Celui qui sauve une vie...

Elle était impuissante à aider Nicholas. Toutes les potions de Parrain n’avaient pas suffi à dissiper totalement les ténèbres. Tous les baisers d’Ophelia, toutes ses caresses tendres, n’avaient pas suffi à soigner le coeur de son jumeau. Il la laissait le prendre dans ses bras, la laissait se glisser près de lui ; et cependant elle ne lui amenait aucun sourire.

Dans leur Lien, elle le ressentait : il était pris dans des boues sombres, qui engluaient son coeur,  Et rien de ce qu’elle offrait ne parvenait à lui permettre de se réfugier dans des eaux translucides. Il mangeait moins, n’avait envie de rien d’autre que de rester dans une léthargie qui pulsait de douleurs et de vides.

Le coeur d’Ophelia se brisait de le voir ainsi, de le sentir qui s’étiolait, comme une fleur qu’elle ne parvenait pas à préserver. Le coeur d’Ophelia était composé d’une multitude d’éclats qui à chaque palpitation chantait des sanglots.

Elle avait écrit une lettre à Parrain, un appel à l’aide. Elle la posterait le soir venu, dans la discrétion du soir qui tombe, avec l’espérance que le hibou familial soit de retour à l’aube, pour que leurs parents n’en sachent rien. Ils ne pouvaient ignorer le regard absent de leur fils, son peu d’appétit, la porte qui restait obstinément close. Et pourtant, aucun hibou n’était parti du manoir. Aucun.

Il fallait simplement… Il suffisait qu’Ophelia attende que la lune se lève, dans le soir d’automne.

Pour échapper à la tristesse infinie et à l’impatience grandissante, elle marcha, de la forêt jusqu’au lac, pour finalement prendre place sur un rocher plat. Fixant l’onde paisible, assise sur sa cape couleur d’or blanc, observant les feuilles mortes qui se laissaient entraîner, immobiles.

Elle laissa baigner ses doigts dans la froidure de l’eau, s’imagina, dans un frisson, y flotter, et se demanda si Nicholas ressentait ce même froid, en ce moment. Une inspiration, entre le soupir et la plainte, étranglée.

Sans Nicholas, elle n’entrevoyait pas d’avenir. L’été était passé et reparti sans qu’elle sache ce qui allait advenir de son existence, après Poudlard. Elle n’avait accordé à son futur aucune pensée. Toute son inquiétude s’agrégeait autour de son jumeau. Et peut-être pour cela, alors même qu’elle était incapable de tracer sa propre route, elle refusait malgré tout de baisser entièrement les bras. Elle avait un sursaut, pour lui, uniquement. Il lui fallait tenir.

Tenir, alors que le ciel se faisait pastel. Tenir encore un moment. Elle en était persuadée, on ne la chercherait pas, au moment du dîner. Tout comme leurs parents ne remarquaient pas l’état de leur fils, ils ne remarqueraient pas l’absence de leur fille, penserait à une mélancolie passagère, à une faiblesse d’appétit comme une autre.

Et de fait, sa faim était coupée. Une ombre ne souffrait pas du péché de gourmandise.

Contrairement aux croyances populaires, le printemps n’avait pas l'exclusivité en terme de croissance pour les plantes. Chaque saison avait son lot de nouvelles pousses aux particularités intéressantes, et le bon guérisseur savait à quelle période il était intéressant de prélever feuilles, fleurs, graines ou racines d’une variété donnée. Le fait que Poudlard n’ait pas rouvert ses portes aux premiers jours de Septembre donnait une opportunité inestimable à Fillan pour se procurer des plantes qui ne poussaient que lorsque les arbres commençaient à se parer d’or.

