancêtre commun par là, mais caché aux yeux des moldus. Et dont les puristes ne voudraient pas entendre parler non plus soit dit en passant.

« T’as du feu ? » demandais-je alors en portant la cigarette à mes lèvres et dardant mon regard sur mon interlocuteur.

Le fait d'observer ma 'cible' depuis un petit temps, m'offrait quelques avantages que je pouvais mettre en pratique, par la suite. Parce qu'il fallait toujours un petit temps pour la Traque, avant d'entrer dans le vif du sujet. Et de faire en sorte soit de torturer, soit de tuer. Ça, ça dépendait généralement de mon état d'esprit. Bien qu'éliminer ces démons que la terre avaient engendré était plus que primordial pour une Cause bien trop grande qui en venait à me dépasser. C'était quelque chose, que Sir Tremblay affectionnait tout particulièrement et vu qu'il m'avait donné ma chance, je ne pouvais dès lors qu'exécuter ses ordres.

Mais ici, c'était somme toute assez différent pour être signalé. Le type dont je venais, -fait exprès-, de prendre un peu de son espace, était sujet à une discussion qui faisait briller mes iris couleur d'onyx, d'une flamme nouvelle. Il était une Créature engendrée par le Diable mais ... il avait un certain savoir et une volonté de discuter avec moi, qui parvint momentanément à me déstabiliser. D'un point de vue extérieur, c'était simple : deux adolescents qui venaient de se retrouver pour parlementer sur un banc.
D'un sujet, qu'il semblait toutefois maîtriser avec une certaine perfection. Ça, j'aimais assez.

- Avec plaisir. J'offrais un sourire qui se voulait rassurant et avenant. J'avoue que j'aurais pas trop aimé d'être un casse-dalle pour ces géants d'écaille, sur pattes. Une frisson. Une taffe. Oh ? Des ancêtres géants ? Comme genre, des Titans ? Ça, ça me fascinait. Sauf que dans la mythologie grecque, de là où ils étaient tous issus, c'était une véritable orgie de pouvoir et de meurtres. Enfin, ils avaient clairement l'habitude de se bouffer entre eux. Attends ... un smilodon, c'est énorme et je parle même pas d'un mammouth ! Sérieux, tu crois vraiment qu'il y aurait un truc qui ... les dépasserait largement en taille et que ça serait notre ancêtre ?

Le 'nôtre' amenait un goût doux-amer dans ma bouche. Une perspective nouvelle de constater qu'on était pas si dissemblables. Alors que ... y'en a qui naissaient avec des aptitudes proches de celles du Diable, et y'en a qui comme moi, se plaisaient à les buter sous couvert d'une religion plus qu'archaïque. Et, qui était on ne peut plus véritable.

- Ouais attends. Avec mon briquet, je venais lui allumer sa clope (ma clope donc), avec un sourire. Tu viens souvent ici ? Pour lancer des débats qui ma foi ... sont hyper intéressants ? Alors, c'était pas une forme de drague, -j'étais nul à ce jeu-, c'était de l'intérêt qui lui, n'était pour une fois, pas déguisé.

Qu'est-ce que penserait Aelys, -ma meilleure amie ou bien encore mon attrait plus que spécifique-, en me voyant converser avec l'Ennemi ? À vrai dire, je prêtais pas attention à cette petite voix, qui sonnait comme ma Raison et que j'écoutais pas vraiment souvent. Oupsie.

La conversation qui s’était lancée avec mon voisin de banc avait un petit quelque chose d’invraisemblable, alors que nous étions en train de théoriser sur des ancêtres nous étant bien supérieurs en taille. Et si le brun ne semblait pas particulièrement s’y connaître en préhistoire, sa question si ciblée autour des titans me prêta à sourire. Ces créatures-là étaient issues de la mythologie grecque, bien qu’on puisse retrouver des similitudes chez les nordiques avec les géants -qui, eux, existaient d’une certaine manière. A partir de là, est ce qu’on pouvait supposer que les titans n’étaient que des géants, ou une simple fantaisie de la part des grecques ? Ce point-ci, j’avais du mal à y croire… car beaucoup de créatures dites “mythologiques” et évoquées dans les récits de la Grèce Antique existaient bel et bien.

« Nan, j’ai pas dit ça. » répondis-je dans un léger rire. « Plus grand que nous, au moins. Mais dépasser un mammouth ça me semble compliqué. Quoiqu’on pourrait être surpris ? Après tout, nous sommes sans doute loin d’avoir tout découvert. »

Pour le coup, j’admets avoir un peu de mal à imaginer, du mastodonte laineux de l’ère glaciaire, ou du géant, lequel était le plus grand. Puis j’avançais le bout de mon museau, clope aux lèvres, pour qu’il puisse l’allumer alors que je prenais une bouffée. La sensation me brûla la gorge, mais n’en était pas moins agréable.
Mes iris se déportèrent alors sur les environs, alors que je crachais un nuage de fumée. Je n’étais pas certain que les gardiens tolèrent longtemps ce petit jeu, car s’il n’était pas interdit de fumer dans les lieux publics, le faire dans un musée pouvait être plus discutable.

« Souvent… c’est relatif. Mais j’aime bien venir au moins une fois par an, ou davantage si je peux. Après c’est bien la première fois que je me lance dans un débat pareil. »

Mon ton trahissait l’amusement que j’avais face à cette singulière situation. Prudent, je ne l’étais clairement pas. On ne m’avait jamais éduqué avec le fameux “ne parle pas aux inconnus”. Pour ainsi dire on ne m’avait pas vraiment éduqué tout court. Alors en cet instant je ne voyais rien de plus qu’une possibilité de sociabiliser avec quelqu’un que je ne connaissais pas, et qui m’était qui plus est sympathique.

Repérant au loin un vigil, qui ne nous avait quant à lui pas encore repéré, je me tournais légèrement vers mon camarade de débat.

« M’est avis qu’il va falloir qu’on bouge, si on ne veut pas se faire attraper par le col. »

Aussi étrange que cela puisse paraître, j'appréciais cette conversation que je pouvais avoir avec mon voisin. Parce qu'ordinairement, je ne me laissais pas à aller à autant de lâcher-prise, étant donné que j'étais bien plus Chasseur que Proie. Un Chasseur méthodique, qui ne faisait pas vraiment dans les 'sentiments'. Préférant toujours manger avant d'être mangé. C'était une loi universelle, à faire valoir en société. Surtout, avec ces engeances démoniaques, qui la parcouraient. Mais, à croire que je faisais des exceptions. Sans y prendre garde, pour autant.
Conscient que le jeune homme avait du répondant. Intéressant.

Et, il parvenait à susciter de l'intérêt chez moi. Concernant des hypothétiques créatures, -immenses ; soit dit-en passant-, qui avaient foulé le sol de notre terre et dont il aurait été de bon ton, de déguerpir devant elles. Après tout, il y avait bien de ces Sorciers ... pourquoi n'y aurait-il pas de ces mastodontes du passé ? À sa réflexion plus que sensée, j'eus d'ailleurs un léger rire. Il avait ostensiblement raison : dépasser un mammouth par la taille, c'était plus que compliqué. Le géant aux immenses défenses, il avait régné en maître sur un pan de notre histoire. Et, le détrôner ... c'était peut-être, un peu idiot, tout compte fait.

- C'est déjà énorme. Mais ... j'avoue qu'on est encore loin d'avoir tout fouillé. Y'a peut-être encore des trésors cachés. Qui sait ? Un étrange sourire, -sincère-, ne quittait pas mes lèvres, alors qu'on partageait une clope et qu'il m'expliquait avec un certain appui, ses venues ici. ... c'est un truc annuel que tu t'imposes, alors ? Ouais, j'étais un peu curieux quand il s'agissait de mon vis-à-vis. Pourquoi ?! Je n'en avais strictement aucune idée, priant intérieurement pour que Sir Tremblay n'apparaisse pas soudainement dans mon champ de vision.

Car, je serais bien obligé d'écourter cette conversation plus qu'intéressante et que pour être honnête, j'en avais pas vraiment envie. Pas maintenant et certainement pas tout de suite. Là encore, je devais lui reconnaître une nouvelle fois raison. Nos fumées de cigarettes, bien que tolérées n'allaient plus tarder à ne plus l'être. Étant donné les quelques reliques que l'on serait bien susceptibles d'abîmer avec le poison de la nicotine.
Soit, je le suivais. Ou plutôt, je le pris par le bras, pour nous décoller tous deux de notre banc et l'entraîner au-dehors.

Ce qui nous empêchait alors d'être arrêtés par le vigile prochainement. Ce dernier, nous ayant enfin repérés et nous observant du coin de l’œil.