Celle qu’il cherchait ne poussait pas dans sa forêt d’Ecosse, trop froide, mais on pouvait encore la trouver dans certaines étendues plus au Sud du Royaume-Uni, en Angleterre. Encore fallait-il que ces bois possèdent des étendues d’eau ombragées et aux berges non ravagées par ragondins ou sangliers. Le garçon s’était alors armé de sa besace, d’une carte, d’une boussole… et de beaucoup de patience. Il ne comptait plus les kilomètres qu’il avait avalé au cours de la journée, à travers les bois. S’il n’avait mis la main que sur deux plans de la plante recherchée, son escapade lui avait au moins permis de se réapprovisionner en bien d’autres végétaux, et même quelques champignons.

A présent, le soleil était trop bas pour traverser l’épaisseur des bois. Sous les frondaisons, la forêt sombrait peu à peu dans l’obscurité, rendant la progression d’un humain plus ardue. Mais pour Fillan qui avait l’habitude d’évoluer depuis tout petit dans un tel milieu, c’était comme une seconde nature. Le garçon avait le pas sûr et l’oeil vif, et le peu de luminosité lui suffisait à se repérer. Dans peu de temps, s’il poursuivait vers le Nord, il arriverait à un lac où il avait bon espoir de trouver cette fichue plante qui lui faisait défaut -en plus de coûter un bras chez les apothicaires. La faible luminosité perçue à travers les arbres devant lui lui donna raison, il arrivait sur une zone plus dégagée, où le ciel aux couleurs pastels était encore visible et faisait miroiter la surface d’un petit lac. Enfin.

Le jeune homme se passa une main dans les cheveux, laissant échapper un soupir. Ses jambes étaient lourdes d’avoir tant marché, mais il nourrissait l’espoir qu’en faisant le tour de cette étendue d’eau il puisse trouver ce qu’il était venu chercher. La lueur de la lune aurait pu être un bon allié, mais la probabilité qu’elle apparaisse pile au-dessus de l’eau était trop faible pour qu’il compte dessus. Observant les alentours, son regard s’arrêta sur une couleur pâle qui dénotait dans ce paysage aux teintes sombres. Un voilage ou une cape couvrait les épaules d’une naïade à la chevelure d’or. Installée sur une roche plate, ses doigts graciles flirtaient avec la surface de l’eau. Cette vision inspira une courte rêverie au spectateur silencieux. Il y avait quelque chose d’irréel qui se dégageait de ce tableau, mais aussi une profonde sensation de mélancolie.

Sans reconnaître les traits familiers de l’ex-Poufsouffle à cause de la pénombre et la distance, Fillan s’approcha d’un pas assez discret. S’il ne cherchait pas à surprendre la rêveuse, il ne tenait néanmoins pas à briser sa tranquillité. C’est une fois assez proche, se tenant à quelques mètres de la jeune femme, qu’il se manifesta.

« Bonsoir. Est ce que ça va…? »

Le jeune Bane avait beau ne pas être le plus à l’aise en société, il avait la fibre sociale et surtout empathique. C’était de famille d’une certaine façon, et il ne se serait pas vu passer son chemin et poursuivre sa route le long du lac comme si de rien n’était. Poser la question ne lui coûtait pas grand chose, et permettait même à ses jambes de se reposer un instant.

La voix la tira de la contemplation de l’onde, et elle se retourna, le cœur battant, étouffant entre ses lèvres pâles un cri silencieux. Son cœur battait de la conscience simultanée de l’heure tardive, de l’endroit isolé, où elle ne s’était pas attendue à trouver une autre présence humaine, et de sa propre vulnérabilité.

Ophelia n’avait pas été destinée à être une combattante. Dès son premier cri, cela avait été, sans nul doute, une certitude ; peut-être avant leur naissance, au vu de leur famille : d’autres combattraient à leur place. Et Ophelia, moins encore que Nicholas, ne devait monter en première ligne. Elle serait une poupée décorative, placée en retrait, pas même choyée bien que fragile, juste posée sur une étagère où l’on ne la remarquerait pas.

Les poupées de porcelaine se brisaient avec aisance, entre les mauvaises mains, sur une mauvaise rencontre.

Son cœur s’apaisa quand le soleil jeta ses derniers rayons pour lui permettre de reconnaître le nouveau venu. Elle aurait dû, bien sûr, identifier sa voix. Et en comprenait, la perplexité succéda à la peur.

« …Fillan ? Que fais-tu là ? »

‘A cette heure’, était bien évidemment sous-entendu, sans qu’elle le murmure, de sa voix de fleur. Elle cligna des yeux en le regardant encore, mais non, il s’agissait bien de lui. Un épouvantard n’aurait pris sa forme pour dévorer Ophelia, n’est-ce pas ? Il lui aurait renvoyé l’image de son jumeau, en proie aux pires situations. Or, c’était bien un jeune homme en parfaite santé qui se tenait là, avec son visage familier. Il n’arborait pas les couleurs de leur maison commune, mais il n’y avait aucun doute possible.

Aussi effrayée avait-elle été l’instant d’avant, elle se trouva envahie d’un grand soulagement. Les autres protégés d’Helga étaient toujours une source de réconfort, par leur simple présence ; leur appartenance à cette maison disait qu’on trouverait une présence bienveillante, une oreille qui saurait écouter, et un soutien plein d’autant de bonne volonté que possible. Et parmi tous ceux-là, Fillan était un appui solide, malgré le fait qu’il soit un an plus jeune qu’elle.

Tout en déroulant ce processus de pensée, elle réalisa qu’elle ne l’avait pas vu depuis ce qui ressemblait à une éternité. Les événements de Poudlard avaient créé une brume confuse tout autour d’eux. Avait-elle seulement su, comment il les avait vécus ?

Avec un geste délicat, elle l’invita à s’approcher, à s’asseoir sur le rocher, ajustant sa propre posture pour qu’elle soit assise plus convenablement. Et elle offrit un sourire, pour le remercier de la tirer de bien sombres pensées, mais aussi parce qu’elle avait aperçue sa besace d’où dépassait quelques plantes.

« Te voilà loin de Poudlard... »

Ophelia n’avait pas lu les journaux. Toute son attention avait été tournée vers son jumeau, et le monde aurait bien pu s’écrouler que, dans le silence de la grande demeure familiale, la jeune fille n’en saurait rien. Il semblait bien curieux, alors, que son camarade ne soit pas sur les bancs de l’école, qui, elle n’en doutait pas, avait dû retrouver son allure immémoriale, parce que son esprit ne pouvait envisager d’autre réalité. L’école n’était pas ces couloirs aux murs éventrés et ces corps immobiles ; elle avait conjuré ces visions, dans un endroit lointain.

Prise par surprise, la Naïade sursauta avant de prestement se retourner. Bien sûr, Fillan aurait dû s’en douter : à ainsi interrompre si soudainement sa rêverie, il n’avait pu que l’effrayer. C’est ce que reflétaient ses yeux de biche, la peur, et le jeune homme leva légèrement les mains en signe de paix, mais celle-ci fit vite place à la stupeur. Et cette fois-ci, elle fut partagée alors même qu’il reconnut les traits de la demoiselle. Ophelia ? Il ne se serait guère attendu à croiser l’ex-poufsouffle dans un lieu pareil, tant et si bien que ses sourcils se haussèrent, trahissant la perplexité qu’ils partageaient.

Bien vite, ce fut un sourire qui se dessina sur les lèvres du jeune sorcier. Un de ceux qui réchauffent le coeur. La question que lui posait sa comparse avait, à ses yeux, un petit quelque chose d’amusant, pour lui qui était à son aise dans les bois.

« Je cueille des plantes, pardi. » commença-t-il avant de reprendre. « Je n’avais pas l’intention de te déranger, excuse-moi. »

Réajustant machinalement la lanière de sa besace sur son épaule, il s’approcha à son geste et, prenant garde à ne pas marcher sur sa cape, il s’asseya à ses côtés en tailleur. S’il n’en fit pas part, ses jambes quant à elles auraient sans doute poussé un soupir de contentement si elles avaient pu. Se départissant finalement de son précieux sac à l'inestimable cargaison, Fillan le posa à ses côtés en vérifiant la stabilité de l’ensemble. Ceci fait, ses iris se portèrent machinalement sur l’étendue d’eau dont la surface brisée par une infime brise reflétait les couleurs sombres et orangées du ciel crépusculaire. La nature avait toujours été, pour lui, une source de réconfort plus que toute présence humaine. Elle était propice à la réflexion, au calme, et apportait souvent les réponses les plus sages si on prenait le temps d’écouter.