- On est sortis à temps, je crois. Levant mon menton discrètement, je lui désignais le préposé à la sécurité, avec un ricanement. Tu t'appelles comment sinon ? Histoire de mettre une identité sur le gars avec qui j'aurais pu être arrêté. Puis : ... je m'appelle Zach. Ce n'était pas mon prénom complet, on ne savait jamais après tout. C'était juste, une demi-vérité.

J’avoue que je ne m’étais même pas demandé ce qui avait pu pousser ce garçon à m’aborder. Ayant le relationnel plutôt facile, malgré quelques désagréments, je n’y voyais pas autre chose qu’un fait : il était là, en solo lui aussi, et ma foi le contact passait plutôt bien. S’il avait une idée derrière la tête, ou si ça lui était venu naturellement ? Franchement, je m’en foutais bien. La seule chose qui m’avait traversé l’esprit, de façon plus que fugace, ça soit l’éventualité qu’il cherche à me draguer. Il n’aurait pas été le premier, et sans doute pas le dernier. Et si cet état de fait m’avait un peu perturbé la première fois que ça m’était arrivé, à présent je m’en amusais plus qu’autre chose.
Notre discussion, elle me semblait naturelle, quoiqu’un peu curieuse et tordue, mais c’était ça qui était cocasse aussi, non ?

« Que je m’impose ? Non, pas du tout. Ca me plait d’être ici, ou dans d’autres musées. De découvrir, d’apprendre, ou juste observer. »

Parce que c’était bien ce que je faisais là, observer l’immense squelette d’un géant du passé. Ca m’amenait toujours à me poser des centaines de questions, allant parfois jusqu’à partir à la recherche de réponses, pour certaines d’entres elles… mais sans tout le temps mettre la main dessus. Force était de constater que j’aimais bien ça, me triturer l’esprit. Du moins quand je le faisais à ma sauce, sur des sujets que je décidais, et non pas en poireautant sur les bancs de l’école. L’école de la vie, y’avait que ça de vrai !

Mais remarquant le vigil au loin, je suggérais alors à mon étrange comparse de filer d’ici. Il n’en fallut guère davantage pour que la situation ne dérape. Il était plutôt vif, le bougre, bien plus que moi et mon habituel flegme. Aussi, je n’eus le temps de m’écarter, ni même d’amorcer le moindre geste, qu’il m’attrapait le bras pour m’entraîner à sa suite. Et si mon corps suivit le mouvement sans que je ne me casse la figure, mon esprit, lui, s’était indéniablement trouvé happé dans un désagréable mélange de passé/présent. Mes yeux les voyaient bien, les obstacles et la foule que nous traversions tant bien que mal, alors que je me retrouvais bousculé de part et d’autre. Mais dans mon cerveau c’était d’autres images qui se jouaient. Beaucoup trop d’images. Des flashs, qui se superposaient dans un maelstrom vertigineux, à mesure que je percutais d’autres visiteurs, entraîné par mon comparse de débat. Je ne suis pas certain que je saurais vous décrire réellement ce que je ressentais, à ces contacts. Ce n’est pas simplement le chaud/froid, ou la pression que l’on peut ressentir en touchant quelque chose. Chez moi ça opérait un peu comme une onde, un écho, comme une goutte rencontrant la surface d’un liquide et dont l’impact se propage. Amenant avec elle un flot d’images.

Et c’était confus et net à la fois, l’éclat de cet dague dans la main du garçon, cette lame qui scintillait -chambre d’hôpital- d’une lueur froide alors qu’il basculait -percutée par une voiture-, frappé d’un sort. Une chute trop longue -une pièce sombre, un lit moite-, des os qui se brisent -un éclair vert-.

Arrivé au dehors, alors qu’il me relâchait enfin, j’étais blême et pris d’une violente nausée. C’était peu dire que j’avais le cerveau en vrac, et ça tournait salement. Reprenant mon souffle, je m’adossais au mur alors que mon vis-à-vis m’exposais des propos que je n’entendais pas vraiment. Mais voyant à son regard qu’il semblait attendre une réponse, je fis l’effort de me remémorer des brides de ses mots, dont seule la fin me revenait. Zach… son prénom donc ?

« Pardon… moi c’est Gwynn. Et avant que tu ne demandes, oui c’est gallois. »

Sciemment, j’évitais de lui tendre la main, pas prêt à repartir pour un second round, quand bien même cette fois je devrais pouvoir éviter les bousculades avec les autres visiteurs et touristes.