Son attention revint à sa vis-à-vis lorsque cette dernière évoqua Poudlard. Si un bref sourire se dessina à ses lèvres, le garçon haussa cependant des épaules.

« Ca m’arrange pas mal, ce report de rentrée. »

Refaire des stocks en était une des raisons, faire ce à quoi il était destiné en était une autre. Et par dessus tout ça, il y avait un autre fait indéniable et bien plus gênant : il n’avait pas été en mesure d’acheter l’intégralité des fournitures requises à la 7ème année, et avait besoin de gagner un peu d’argent durant le temps qu’il lui restait. Revendre quelques plantes l’aiderait sans doute.

« Et toi alors ? Besoin de te ressourcer on dirait. Quelque chose te tracasse ? »

Fillan était de ce genre de personnes à rarement tourner autour du pot. Aussi empathique soit-il, il n’était pour autant pas toujours doué avec le savoir-être normalement attendu, préférant la franchise aux non-dits. Ainsi se retrouvait-il aisément à mettre les deux pieds dans le plat.

De toutes les expressions, le sourire était celle qui convenait le mieux à Fillan. Il avait un visage fait pour cette bonhommie amusée, pour communiquer ce sentiment. Il répondit à sa question sur un ton taquin, comme si l’on n’avait pas idée d’imaginer qu’il puisse avoir été ailleurs, à cette heure de la journée. Cette répartie arracha à la jeune fille un petit rire, et elle l’observa avec une forme de perplexité amusée.

« Te voilà devenu définitivement homme des bois ? »

Elle voyait ce qu’il voulait dire, néanmoins. Elle aimait le temps passé dans les serres de botanique, mais Fillan, lui, connaissait les plantes mieux que quiconque, dialoguait avec elles dans un langage silencieux, reposant sur une compréhension experte. Ils s’étaient connus dans l’environnement de pierre de Poudlard, et pourtant, elle l’associait à la forêt baignée de lumière.

Tout taquin qu’il pouvait être, Fillan était bienveillant. Elle secoua la tête, sans un mot, pour indiquer qu’il ne l’avait pas dérangée, mais le simple fait qu’elle l’invite à le rejoindre sur son promontoire tout dédié à la contemplation silencieuse, était un indice qu’il était le bienvenu dans son univers éthéré. Elle lui faisait pleinement confiance.

Tandis qu’il arrangeait ses affaires, y accordant le même soin que s’il avait transporté un oiseau blessé, elle l’observait. Et, alors qu’il laissait ses yeux courir sur l’onde, elle eut un petit sourire secret. Avant de tendre la main pour ôter une feuille égarée, de ses cheveux épais.

Pour le reste, elle demeura confuse. Fronçant ses jolis sourcils, elle demanda, écho perplexe de ses mots à lui :

« La rentrée à l’école a été repoussée ? »

Une rougeur peignit ses joues, quand elle comprit qu’elle avait, très certainement, manqué une information connue de tous. Allait-il la penser idiote ? Ou ce report ne concernait-il, peut-être, que son seul et unique camarade, pour une raison que l’on imaginait dès lors funeste.

« ….pourquoi est-ce un soulagement pour toi ? »

La question fut posée avec hésitation, d’une voix plus douce, qu’il serait libre d’ignorer s’il le souhaitait. Cependant elle craignait moins d’interroger Fillan que d’autres camarades. Tout comme elle craignait moins de lui répondre. Elle le savait dépourvu de mauvaises intentions. Honnête mais fidèle en amitié. Seul le sujet de leur conversation la peinait, amenant une douleur fugace sur son regard pâle. Elle referma ses bras autour de ses genoux, les laissant émerger de sa cape, qui seule continuait à envelopper sa silhouette frêle.

« Je m’inquiète pour mon frère. Nicholas… Il ne va pas bien depuis… ….l’attaque. »

Elle baissa les yeux sur ses mains, triturant ses doigts, comme si soudain il lui était insupportable d’être ainsi impuissante.

« …je ne veux pas que nos parents sachent que je vais demander de l’aide à notre Parrain. J’attends la nuit. Mais je- »

Sa voix, qui n’était déjà qu’un souffle, à peine plus qu’une brise sur la surface de l’onde, flancha, se brisa un peu.

« J’ai l’impression que mon cœur saigne. J’avais besoin de- »

De quoi, au juste ? De compagnie ? Même si elle avait été heureuse de voir paraître Fillan, ce n’était pas dans ce lieu reculé qu’elle avait pensé rencontrer un visage connu. De silence ? De ne plus penser, peut-être. Quoi qu’il en soit, elle ne finit pas sa phrase.

La tristesse que le jeune homme lisait dans les yeux de son ancienne camarade avait quelque chose de troublant. Elle semblait à la fois infinie et insondable, et laissait à Fillan un sentiment étrange, comme de l’impuissance alors même qu’il ne savait pas encore de quoi il retournait. En tant que soigneur, et plus encore en tant que Bane, le sorcier n’était pas prompt à l’abattement : des solutions, ça se trouvait toujours, et faute de pouvoir résoudre entièrement une situation, il restait toujours possible d’amoindrir les maux. Une bête discussion, un peu de temps passé, voire une question innocemment posée pour rentrer dans le vif du sujet étaient autant de moyens d’y parvenir. Ne s’avançant cependant pas aussitôt sur cette pente, le poufsouffle resta sur le sujet de la rentrée reportée dont Ophelia ne semblait guère au courant aux vues de ses sourcils finement froncés. Et ses mots flirtant avec ses lèvres si joliment ourlées ne firent que confirmer cette impression.

« A cause des réparations et du changement de direction, il paraît. »

Il parait, parce que Fillan était loin d’être ce genre de personnes à s’intéresser aux cancans et à la politique. Il avait bien entendu parler de ce référendum pour remplacer Dumbledore, qu’il avait passablement trouvé stupide, mais n’avait guère pris davantage le temps de s’informer à ce sujet.

« On a davantage besoin de moi par chez moi que là-bas. » répondit-il à la question suivante, un infime sourire se dessinant à ses lèvres. « Le travail ne manque pas, même s’il ne paie pas beaucoup. »

Et clairement, le fait qu’il n’y ait eu personne chez lui pour s’occuper des soins locaux durant les semaines et mois qu’il avait passé à l’école l’année passée, ça n’avait fait qu’enfoncer ses finances déjà inexistantes. Une situation sans doute particulièrement précaire pour qui n’y serait pas habitué, là où Fillan n’y voyait qu’un unique problème : celui de devoir acheter, une fois de plus, des fournitures. Mais chaque chose en son temps comme on disait, et puisque la rentrée était repoussée, ce problème là l’était également. En outre, à bien des égards le jeune sorcier envisageait de faire l’impasse sur cette dernière année puisqu’il n’envisageait pas de poursuivre des études par la suite. L’obtention des ASPICS ne lui était d’aucune utilité.

C’est l’occasion que choisit le Bane pour s’intéresser davantage à Ophelia et l’ombre qui obscurcissait son regard, la questionnant sans trop de détour. Il la vit se refermer sur elle-même, comme cherchant à protéger son coeur de quelques plaies supplémentaires. Silencieux, le jeune guérisseur se contenta d’observer sans juger, puis d’écouter les mots qui perlèrent aux lèvres de la belle avec hésitation, seulement ponctués du clapotis de l’eau et de la brise filant dans les feuillages. Plusieurs questions étaient venues à l’esprit de Fillan, sans qu’il ne les formule à haute voix. Pourquoi devait-elle demander de l’aide en secret ? Ses parents se montraient-ils inactifs ? Impuissants ? Réfractaire envers le dit Parrain ?