Mon petit acolyte de l'instant, il m'était sympathique. Alors, que j'avais pas franchement le parler facile, quand il s'agissait de m'adresser à des inconnus. Cependant, dans le cadre de mes traques, il m'arrivait alors de modifier quelque peu mes paradigmes. Parce que généralement, on me qualifiait de joli garçon. À qui, on donnerait visiblement le bon dieu sans confession. Après, je ne pouvais contredire cet état de fait. Surtout, que ça m'arrangeait qu'on le croit. Qu'on se pose pas plus de questions à mon propos. Tant que je paraissais courtois, comme me l'avait appris mon mentor, moi ça me convenait.
Et ... il fallait croire que je n'étais pas à l'abri de diverses rencontres ... pour le moins susceptibles d'intérêt.

L'inconnu, qui en était encore un, m'octroyait une conversation sans discorde. Sans anicroche. J'avais cette impression qu'elle était fluide alors que l'on se connaissait à peine d'il y a quelques instants. Malgré qu'il fasse partie des ennemis que je me faisais un malin plaisir à éradiquer de la surface de terre, il me plaisait. À la fois physiquement, -ce serait mentir que de dire qu'il n'était pas beau- et mentalement. Puis ... nous n'avions pas une énorme différence d'âge, ce qui jouait en ma faveur. On se ressemblait certes, un peu. Mais pas autant que je ne l'aurais voulu. Il avait des pouvoirs, -œuvre du Diable lui-même-, et moi, j'en étais dépourvu. Ça ne pouvait pas aller.

- T'as visité quels musées ? Lequel a ta préférence ? Si tu as un préféré, bien sûr ! Que je m'exclamais avec un large sourire, encore sincère, quand mon regard sombre rencontrait ses iris semblable aux miens. Moi, je ne sais pas ! Je me retrouvais tel un gamin, à faire ami-ami, avec un type dont je venais de prendre le bras pour le tirer hors de ce Musée où nous nous sommes rencontrés.

Évidemment, je ne connaissais aucunement sa spécificité singulière. Celle d'entrevoir la finitude de ses congénères, dont la mienne. Parce que j'avais eu l'audace d'effleurer sa peau, que je trouvais bien douce sous mes doigts. Je n'avais pas fait attention au fait qu'il se fasse peut-être un peu trop bousculer par la foule, alors que j'avais l'habitude de me faufiler dans celle-ci. Ce ne fut qu'à l'instant où je le vis s'appuyer contre un mur à proximité, que je sentis que quelque chose clochait.

C'était à la fois étrange et perturbant. Fronçant lentement mes sourcils, j'eus envie de venir poser une main rassurante sur son épaule. Mais, une petite voix m'intima de ne pas le faire. Comme si ... j'avais été le déclencheur de cette apathie soudaine, alors que tout allait bien jusqu'à présent.
Après, je me faisais peut-être des idées ... mais j'avais assez observé les 'autres', pour sentir quand ça n'allait pas de leur côté.

- Tu es sûr que ça va ? Je demandais tout de même par précaution, histoire qu'il me tombe pas à la renverse, tout à coup. Enchanté Gwynn, le Gallois. Et, tu veux manger un bout ? Parce que je dois avouer que j'ai un peu la dalle, tout compte fait. Ou boire, hein. S'il était bien trop nauséeux, pour avaler ne serait-ce qu'une miette d'un sandwich aux œufs et au cresson, typiquement anglais.

Ca faisait longtemps que je n’avais pas ressenti un malaise pareil en côtoyant les différentes morts des vivants. En général, il n’y avait que lorsque je touchais un cadavre que ça me foutait la nausée et une sacrée migraine. Parce que les choses n’étaient pas pareilles avec eux, et que l’écho se transformait en une sorte de décharge qui brouillait tout. Comme des images déformées, grésillantes, se superposant les unes aux autres, ainsi que les sons,les bruits, les sensations…

Là, avec les vivants, c’était encore autre chose. Fluide, naturel… mais ça faisait une éternité que je n’avais pas fait l’expérience de plusieurs visions simultanées, et jamais sur une aussi longue durée. Bordel, j’avais le bide et le cerveau en vrac… Et j’avais beau essayé de remettre de l’ordre dans tout ça, c’était un peu compliqué. Adossé à un mur, je reprenais mon souffle et un minimum de contenance, alors que je sentais bien que mon vis-à-vis essayait de capter mon attention. Mais moi, tout ce que je voyais, c’était ses traits qui se figeaient de façon irrémédiables, à un âge que d’aucun jugerait trop jeune. Pour ainsi dire… je savais que ce garçon mourrait bientôt, à cause d’un sorcier.