« C’est normal que tu en souffres, c’est ton frère. » ponctua-t-il simplement.

C’était même plus que ça, puisqu’il s’agissait de son jumeau. Fils unique, enfant assez solitaire jusqu’à son arrivée à Poudlard, il n’était guère aisé pour Fillan de se figurer ce lien. Mais sans doute devait-il être d’une puissance comparable à celui qui l’avait uni à sa mère, qui était tout ce qui regroupait le mot “famille” pour lui à l’époque.

« Il lui arrive quoi, à Nicholas ? » demanda finalement le sorcier après un court silence. « Je ne connais pas ton parrain et ne suis pas aussi réputé que ma mère ne l’était mais… tu veux que je vois si je peux faire quelque chose ? »

Parce que proposer ne coûtait rien, et si ça pouvait aider un proche, ou même simplement soulager un souffrant, c’était précieux aux yeux du Bane. Sans se croire tout-puissant, et sachant pertinemment qu’il ne l’était pas, au moins pouvait-il essayer, ou à minima, écouter, puisqu’il était difficile d’identifier un mal dont on ne savait rien. En outre, les maladies de l’esprit n’étaient pas celles pour lesquelles il était le plus formé -loin de là-, et Fillan risquait de se retrouver très vite démuni s’il était question de ce genre de maux.

En quelques mots, Fillan résolut l’énigme ; elle eut un frisson, en se rappelant le chaos de l’attaque, la peur qu’elle avait éprouvé pour son frère, son impuissance, l’état catastrophique dans lequel était l’école. Bien sûr, de tels dégâts devaient demander un soin particulier, et cependant… Elle inspira, avec un tremblement, remarquant à peine le commentaire sur un changement de direction, tant la première partie de son explication avait été la clé qui avait ouvert un bien vilain coffre à souvenirs.

« Je crois que j’espérais que tout ça serait réparé si vite que ce ne reste plus qu’un mauvais souvenir, qui n’aurait plus réussi à nous tourmenter que dans nos rêves... »

Elle eut une moue, avant de demander, d’une voix si douce qu’il pourrait l’ignorer, si cela lui était trop inconfortable, ou trop douloureux, comme on remarquerait à peine une brise :

« Fillan… et toi, durant l’attaque… ? »

Avait-il été blessé ? Avait-il vu des choses qui plus jamais ne s’effaceraient ? Ou pire ? Avec qui s’était-il trouvé, alors ? Elle ne souhaitait pas, qu’il lui soit arrivé du mal. Fillan était la bonté incarnée. En témoignait la façon dont il prenait ses décisions, en cherchant à être utile, en trouvant sa place là où on avait besoin de lui. Cette notion la fit sourire avec douceur.

« Ils ont de la chance que tu les aides. »

La notion que l’argent pouvait arriver avec difficulté ou en quantité réduite, était… étrangère à la jeune fille. Elle avait grandi, malgré les problématiques qu’étaient les siennes, dans un cocon où les aspects financiers de l’existence n’étaient qu’un sujet distant, pris en charge par leurs parents. Elle comprenait, à la façon dont son camarade, lui, y faisait référence ainsi, qu’il n’en était pas de même pour Fillan. Par maladresse, ou inexpérience, elle demanda :

« Le travail paie-t-il suffisamment malgré tout ? Ou… ? »

Elle savait bien que, comme tous les autres de la maison d’Helga, l’abondance financière n’était pas leur moteur. Et cependant, elle savait aussi, sans en avoir éprouvé les rigueurs, que les noises, les gallions étaient nécessaires à la vie. A la survie.

...encore que l’argent ne faisait pas tout. Nicholas en était l’exemple, happé qu’il était pas les ténèbres.

« Durant l’attaque… il y a cette fille, qu’il aimait beaucoup... »

Elle lui en voulait. Une part d’elle-même, la part jalouse, et inquiète, lui en voulait. Terrifiée de se trouver sans lui. ...elle haïssait celle qui avait pris son coeur.