Me passant une main sur le visage, j’acquiesçai à sa question quant à mon état.

« C’est… le changement de luminosité et de température. J’m’y attendais pas. »

Bon, l'excuse valait ce qu’elle valait. Et j’allais sans doute passer pour un ado un peu sensible s’il me prenait au sérieux, mais je m’en foutais. Mais reprenant peu à peu des couleurs malgré tout ce qui me retournait la tête, j’hochais de celle-ci à sa nouvelle question. M’éloigner de la foule me ferait pas de mal, et me poser quelque part non plus. Quant à manger…

« Ouais, ça me fera pas de mal. »

Fallait aussi dire que j’avais pas avalé grand chose depuis ce matin, et un petit déjeuner pour le moins frugal. Alors je me détachais du mur, pour suivre mon comparse, le fameux Zach qui crèverait bientôt, dans les rues suivantes.

« Tu fais quoi dans la vie, du coup ? T’es étudiant ? » demandais-je tout simplement.

En général j’évitais de trop questionner quand je connaissais la mort des gens. Je ne tenais pas particulièrement à m’attacher à eux. Même s’il s’avérait qu’au final, tôt ou tard je finissais par découvrir la fin de mes potes. Mais pour le coup, j’étais curieux… dans quoi allait-il s’embarquer pour finir ainsi ?

L'atmosphère s'était modifiée du tout au tout. De quelque chose de trivial à quelque chose de plus étrange. Et pourtant, j'y étais plus qu'habitué, aux ambiances lourdes dont il était parfois difficile de s'extirper. Ici, j'avais adoré cette découverte dans ce musée où j'avais croisé au détour d'une  salle dédiée aux colosses du passé, une proie potentielle. Mais ... la proie, je me retrouvais bien con, en me rendant compte que malgré moi, je m'y étais attaché.
Non plus comme un Chasseur guettant une Victime à anéantir mais plutôt comme un adolescent normal qui ne tuait pas pour subsister.

C'était perturbant de me retrouver comme ça, à m'inquiéter plus que de raison pour ce jeune homme gallois, dont le prénom était intéressant. Même si, je ne savais pas ce qu'il signifiait tout compte fait. Mais, ça lui allait. Enfin, je partais du principe qu'il portait bien son prénom et que fondamentalement, il lui collait à la peau. Après, il m'avait peut-être menti aussi ? Parce que généralement, en ces temps troublés, il était préférable de ne pas parler aux inconnus. Surtout ceux, qui ont une gueule de jouvenceau comme moi, et qui parviennent à arriver à leurs fins. Or, une intuition me soufflait, que ce n'était pas le genre à mentir, le Gwynn.

Au contraire, même.

- Ah merde, je suis désolé. Comme le fait, qu'il puisse se sentir moyennement bien. Même si, là encore, je percevais autre chose. D'indistinct certes, mais bien présent. ... va pour aller prendre un truc à manger quelque part ! Je connais une bonne adresse ! C'est pas cher et tout est fait maison ! J'y vais souvent ! Que je m'exclamais en souriant largement, entraînant mon compagnon à ma suite, pour une destination où se mêlerait tout un florilège d'odeurs, toutes plus appétissantes les unes que les autres.

Cette destination, c'était dans un édifice non loin de nous. Parce qu'il nous fallait à peine faire quelques pas, pour le rejoindre. Mais ... le temps que l'on s'y pointe, j'avais entendu une question de mon vis-à-vis, à laquelle, je n'avais pas encore répondu. Mains dans les poches de mon pantalon, à quelques mètres de l'entrée.

- Je suis étudiant ouais. Dans une école privée. Au moment de pousser la porte, pour le faire entrer en premier, je lui soufflais : ... et toi, Gwynn ? Histoire, qu'il puisse me confirmer ce qu'il était. Alors que je l'entraînais non loin d'une fenêtre, attendant qu'il étudie le menu et que l'un des employés daigne s'approcher de notre tablée. Moi, je l'observais. Tout en demeurant discret.

J'y étais obligé. Parce que sinon, je me faisais griller. Et, ce n'était pas encore le but de la manœuvre, soit dit en passant.