« ...elle a disparu, depuis. Et lui, ne vit plus. Il n’a plus envie de rien, il ne parle plus… ...même pas à moi. …..pas même moi… Je ressens ce vide, en lui, je ressens tout… et je ne peux pas l’aider. »

Une larme roula sur sa joue, puis une autre.

Elle leva vers lui ses yeux clairs.

« ...tu pourrais l’aider ? »

Une inspiration vive passa les lèvres pâles, comme son espoir revenait soudain.

« Que te faudrait-il ? Que pourrais-je t’offrir en échange ? »

L’attaque sur Poudlard, et tout ce qu’elle impliquait, Fillan préférait globalement ne pas y songer. Et sa manière à lui d’y parvenir consistait en ces multiples tâches qui le retenaient à sa chaumière à l’orée des bois. Pour le Bane, aider autrui était le meilleur des pansements, il lui permettait de se décentrer de ses propres démons, et d’avancer, au jour le jour. Aussi, lorsque son amie lui demanda ce qu’il était advenu de lui lors de l’attentat sur l’école, le garçon préféra garder le silence et poursuivre la discussion sur des éléments plus concrets.
Bien sûr, au fond de ses pensées, il les distinguait parfaitement, ces cris, ces explosions, et se revoyait encore courir à en perdre haleine, à la recherche d’Emma. Ou encore les mains couvertes d’un sang qui n’était pas le sien, alors qu’il essayait tant bien que mal de contenir une hémorragie qu’un simple sort n’aurait pu arrêter, puisque la balle était encore logée dans le corps de l’enfant blessé. Ces démons-là se jouaient encore en toile de fond de son esprit, revenant encore souvent troubler ses nuits.

Alors la discussion se déporta, sur ce fameux travail, celui qui prenait tant de temps et occupait l’esprit du Poufsouffle. Mais s’il insinua que les moyens pouvaient par moment être sources de difficultés, ce n’était certes pas pour initier une interrogation dans l’esprit de la jolie blonde, qui ne tarda pas à franchir le seuil de ses lèvres.

« Suffisamment pour vivre. » coupa-t-il simplement, avec un léger sourire.

Parce que ces préoccupations là ne regardaient que lui, finalement, et le garçon était débrouillard. S’il n’avait suffisamment d’argent, il pouvait se rabattre sur la cueillette ou la chasse, et jusque-là il n’avait jamais eu à en arriver à de telles extrémités pour des problèmes financiers.

Immanquablement, le sujet dévia peu à peu sur Nicholas, le frère de la douce éplorée. Et cette dernière entra dans quelques explications au sujet de ce dont souffrait ce dernier. Fillan, lui, portait une attention toute particulière à ces mots, son regard restant accroché aux traits de la demoiselle, sans arrière pensée, durant l’intégralité de son discours. Jusqu’à finalement se poser de nouveau sur l’onde silencieuse.

Ce que lui décrivait Ophelia semblait se rapprocher d’une dépression. Un coeur brisé, accompagné d’une perte de l’élan vital. Cependant, le Bane ne pouvait pas écarter la possibilité qu’il y ait eu davantage entre le serpentard et la fille disparue. Un serment sous forme de sortilège ? Quelque chose les ayant inexorablement liés ? C’était une possibilité qu’il se devait de garder dans un coin de son esprit.

« Je ferais de mon mieux, mais… Je ne suis sans doute pas le plus qualifié. Et par Merlin, Orphelia… je ne veux absolument rien en échange ! » ajouta-t-il en reportant ses iris sur elle, comme pour l’assurer de la sincérité de ses propos. « Est ce que tu sais… s’il a vu un psychomage ? »

Car aux yeux de Fillan, c’était bien ce corps de métier qui était le plus à même de traiter ce dont semblait souffrir Nicholas.

« Et cette fille… ils étaient proches ? Je vais y aller sans détour, pardonne-moi… mais de prime abord ça semble être une profonde dépression. Mais ça peut tout autant être plus… eumh… lié à une forme de magie ? Tu en saurais sans doute davantage… »